Maggie (nom fictif) est enseignante depuis trois ans. Passionnée, elle veut participer à ce grand projet sociétal qu’est l’éducation des enfants, qu’elle conçoit comme le fondement d’une société instruite et prospère. Sa vision quelque peu idéalisée se heurte toutefois à la réalité de la profession.
Étant en début de carrière, elle rencontre certains écueils quant à son insertion professionnelle. Comme environ 40 % de ses collègues, Maggie se trouve en situation précaire, sans emploi stable. Une situation que décrit le professeur Stéphane Martineau : « La grande majorité des futurs enseignants va être sur appel et peut travailler dans différentes écoles, enseigner plusieurs matières au secondaire pour lesquelles ils n’ont pas été formés. L’enseignant qui entreprend sa carrière se trouve ainsi en situation d’adaptation constante à un nouveau milieu, à une nouvelle classe. Et pour en rajouter, il risque de se retrouver avec les groupes “difficiles” lorsqu’il réussit à décrocher son premier contrat. »
Maggie subit aussi une forte pression, parce qu’elle sent les attentes élevées sur le plan de la performance pédagogique. « Sous cet aspect, l’insertion professionnelle pose un autre défi. Contrairement à d’autres professions, ce n’est pas une entrée graduelle dans la carrière où la prise en charge des difficultés s’effectue par étapes. Tout de suite, on demande aux nouveaux enseignants d’afficher la même performance que les plus expérimentés », constate le professeur Martineau.
Mieux préparer l’insertion
De ces constats, la professeure Liliane Portelance en cite l’une des causes en s’appuyant sur une étude qu’elle a menée auprès des nouveaux enseignants avec ses collègues Stéphane Martineau de l’UQTR et Joséphine Mukamurera de l’Université de Sherbrooke : « Ils se disent peu préparés à la vie réelle en classe et à l’intégration dans le système scolaire; ainsi, une meilleure continuité entre la formation initiale et l’insertion professionnelle serait dès lors souhaitable. »
Pour contrer les inconforts qu’ils vivent, ou à tout le moins pour les amenuiser, « on pourrait améliorer la préparation des futurs enseignants en liant davantage la formation et l’insertion, en adoptant une approche plus intégrative entre savoirs théoriques et connaissances pratiques. Le défi reste toutefois de rapprocher l’université et le milieu scolaire qui, malgré leur culture différente, caressent le même objectif, soit de former des enseignants compétents », plaide la chercheuse.
Quelques actions pour favoriser l’insertion
La professeure Liliane Portelance participe à une recherche mettant à contribution des chercheurs québécois et belges, qui donnera lieu à l’ouvrage collectif La transition de la formation initiale à l’insertion professionnelle en enseignement, dont l’objectif vise à identifier les situations problématiques, certes, mais surtout à proposer des solutions. En voici quelques exemples, classés sous trois volets :
La formation universitaire
- Développer les habiletés d’ordre relationnel, telles que l’insertion dans une équipe ou les relations avec les parents ainsi qu’avec les collègues.
- Mieux connecter les cours universitaires aux situations que les étudiants rencontrent à travers leurs stages.
- Intervenir directement lors de l’insertion, notamment par des activités de mentorat organisées dans les écoles.
- Favoriser une culture de partage et de coopération.
Le milieu scolaire
- Considérer l’insertion professionnelle comme étant une mission pédagogique des directions d’école, et exercer un leadership à cet égard.
- Instaurer un climat de coopération entre enseignants débutants et expérimentés.
- Mettre en place un système d’accompagnement volontaire et accorder une reconnaissance institutionnelle à ceux qui acceptent d’aider les nouveaux enseignants.
- Favoriser une intégration plus progressive dans la profession, notamment en diminuant la charge des enseignants débutants.
- Constituer des réseaux de tuteurs au sein d’une école ou d’un réseau d’écoles.
En partenariat université – milieu scolaire
- Organiser des communautés de pratique et de partage, auxquelles participent des enseignants débutants et des étudiants, afin de permettre les échanges sur les tâches à effectuer, les situations rencontrées, les aspects à considérer pour avoir une bonne préparation, etc.
- Faire des analyses de situation en invitant un enseignant expérimenté dans les cours universitaires.
- Instaurer un dialogue collaboratif entre les formateurs en milieu scolaire (enseignant associé) et à l’université (superviseur de stage).
Miser sur le renforcement positif
L’application de solutions visant à faciliter l’insertion des enseignants permettra très certainement de tempérer un phénomène qui touche environ 20 % d’entre eux : le décrochage professionnel, conséquence d’un sentiment d’échec, d’épuisement et de détresse psychologique.
