De nombreux animaux émettent des sons afin de communiquer avec leurs congénères, attirer un partenaire en période d’accouplement, défendre leur territoire ou signaler la présence d’un prédateur ou d’une proie. Cependant, les cris et les chants de la faune peuvent être perturbés par les bruits produits par les humains. Comment les animaux réagissent-ils à cette pollution sonore? Des étudiants en sciences de l’environnement de l’UQTR ont réalisé une méta-analyse sur le sujet, s’intéressant tout particulièrement aux oiseaux ainsi qu’aux grenouilles et crapauds. Leurs travaux montrent que certains oiseaux vont jusqu’à changer la fréquence de leur chant, pour contrecarrer les bruits générés par l’humain.
« Dans la littérature scientifique, il existait déjà de nombreuses études sur l’impact des bruits produits par l’humain sur les chants de la faune. Cependant, les résultats de ces études étaient variables : parfois les chants des animaux demeuraient inchangés, parfois leur fréquence augmentait ou diminuait, en réponse aux bruits des humains. Pour mieux comprendre les facteurs influençant les stratégies vocales des animaux, nous avons réalisé une méta-analyse sur le sujet », rapporte Irene Torrecilla Roca, postdoctorante en sciences de l’environnement, qui a mené ce projet en collaboration avec Louis Desrochers et Matteo Giacomazzo, doctorants en sciences de l’environnement.
Regrouper les données existantes
Une méta-analyse consiste à collecter les données disponibles de plusieurs études portant sur un sujet donné, afin de les combiner et de les réanalyser globalement. « C’est un outil très puissant. Grâce à la grande quantité de données recueillies, il est possible de faire ressortir des tendances plus générales qui ne seraient pas visibles autrement », précise Matteo.
Les trois chercheurs souhaitaient réaliser une méta-analyse plus particulièrement sur l’effet des bruits humains chez les oiseaux ainsi que les anoures, c’est-à-dire les batraciens sans queue (grenouilles, crapauds). Ils ont donc effectué des recherches sur le Web scientifique afin de repérer des articles traitant de ces animaux et de la fréquence de leurs chants, en présence ou non de bruits humains. Ils ont ainsi retenu 36 articles fournissant des renseignements sur 55 espèces d’oiseaux et 9 espèces d’anoures.
« Nous avons extrait les données de ces articles et avons fait un travail statistique pour les uniformiser et pouvoir les comparer et les réanalyser », explique Louis.
Quand les bruits humains masquent les chants des oiseauxCette courte vidéo illustre la façon dont les bruits humains masquent certains chants d’oiseaux. Il s’agit d’une captation de bruits sur le campus de l’UQTR.À l’horizontale du graphique se trouve la ligne du temps. La verticale indique la fréquence (en hertz) des sons enregistrés.Lorsque démarre la vidéo, une ligne verticale se déplace vers la droite, indiquant le passage du temps. Vous pouvez entendre les bruits ambiants.Sur le graphique, les chants des oiseaux enregistrés (encerclés en rouge sur l’image ci-dessus) sont représentés par de petits bâtonnets verticaux plus foncés. Les chants des oiseaux se situent à différentes fréquences.À la mi-parcours de la vidéo, un nuage de points plus foncé (triangle jaune) apparaît au bas et au centre du graphique, dans les fréquences plus basses. Il s’agit du bruit produit par le passage d’une voiture.Vous pouvez constater que certains chants d’oiseaux, situés dans les mêmes fréquences que le son du véhicule, ne sont plus audibles (masqués par le bruit de la voiture). Cependant, les chants d’oiseaux situés dans les fréquences plus hautes ne sont pas affectés par ce bruit d’origine humaine. |
Résultats chez les oiseaux
En réexplorant les données disponibles, les étudiants ont pu découvrir que ce sont surtout les oiseaux de petite taille qui augmentent la fréquence de leur chant, lorsque ce dernier est masqué par des bruits humains.
