Il peut être difficile, parfois même périlleux d’aborder certains sujets délicats avec les jeunes. La drogue, entre autres, fait partie de ces thématiques sensibles. Selon Sivane Hirsch, sociologue et professeure au Département des sciences de l’éducation de l’UQTR, il existe pourtant des méthodes efficaces pour encadrer le dialogue.
À l’aube de la légalisation du cannabis au Canada, plusieurs s’interrogent sur le rapport que les jeunes pourraient développer avec les drogues. En matière d’éducation notamment, on craint que la question soit abordée de façon inadéquate. D’entrée de jeu, la professeure Hirsch rappelle que les changements dans la législation entourant le cannabis ne concernent pas les mineurs.
« Le cannabis demeurera interdit aux jeunes. C’est comme pour la cigarette et pour l’alcool : l’enseignant ne pourra pas en faire la promotion. Par contre, ce que l’enseignant pourra faire, c’est d’en discuter de façon générale. Il pourrait par exemple expliquer pourquoi il y a eu des changements dans la loi, et ce que ces changements impliquent », note-t-elle.
« Les enseignants n’ont pas le droit d’amener les élèves à faire des choses illégales. Dans leur façon de présenter le sujet, ils doivent toujours respecter la loi. Ils pourraient amener les élèves à débattre sur l’impact de la consommation de cannabis en bas âge, mais ça doit être clair dans le discours que c’est un acte illégal », ajoute la professeure.
Quoi dire et ne pas dire ?
D’un point de vue éthique, les enseignants doivent demeurer neutres dans leurs propos. Ainsi, ils n’ont pas le droit d’exprimer leur opinion personnelle sur la légalisation du cannabis. Ils ont en plus le devoir de promouvoir les valeurs de la société québécoise, même si ces valeurs impliquent la légalisation d’une drogue douce.
« Si le cannabis devient légal, les enseignants ne peuvent pas dire que c’était une mauvaise idée de le légaliser. C’est légal, un point c’est tout », précise Mme Hirsch.
Malgré cela, un sujet comme le cannabis peut apparaître comme un terrain miné lorsqu’on s’adresse à une salle de classe. La professeure en sciences de l’éducation croit pourtant que le contexte actuel de légalisation constitue l’ouverture idéale pour faire réfléchir les élèves.
Quant à savoir si ceux-ci possèdent suffisamment de maturité pour parler d’un sujet comme la drogue, la sociologue affirme qu’il existe un repère assez simple. « Il faut en parler à partir du moment où les élèves posent des questions. C’est un sujet provocateur, et ils en entendent parler abondamment. S’ils insistent pour en discuter, c’est parce qu’ils sont intéressés par ce thème », assure-t-elle.
Développer sa propre opinion
La professeure croit toutefois que parler du cannabis n’est pas la clé en soi. Selon elle, l’enseignant ne doit pas se contenter d’aborder le sujet : il doit aussi être en mesure de développer un dialogue sur les enjeux qui l’entourent.
« On ne va pas dire à l’élève si c’est bien ou pas, on va plutôt l’inviter à élaborer son propre point de vue, à l’aide d’arguments clairs et défendables. L’idée, c’est d’expliquer comment traiter d’un sujet sensible », expose la professeure.
Une responsabilité partagée
Au cours des dernières années, la société québécoise s’est souvent demandé qui avait le rôle d’éduquer les jeunes sur les phénomènes de société. Pour Mme Hirsch, tant les parents que l’école ont un rôle à jouer dans la préparation des changements sociaux.
« Si la société adopte une loi, les parents ont la responsabilité de s’assurer que leurs enfants n’enfreignent pas cette loi. L’école a aussi un rôle à jouer dans cette responsabilisation, dans la mesure où les élèves sont à l’école une bonne partie de leur journée. Leur milieu scolaire devient leur milieu social. Dans cette situation, c’est parfait pour les enseignants d’éthique de culture religieuse, car ils savent comment traiter des thématiques éthiques de façon à les rendre intéressantes », avance la sociologue.
L’enjeu des médias
La légalisation du cannabis a fait couler beaucoup d’encre depuis son annonce par le gouvernement Trudeau. Elle fait ainsi l’objet d’un débat de société hautement médiatisé, auquel les jeunes assistent un peu malgré eux. Mme Hirsch déplore cependant que bien des arguments amenés par les analystes soient faux.
« On entend par exemple que si on laisse les jeunes fumer du cannabis, ils vont forcément essayer d’autres drogues. En éthique et culture religieuse, on appelle ça la pente fatale. L’enseignant doit alors aider l’élève à distinguer les arguments qui sont acceptables dans un débat social. En même temps, il y a beaucoup d’arguments possibles : médicaux, juridiques, sociaux, etc., donc ça peut devenir un sujet très riche », conclut la professeure.
À titre de référence, Mme Hirsch invite la population à consulter le guide pédagogique Vivre ensemble : aborder les sujets sensibles avec les élèves, préparé à l’intention du personnel scolaire de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.