La professeure Nancy Goyette remarque d’ailleurs que les caractéristiques psychologiques et émotionnelles ont une importance notoire dans l’apparition ou non de ce phénomène. « Il y a aussi plusieurs enseignants qui éprouvent du bien-être au travail. Ceux-ci font preuve de résilience et de persévérance malgré la complexité de la profession », affirme celle qui étudie les facteurs personnels favorisant le mieux-être en enseignement.
La chercheuse s’intéresse plus particulièrement aux facteurs de rétention associés à la psychologie positive. « L’appropriation des compétences professionnelles n’est pas suffisante; il faut aussi miser sur les forces de caractère qui permettent aux enseignants de donner du sens à leur profession, c’est-à-dire de ressentir du bien-être et de la motivation, et au final de persévérer », explique Nancy Goyette.
Le développement des forces de caractère chez les futurs enseignants serait donc un avantage en vue de les amener vers le succès professionnel. Pensons par exemple à la créativité, qui permet de penser à des façons nouvelles et productives de faire les choses; de même, l’autorégulation (ou contrôle de soi) est nécessaire dans la gestion de ses sentiments et de ses actions.
Pour la professeure Goyette, « les forces de caractère aideraient les enseignants à acquérir une identité professionnelle forte avec des valeurs bien ancrées. À partir de là, il devient plus facile d’aborder une situation complexe, de faire des choix, parfois difficiles, et d’assumer les décisions tout en réussissant à négocier avec des valeurs contradictoires ».
Développer l’agir éthique
La question de l’agir éthique est d’ailleurs fort pertinente à considérer. Les conflits de valeurs ou de principes peuvent placer les enseignants dans des situations parfois délicates, surtout dans le contexte où certains phénomènes sociaux prennent place à l’école, comme la diversité ethnoculturelle et l’intégration des élèves ayant des besoins spécifiques.
« C’est un choc pour les futurs enseignants d’être confrontés à la multiplicité des besoins des élèves et des situations qui se produisent dans une classe. Chaque élève a son bagage, son vécu, ses contraintes. Cette diversité appelle à l’adaptation des interventions », témoigne la professeure Lise-Anne St-Vincent.
Retrouvons Maggie, notre enseignante en insertion, qui vient d’obtenir son premier contrat dans une école primaire. Dans la classe où elle enseigne, un élève souffre de dysphasie, un syndrome qui perturbe les habiletés de communication verbale. Pensant bien faire pour l’aider à se dégêner tout en lui permettant de pratiquer son expression orale, elle lui demande de lire un texte à voix haute, n’étant pas consciente que la dyslexie (trouble spécifique de la lecture) peut cohabiter avec la dysphasie. L’expérience n’est pas concluante pour l’élève, de qui les camarades de classe se moquent. De retour à la maison, il raconte l’histoire à ses parents qui, frustrés de la tournure des événements, écrivent une lettre à la direction de l’école pour se plaindre. Maggie est pourtant convaincue d’avoir agi de la bonne façon, faisant référence à ses propres valeurs.
Pour la professeure St-Vincent, cet exemple démontre comment un enseignant peut se retrouver devant un problème comportant des enjeux éthiques, qui amènent à tenir compte des conséquences qu’une mise en œuvre d’actions aurait sur la vie d’un individu. « L’enseignant, surtout s’il est débutant, a besoin de soutien pour trouver la meilleure façon d’agir devant des problèmes éthiques, car il ne peut y arriver seul », précise-t-elle.
D’où l’importance, d’une part, de mobiliser les ressources au sein de l’école et, d’autre part, de développer l’éthique professionnelle des futurs enseignants. « L’équipe-école regroupe plusieurs intervenants – psychologue, orthophoniste, psychoéducateur, etc. – qui ont tous des cadres de référence, des valeurs et des codes professionnels différents. Les enseignants doivent eux-mêmes pouvoir se positionner par rapport aux autres professionnels », soutient la chercheuse.
Puis, poursuit-elle, « il est impératif que la direction de l’école assure un leadership mobilisateur qui permettra à l’équipe de répondre à l’ensemble des besoins des élèves. La présence d’un sentiment de collégialité incitera les membres de l’équipe-école à exprimer leurs préoccupations dans un contexte de confiance, d’articuler les besoins plus clairement et, de là, imaginer des solutions et prendre les meilleures décisions pour les élèves ».
L’école plurielle
Cette façon de procéder trouve également sa pertinence alors que l’école au Québec accueille de plus en plus d’enfants issus de l’immigration, qui représentent aujourd’hui près du quart de l’ensemble des élèves québécois. L’instauration de pratiques équitables et la lutte contre les discriminations constituent à ce titre les deux finalités d’une pédagogie de l’inclusion de la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse, qui doit engager tous les acteurs du milieu scolaire et de la communauté.
