Ils écoutent de la musique latine, mangent libanais, regardent des films français, voyagent en Scandinavie ou apprennent des danses africaines. Comparativement à leurs parents et grands-parents lorsqu’ils avaient leur âge, les jeunes d’aujourd’hui sont beaucoup plus exposés aux cultures du monde entier. Mais quels sont les effets de ces expositions sur l’ouverture aux autres?
Professeure au Département d’études en loisir, culture et tourisme de l’UQTR, Marie-Claude Lapointe tente de trouver réponse à cette question. Avec son collègue Gilles Pronovost, elle étudie le cosmopolitisme culturel et ses sources d’influence.
« La révolution numérique a facilité la mise en contact avec les expressions culturelles d’ici et d’ailleurs. Est-ce que cette mise en contact favorise l’émergence de nouvelles formes de pratiques culturelles et l’ouverture aux autres? Nous voulons savoir si les consommations et pratiques culturelles témoignent d’une véritable attention portée à l’altérité culturelle ou si, au contraire, elles favorisent une sorte de repli sur soi », explique la professeure.
Par exemple, l’attrait d’un jeune pour le cinéma allemand l’inciterait-il réellement à plonger dans cette culture pour la découvrir davantage? Sera-t-il plus curieux de découvrir sa gastronomie, ses modes vestimentaires et ses influences musicales? Sera-t-il intéressé à y voyager? D’un autre côté, est-il possible que nous assistions plutôt, de façon générale, à une consommation banalisée, ordinaire, bien loin d’une ouverture internationale?
« Les influences et les opportunités culturelles sont nombreuses. Mais cela ne fait pas nécessairement en sorte que les jeunes saisissent les occasions ou qu’ils s’intéressent à la culture dont il est question au-delà de la consommation immédiate. Par exemple, avec les listes de lecture de musique, beaucoup de jeunes déclarent écouter de tout, ce qui pourrait être un signe d’ouverture, mais ils ont de la difficulté à nommer des chanteurs ou des groupes parce que leurs listes sont souvent générées automatiquement. Cela questionne la réelle influence de cette musique et ne semble donc pas mener de facto à une plus grande ouverture culturelle », renchérit celle qui s’intéresse aux pratiques culturelles des Québécois depuis 2006.
Selon différentes études, le cosmopolitisme ne renvoie pas à un comportement unidimensionnel ou à un état, mais plutôt à une multitude de possibilités d’investissement personnel et social. Chez certains jeunes, on observe un cosmopolitisme de faible intensité, axé sur la consommation passagère. Chez d’autres, le cosmopolitisme peut mener à des engagements importants, voire devenir un mode de vie. Ces diverses postures paraissent le long d’un continuum sur lequel un même jeune peut se situer à différents niveaux, à différentes périodes de sa vie.
Cosmopolitisme esthétique et culturel chez les jeunes
Pour la présente recherche, Marie-Claude Lapointe et Gilles Pronovost ont choisi de se pencher sur le cosmopolitisme esthétique (ouverture à une grande diversité d’expériences artistiques) et culturel (ouverture aux différences culturelles) en ciblant précisément les jeunes de 15 à 29 ans.
« Les jeunes sont les plus forts consommateurs de contenus culturels globalisés et locaux, qu’il soit question de médias sociaux, de jeux vidéo, de musique, de gastronomie, etc. Ils présentent aussi des usages identitaires des ressources culturelles intenses. Finalement, ils sont les acteurs de la montée en puissance des réseaux et de la transformation des hiérarchies de valeurs. Leur monde édicte moins facilement des normes culturelles univoques et universelles puisque le champ des produits à hiérarchiser emprunte à des cultures étrangères aux normes esthétiques différentes, où l’on valorise la diversité », souligne Mme Lapointe.
Une recherche en deux temps
Pour voir si les consommations et pratiques culturelles témoignent d’une ouverture culturelle, Mme Lapointe et M. Pronovost mènent présentement des entretiens auprès des jeunes Québécois pour identifier et décrire les caractéristiques et dimensions du cosmopolitisme esthético-culturel. Ils feront ensuite un sondage auprès d’un échantillon représentatif de la population à l’étude pour mesurer ces caractéristiques.
Les résultats finaux de cette recherche de quatre ans, qui a reçu le soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), sont attendus pour 2021.