« Les bruits d’origine humaine se situent surtout dans les basses fréquences. Ces bruits peuvent étouffer le son d’un oiseau qui chante dans ces mêmes fréquences. Pour contourner ce masque acoustique, les oiseaux de petite taille chantent en moyenne une octave plus aigu, soit 451 hertz plus haut, afin d’être mieux entendus », indique Matteo.
Les petits oiseaux qui chantent déjà plus aigu que les sons humains n’ont pas besoin, quant à eux, de modifier leurs vocalises.
« Les plus gros oiseaux, qui chantent plus grave, ne sont souvent pas en mesure d’émettre des sons suffisamment aigus pour sortir des fréquences des bruits humains, mentionne Louis. Ils démontrent moins de changement de fréquence dans l’aigu que les plus petits oiseaux. Ce résultat suggère que les gros oiseaux emploient des stratégies alternatives pour faire face au bruit. Puisqu’ils sont capables de chanter plus fort, ils pourraient utiliser cette tactique pour couvrir le bruit humain. Cependant, cela demeure une hypothèse, car notre méta-analyse n’a pu prendre en compte que la fréquence des chants et non leur puissance en décibels. »
Et les anoures?
« En ce qui concerne les grenouilles et crapauds, notre méta-analyse nous a permis de constater qu’ils présentent une grande gamme de réponses différentes, en réaction aux bruits des humains. Certains augmentent la fréquence de leurs cris et d’autres la diminuent, alors que des anoures ne montrent aucun changement. Ces animaux pourraient donc aussi utiliser d’autres mécanismes contre le bruit humain, comme chanter plus fort, car ils ont des chants parfois très puissants. Encore une fois, il s’agit d’une supposition, car la puissance du chant ne faisait pas partie de notre méta-analyse », de dire Irene.
Apporter un nouvel éclairage
En effectuant leur méta-analyse, les trois chercheurs ont constaté que peu d’études présentaient des données sur l’intensité des bruits, en décibels. Ils n’ont donc pu considérer cette variable dans leur projet. « C’est un constat important qui pourra servir aux chercheurs pour de futures études. Cela leur indique qu’il serait intéressant de mesurer non seulement la fréquence des bruits ambiants et animaux, mais également leur puissance en décibels », souligne Louis.
Publiée dans Behavior Ecology, la méta-analyse réalisée par les étudiants de l’UQTR a suscité de l’intérêt dans la communauté scientifique. Elle a permis d’établir que les changements de fréquence de chants constituent un mécanisme bel et bien utilisé par les oiseaux, en réponse aux bruits générés par l’humanité. Elle a aussi montré que ces changements sont liés à une caractéristique biologique, soit la taille de l’oiseau.
Un facteur à considérer
« La prochaine étape sera d’évaluer si la santé et la survie des oiseaux sont affectées par les bruits humains. La pollution sonore interfère avec le cri d’un animal et peut le déranger. Cet animal doit dépenser plus d’énergie pour s’adapter. Il peut aussi y avoir un impact sur la reproduction. Si un mâle doit chanter plus aigu, il pourrait devenir moins intéressant pour les femelles qui le percevraient alors comme moins gros », commente Matteo.
Outre la perte d’habitats, la pollution sonore vient s’ajouter aux problèmes actuellement rencontrés par les oiseaux. Ce facteur devrait donc aussi être pris en compte lors de l’aménagement de différents environnements et milieux naturels.
Les étudiants Louis Desrochers, Irene Torrecilla Roca et Matteo Giacomazzo ont réalisé leur méta-analyse sous la direction des professeurs Andrea Bertolo et Raphaël Proulx du Département des sciences de l’environnement. Ils ont également bénéficié de la collaboration des étudiants Patricia Bolduc, Raphaël Deschesnes, Charles A. Martin, Vincent Rainville et Guillaume Rheault, pour ce projet.