« L’enseignant doit savoir considérer la pluralité d’expériences et de besoins des élèves immigrants ou réfugiés, et éviter de faire des généralisations. Ils ont tous leur histoire sociale et personnelle. Il faut reconnaître la diversité de ces élèves et les prendre en compte dans la manière d’enseigner, par exemple en utilisant un niveau de langue propice à la bonne compréhension de tous », affirme la professeure Corina Borri-Anadon, avant d’ajouter : « Dans une société pluraliste, l’école, outre son rôle purement pédagogique, agit aussi comme agent de cohésion en contribuant, chez tous les élèves, à l’apprentissage du vivre-ensemble et au développement d’un sentiment d’appartenance à la collectivité. »
La chercheuse suggère notamment de miser sur les partenariats entre l’école, la famille et la communauté. « À l’heure où les écoles québécoises sont appelées à recevoir des enfants réfugiés, il importe de faire intervenir la direction et l’équipe-école, de mettre à contribution la famille et la communauté, si l’on veut réunir les conditions gagnantes à leur intégration sociale et leur réussite scolaire, ainsi qu’au maintien de relations harmonieuses entre les élèves », avance la professeure Borri-Anadon.
L’école, la famille, la communauté
Sa collègue, la professeure Rollande Deslandes, abonde dans le même sens : « Il faut unir les forces! L’école, la famille et la communauté constituent les trois noyaux d’une forme de collaboration déterminante pour la réussite éducative de tous les élèves. »
Dans le cas des enfants réfugiés, il importe d’adopter ce qu’elle nomme une « approche transversale », qui consiste à réunir tous les acteurs-clés (direction, enseignants, intervenants, parents, organismes sociocommunautaires, etc.) engagés de près ou de loin dans le projet éducatif de l’école. « L’intégration des élèves issus de l’immigration dépasse le seul cadre de la classe. Il faut aussi travailler avec les parents, entre autres, en créant des groupes d’entraide et d’échanges, en offrant des ateliers pour démystifier le système scolaire québécois ou pour les renseigner sur leur rôle dans l’éducation de l’enfant. En ce sens, l’école a tout intérêt à collaborer avec les organismes communautaires pour rejoindre plus facilement les jeunes et leurs familles, et aider ces dernières à obtenir des services qui peuvent répondre à leurs besoins », précise la chercheuse. Cette façon de procéder s’avère tout aussi valable pour les familles d’origine québécoise, par exemple lorsqu’il s’agit de lutter contre certains phénomènes comme l’intimidation en milieu scolaire.
Une collaboration fructueuse avec la communauté part du principe que les activités développées s’inscrivent dans les objectifs d’amélioration de l’école ou de réussite des élèves. De plus, cette collaboration devrait être bidirectionnelle, de sorte que les écoles puissent donner des services utiles à leur communauté, comme des séances de lecture offertes par les élèves dans les résidences pour personnes âgées.
Le parent-éducateur
Le rôle d’éducateur des parents, en soutien à l’enseignant, est tout aussi important dans la valorisation de l’éducation et l’accompagnement des enfants, notamment quant à la supervision des devoirs, au développement de l’autonomie et au soutien affectif. Leur engagement constitue un facteur déterminant pour la réussite, et l’enseignant doit les encourager à prendre part au succès de l’enfant.
Selon la professeure Deslandes, « il existe des liens indéniables entre la collaboration parents-enseignant et les apprentissages, la persévérance scolaire et le développement de l’enfant. Cette collaboration se matérialise en présence d’un partage des responsabilités, d’une confiance mutuelle et d’une communication ouverte. L’enseignant doit toutefois prendre en considération la diversité des familles dans son approche; de fait, les communautés culturelles, tout comme les Québécois d’origine, ne forment pas des groupes de parents homogènes ».
Tous pour une école en santé!
Des parents engagés dans l’apprentissage et la réussite de leurs enfants. L’école et la communauté qui évoluent dans un esprit de collaboration. Une équipe-école capable de faire face à des enjeux éthiques et prendre les meilleures décisions pour le mieux-être de tous les élèves. Des enseignants qui développent leurs forces de caractère pour persévérer. Un meilleur arrimage entre l’université et le milieu scolaire pour faciliter l’insertion professionnelle. Telles sont tirées à grands traits quelques-unes des solutions pour faire de l’école québécoise un milieu propice au développement scolaire des élèves… et à l’épanouissement professionnel des enseignants!