En génétique, l’expression « malédiction maternelle » désigne le phénomène par lequel certains gènes défectueux ne sont transmissibles aux enfants que par la mère et affectent surtout la santé et la reproduction des garçons qui en sont porteurs. Au Québec, cette « malédiction maternelle » aurait favorisé la transmission d’une maladie génétique rare affectant la vision – la neuropathie optique de Leber – de 1670 à 1960. Ce résultat ressort d’une étude publiée dans Nature Ecology & Evolution, dont l’auteur principal est le professeur Emmanuel Milot de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
« Grâce à des travaux menés précédemment par d’autres chercheurs, nous savions qui était la première femme arrivée en Nouvelle-France porteuse du gène responsable de cette maladie de Leber. Il s’agissait d’une Fille du Roy dont le premier enfant est né en 1670. Nous avons tracé l’arbre généalogique de la descendance de cette femme sur trois siècles, à partir du Registre de la population du Québec ancien et d’un registre de la population québécoise appelé fichier BALSAC », d’expliquer le professeur Milot.
Des résultats novateurs
Sachant que le gène défectueux causant la neuropathie optique de Leber était transmis uniquement par les femmes à tous leurs enfants, l’équipe de recherche a pu établir qui était porteur du gène parmi les descendants de cette Fille du Roy. Elle a ainsi retracé le parcours de la mutation génétique reliée à la maladie de Leber sur près de 300 ans, une première dans le monde scientifique.
Les chercheurs se sont aussi intéressés à la santé et au succès reproducteur des descendants de la première femme porteuse du gène défectueux, à partir d’indicateurs tels que la mortalité infantile, la probabilité de mariage et la fécondité. Ils ont ainsi découvert que les hommes porteurs du gène défectueux présentaient un taux de mortalité infantile (avant l’âge d’un an) plus élevé que dans le reste de la population masculine. Cet effet de la mutation génétique n’avait encore jamais été documenté dans la littérature médicale. Chez les femmes porteuses, le gène défectueux ne semblait pas avoir d’effet significatif sur la santé ou la survie.
Pourquoi certains gènes ne sont-ils transmis que par la mère?Lorsque le spermatozoïde et l’ovule fusionnent pour créer un nouvel être humain, ce dernier hérite des gènes contenus dans ces deux cellules reproductrices. L’enfant à naître obtient donc deux copies de chaque gène… ou presque! En effet, un petit nombre de gènes, situés uniquement dans les mitochondries de l’ovule, ne sont transmis que par la mère. Véritables centrales d’énergie de la cellule, les mitochondries possèdent leur propre ADN. Elles contiennent peu de gènes (représentant moins de 0,001 % du bagage génétique de l’individu), mais ceux-ci peuvent avoir un effet important. Le gène relié à la maladie de Leber étant situé dans les mitochondries, il ne peut donc être légué que par la mère. |
En faisant le suivi d’une mutation génétique sur 300 ans d’histoire humaine – une innovation en soi – et en découvrant que seule la longévité des hommes était affectée par le gène causant la maladie de Leber, le professeur Milot et ses collaborateurs ont ainsi mis en évidence un phénomène de « malédiction maternelle ».
La « malédiction » à l’œuvre
Les résultats obtenus permettent aussi d’expliquer pourquoi la transmission du gène défectueux n’a pas été ralentie dans la population québécoise, au fil des générations. La santé des femmes porteuses n’étant pas affectée, celles-ci pouvaient continuer d’avoir des enfants et de leur transmettre ce gène.
« Si le gène défectueux avait nui à la santé et la reproduction de toutes les personnes porteuses, peu importe leur sexe, il se serait raréfié au fil du temps, car peu d’enfants en auraient hérité. Dans ce cas, la sélection naturelle aurait fait son œuvre en faveur de la disparition du gène défectueux. Cependant, ce n’est pas ce qui est arrivé, en raison de la malédiction maternelle. Cette dernière a plutôt contribué à maintenir la présence du gène responsable de la maladie de Leber au Québec, à travers les siècles », de conclure Emmanuel Milot.
Notons que le professeur Milot a mené cette étude en collaboration avec des chercheurs du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine ainsi que de l’Université de Montréal, de l’Université de Sherbrooke et de l’Université McGill.
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