Ce ne sont pas moins de 34 jeunes travailleurs qui se blessent chaque jour, seulement au Québec. Et la chercheuse Alexandra Lecours en a rencontré plusieurs dans son ancienne vie d’ergothérapeute clinicienne au CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, où elle a œuvré auprès des travailleurs accidentés, de 2006 à 2014. « Il y a des jeunes de 20 ans qui se blessent, qui se coupent un membre par accident. Leur vie est hypothéquée par la suite », affirme la doctorante en sciences biomédicales. L’enjeu l’interpelle grandement et elle décide d’en faire son projet de doctorat, dirigé par le professeur Pierre-Yves Therriault du Département d’ergothérapie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
« Dans mon travail en clinique, j’ai constaté que ces jeunes n’ont pas beaucoup d’outils pour gérer leur quotidien sur le plan de la santé et sécurité au travail. Ils ne savent pas trop comment agir pour éviter de se blesser. J’essayais de faire de la formation avec eux, mais ce que je pouvais faire en intervention individuelle auprès d’un client à la fois restait limité », relate Alexandra, qui détient une maîtrise en sciences de l’activité physique à l’UQTR.
Trois grands constats
La jeune chercheuse, qui est également chargée de cours à l’UQTR, prend donc le taureau par les cornes et entame sa réflexion. Premier constat : plusieurs facteurs sont en cause, mais il y en a un qui ressort davantage du lot, à savoir le manque de formation à la prévention dans le cadre des formations professionnelles pour les métiers considérés comme à faibles risques de blessures. Pensons, par exemple, aux coiffeuses, chez qui des positions de travail peu naturelles (épaules très élevées, poignets en extension) et des gestes répétitifs pendant plusieurs heures par jour peuvent générer de l’inflammation aux articulations et augmenter le risque de développer des blessures musculosquelettiques, comme des tendinites ou des épicondylites.
Deuxième constat : les enseignants sont, comme l’image Alexandra, des « superhéros » de la formation à la prévention. Toutefois, poursuit-elle, « s’ils ont à cœur de bien former les jeunes, ils font également face à plusieurs défis, dont le manque de ressources pédagogiques qui tiennent compte des spécificités des risques associés aux métiers qu’ils enseignent ».
Troisième constat, selon la doctorante : « Ce qui se fait aujourd’hui, c’est beaucoup mieux que voilà dix ans. Par contre, c’est inégal. Les métiers à haut risque, par exemple dans le domaine de la construction, bénéficient d’un grand nombre de ressources et d’une formation rigoureuse au sein du programme professionnel. En contrepartie, les métiers considérés à risques faibles ont peu de ressources, mais leurs besoins sont tout aussi grands. »
Agir en amont
Partant notamment de ces constats, elle se pose la question suivante : que doit-on faire pour améliorer le coffre à outils de ces jeunes pour qu’ils entrent sur le marché du travail avec un meilleur bagage en prévention des blessures? Selon Alexandra, la prévention doit avant tout passer par les enseignants : « Ce sont eux qui transportent le message, qui peuvent influencer les comportements des jeunes, mais ils n’ont pas beaucoup de ressources pédagogiques sur la prévention en santé et sécurité. »
Ciblant quatre métiers, soit la cuisine, la coiffure, le secrétariat et l’aménagement paysager, Alexandra a mis sur pied un projet de formation à la santé et sécurité au travail en partenariat avec des écoles professionnelles. Celui-ci s’appuie sur une méthode qui a permis de :
- Identifier cinq grands comportements que l’ensemble des travailleurs devraient adapter dans leur quotidien pour agir de façon préventive et éviter de se blesser.
- Comprendre les particularités liées aux métiers visés, grâce à l’observation et à des entrevues avec les élèves et les enseignants de chacun des programmes d’études.
- Contextualiser les cinq grands comportements de façon spécifique à chacun des quatre programmes ciblés.
Outils et ateliers pour la prévention
La finalité de la recherche consiste à concevoir des outils pédagogiques et à implanter des ateliers de formation spécifiques aux métiers visés, afin d’outiller les enseignants dans leur rôle de soutien au développement des comportements préventifs chez les élèves, et d’en évaluer l’impact concret.
« En bref, nous avons réussi à soutenir nos superhéros enseignants et nous avons permis aux élèves de garnir leur coffre avec les bons outils. Cela aura permis d’améliorer les comportements de prévention des jeunes travailleurs à l’entrée sur le marché du travail », souligne Alexandra Lecours, qui entame un postdoctorat à l’Université de Sherbrooke en vue de s’attaquer à un autre enjeu social : les comportements que les travailleurs peuvent adopter, cette fois pour préserver leur santé mentale et psychologique.