Avec l’apparition des réseaux sociaux numériques, le grand public s’est retrouvé avec un accès inédit aux moyens de diffusion à grande échelle. Les possibilités de ces outils Web semblent cependant avoir suscité une diversité de motivations chez les utilisateurs. Le professeur Dominick Gamache, du Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières, s’est penché sur la question.
L’univers des réseaux sociaux est un environnement dans lequel on retrouve de tout. Il n’est donc pas surprenant que les visées de chacun ne soient pas les mêmes. « Il faut voir l’ensemble comme un phénomène complexe. En fonction de sa personnalité, chacun a des motivations différentes. Je pense que les gens peuvent publier du contenu pour plusieurs raisons, certaines un peu plus saines que d’autres », précise le professeur Gamache.
Ainsi, certaines personnes se servent des différentes plateformes numériques de façon altruiste. Elles cherchent ainsi à influencer les autres de manière positive, à dénoncer les injustices, à prendre position sur des problèmes sociaux, ou encore à amasser des fonds pour une cause noble.
En se dévoilant sur les réseaux sociaux, d’autres espèrent compenser un sentiment de faiblesse et de vulnérabilité. Celles-ci voient en ces outils l’occasion de se mettre en valeur, et de partager leur opinion. Dans certains cas, cela peut même venir réparer quelque chose qui était blessé en eux.
Enfin, il existe une catégorie d’utilisateurs qui se caractérise par sa recherche d’admiration. « Sur le Web, les gens peuvent aussi avoir ce genre de motivation. Spontanément, on pourrait penser à certaines célébrités des réseaux sociaux, qui semblent vouloir se mettre en valeur, être admirées et atteindre la gloire », lance M. Gamache.
Personnalités à risque
Il existe encore peu d’études traitant du lien entre la personnalité et l’utilisation des réseaux sociaux. Toutefois, le professeur Gamache souligne que ce champ de recherche est en émergence, puisqu’un certain nombre de travaux ont été réalisés sur la question au cours des dernières années. Ainsi, les chercheurs ont pu constater que certains types de personnalité sont plus susceptibles de se manifester lors de la navigation sur le Web.
« On pourrait penser aux gens ayant des personnalités narcissiques. Ceux-ci ont besoin d’être admirés, de se mettre en valeur, et d’être reconnus pour leurs réalisations. Ils ont notamment l’impression de posséder des qualités et des aptitudes supérieures aux autres. Pour cette raison, ils passent beaucoup de temps à imaginer la gloire et la reconnaissance qu’ils veulent atteindre », explique-t-il.
Plusieurs utilisateurs des réseaux sociaux adoptent également des comportements pouvant être associés à la personnalité histrionique. Celle-ci se caractérise entre autres par une recherche d’attention, un besoin d’être au centre des discussions, et une obsession pour son apparence et son corps.
« Ça n’a pas encore été beaucoup documenté, mais on pourrait imaginer que ce type de personnalité puisse être attiré vers ce genre de plateformes. Ces outils peuvent mettre en valeur l’apparence, le corps, et tout ce qui permet à la personne de bien paraître », indique M. Gamache.
Le professeur mentionne également que ces personnalités n’apparaissent pas toujours sous leur forme complète ; elles peuvent aussi se limiter à certains traits. Mais d’une manière ou d’une autre, M. Gamache constate que les cas reliés à la personnalité narcissique ont tendance à se multiplier au sein de la population.
« Quand on regarde l’évolution du narcissisme pathologique dans la société, on voit que les taux moyens sont à la hausse depuis quelques années. Cependant, ça devient très difficile de dire si les réseaux sociaux sont responsables de l’augmentation de ce taux. Est-ce que notre société se «narcissise» à cause de Facebook, Instagram et YouTube, ou est-ce que ces plateformes prennent leur envol parce que le narcissisme est en hausse ? Pour l’instant, il n’y a pas de certitude là-dessus, mais comme dans bien des choses en psychologie, l’influence va possiblement dans les deux directions », lance M. Gamache.
Réactions dans l’immédiat
Le rapport quelque peu malsain qu’entretiennent certaines personnes avec les réseaux sociaux peut s’expliquer de plusieurs façons. À ce sujet, le professeur met en relief une problématique propre à notre époque : la recherche d’instantanéité.
« Aujourd’hui, si quelqu’un ne répond pas immédiatement à nos textos, notre anxiété monte, parfois même au point de susciter la colère et la rage. On dirait qu’il faut obtenir rapidement une rétroaction sur tout ce qu’on fait, ainsi qu’avoir la possibilité de réagir instantanément à tout ce que les autres font. Les jeunes, surtout, semblent de plus en plus incapables de retarder une satisfaction », constate M. Gamache.
Selon le professeur, cette impatience pourrait en partie s’expliquer par le côté addictif des réseaux sociaux. Lorsque les producteurs de contenu reçoivent de la rétroaction positive, ils peuvent mesurer leur appréciation en clics ou en « Mentions J’aime ». Pour certaines personnes, ces chiffres deviennent le reflet de leur valeur en tant qu’individu. Ces gens peuvent même avoir l’impression d’être en compétition avec les autres utilisateurs.
« Ces problèmes vont surtout se manifester chez les personnes présentant des troubles de la régulation de l’estime de soi, une problématique étroitement liée au narcissisme pathologique. En fait, ces personnes ont de la difficulté à réguler leur estime de façon saine. Pour cette raison, elles peuvent avoir besoin des autres pour y arriver. Cependant, lorsque les autres leur renvoient une image positive, leur estime devient très gonflée », affirme M. Gamache.
Ouvrir la réflexion
Sans aucun doute, les réseaux sociaux ont démocratisé l’accès au public à des moyens de diffusion efficaces. Toutefois, cet accès facilité a donné lieu à la mise en ligne de spectacles tout à fait aberrants.
« Il y a des exemples où ça s’est rendu très loin. Je pense entre autres à Luka Rocco Magnotta. Il s’agit de la mise en scène la plus macabre, la plus dramatique qui soit. Il faudrait voir si ces cas extrêmes ont tendance à se généraliser, mais je préfère croire qu’il s’agit de l’œuvre d’individus présentant des troubles mentaux et psychiatriques sévères », commente-t-il.
Encore une fois, il est difficile de déterminer si la nature des réseaux sociaux encourage ce genre de comportements, ou si ce sont les utilisateurs qui choisissent de se servir de ces plateformes de façon indécente. Quoi qu’il en soit, le professeur Gamache croit qu’une réflexion collective sur ces outils s’impose.
« Nous avons très probablement un examen de conscience à faire. Socialement, la meilleure position face à ce contenu est de ne pas cliquer dessus, de ne pas le partager et de ne pas y réagir. En fait, la consommation des gens est devenue un peu paresseuse : on surfe sur Internet sans nécessairement porter attention à la qualité et à la richesse du contenu que l’on visionne. Or, si on alimente la bête, la bête continue à grossir », conclut-il.
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Sources :
Twenge, J. M. (2011). Culture and narcissism. Dans W. K. Campbell & J. Miller (Éds.), Handbook of narcissism and narcissistic personality disorder (pp. 202–209). New York, NY: Wiley.
Twenge, J. M., Konrath, S., Foster, J. D., Campbell, W. K., & Bushman, B. J. (2008). Egos inflating over time: a cross-temporal meta-analysis of the Narcissistic Personality Inventory. Journal of Personality, 76(4), 875-902.