Sur la scène d’un crime, les malfaiteurs laissent souvent des traces. Certaines, bien que très petites, peuvent livrer des renseignements fort utiles aux enquêteurs. Ces microtraces, constituées de fibres, de peinture, de terre, de pollen ou autres substances, intéressent tout particulièrement le professeur en criminalistique Cyril Muehlethaler de l’UQTR. Ce dernier travaille notamment à mettre sur pied des bases de données pour différents types de microtraces, ce qui facilitera ensuite l’identification des échantillons trouvés sur les lieux d’actes criminels.
Pourquoi des bases de données?
Imaginons qu’un voleur utilise un pied-de-biche pour ouvrir la porte d’une maison. Un peu de peinture décolle de l’outil pour se retrouver sur la porte. Les enquêteurs recueillent cette microtrace. Mais que faire de cet indice en l’absence de matériel de comparaison (le pied-de-biche utilisé)? Quelle information peut-on en retirer?
« C’est là l’utilité d’une base de données, explique le professeur Muehlethaler. Elle permet d’emmagasiner des renseignements au sujet d’une vaste quantité d’échantillons différents, tels que leur marque, modèle, couleur ou composition. Dans l’exemple du cambriolage, nous pourrions découvrir que la microtrace prélevée sur la porte est celle d’une peinture utilisée pour la fabrication d’un pied-de-biche de telle marque, une information utile pour l’enquête. »
Microtraces de peinture
Avec la participation de Mylène Falardeau, étudiante au baccalauréat en chimie – profil criminalistique, le professeur Muehlethaler a créé une base de données de profils chimiques de différentes sortes de peintures représentatives du marché québécois. « Pour réaliser ce projet, nous avons eu la collaboration d’un écocentre qui nous a permis de recueillir une grande variété d’échantillons de peintures », rapporte le chercheur.
L’équipe a ensuite analysé les spécimens récoltés en utilisant des techniques comme la spectroscopie infrarouge. Les chercheurs ont ainsi pu identifier près de 200 peintures distinctes, dont les caractéristiques chimiques ont été enregistrées dans une base de données. « Notre méthode d’analyse nous permet, dans 99 % des cas, de bien distinguer un type de peinture d’un autre type de peinture. Un tel pouvoir discriminant est important lors d’une enquête, car il permet d’orienter les enquêteurs vers un nombre réduit de marques potentielles », souligne Cyril Muehlethaler.
Dans notre pays, la principale base de données concernant les peintures est gérée par la Gendarmerie royale du Canada. « Il s’agit de peintures d’automobiles, précise le professeur Muehlethaler. À partir d’un fragment de peinture de quelques millimètres à peine, cette base de données permet de connaître la marque, le modèle et l’année d’un véhicule. Outre les peintures, il existe aussi des bases de données pour d’autres types de microtraces, mais elles sont peu partagées par les laboratoires qui les ont développées. Des efforts sont faits actuellement pour favoriser davantage la mise en commun de ces données. »
Sacs de plastique
En plus des peintures, le professeur Muehlethaler consacre aussi ses efforts de recensement et d’analyse aux sacs de plastique. « Ce type de sac est souvent recueilli lors d’enquêtes criminelles. Il peut avoir servi, entre autres, à emballer, transporter ou jeter des objets liés à un crime, ou à envelopper des boulettes de drogue. Dans ce dernier cas, l’analyse du plastique utilisé pourrait, par exemple, révéler un lien entre différents cas de saisies de drogues, lorsque les trafiquants utilisent le même type de sac comme emballage », mentionne-t-il.
Pour mettre sur pied une base de données sur les sacs de plastique, Cyril Muehlethaler a travaillé avec l’étudiante Vanessa Moran (baccalauréat en chimie – profil criminalistique). Les chercheurs ont fait la cueillette d’un grand nombre de sacs de plastique de formats variés, provenant de 80 sources différentes (sacs achetés en magasin, sacs remis aux clients dans les boutiques, etc.).
« Tous les sacs que nous avons étudiés sont à base de polyéthylène, constate le professeur Muehlethaler. Il y a seulement de très petites différences entre chaque type de sac, directement liées à leur fabrication et à la densité du polyéthylène. Ces disparités sont observées en utilisant notamment les méthodes de spectroscopie infrarouge et Raman. Pour nos échantillons de plastique, nous avons obtenu un pouvoir discriminant un peu moins élevé que dans le cas de la peinture. Nous pouvons ainsi distinguer un type de sac d’un autre dans 80 à 90 % des cas. »
Aider les enquêteurs
Avec ses travaux, Cyril Muehlethaler espère sensibiliser davantage les enquêteurs à l’importance de la cueillette des microtraces sur les lieux d’un crime. « Actuellement, les forces policières se concentrent surtout sur le prélèvement d’ADN et de traces digitales pour identifier un suspect. Pourtant, les microtraces peuvent aussi fournir des informations fort utiles aux enquêteurs dès les premières phases de l’enquête. Il est important de recueillir les microtraces dès le début, avant qu’elles ne s’altèrent, et de les conserver pour analyse. Elles seront alors susceptibles de fournir des indices qui faciliteront ou orienteront le travail des enquêteurs lorsque les autres traces s’avèreront inexploitables », indique-t-il.