Les nouvelles avancées en intelligence artificielle, en communication sans fil et en robotique transforment actuellement les façons de faire dans les usines. Cette révolution industrielle – la quatrième de l’Histoire – a-t-elle un impact sur la santé et la sécurité des travailleurs? Professeur en génie industriel à l’UQTR et membre de l’Institut de recherche sur les PME, Adel Badri s’est attardé à cette question à l’intérieur d’un article publié dans la revue Safety Science.
« La transition vers l’industrie 4.0 comporte l’apparition de nouveaux risques pour les travailleurs. Ils doivent cohabiter avec des robots collaboratifs, appelés cobots, ou des véhicules autonomes. Ils gèrent un environnement technologique de plus en plus complexe. Ils évoluent aussi dans un système de production qui dépend grandement de la fiabilité des données informatiques », signale le professeur Badri.
Malgré l’importance de ce sujet, bien peu de chercheurs s’y sont intéressés jusqu’à maintenant. « En effectuant une vaste recension des publications, j’ai constaté que l’industrie 4.0 a fait l’objet de plusieurs articles scientifiques dans le monde depuis 2012. Cependant, un très petit nombre de chercheurs abordent l’aspect santé et sécurité des travailleurs en lien avec cette nouvelle révolution industrielle. Il reste donc beaucoup à faire pour identifier et analyser les dangers en présence », rapporte l’ingénieur junior.
Faire évoluer les normes
La nécessité de protéger la santé et la sécurité des travailleurs n’est plus à démontrer pour les entreprises. Ces dernières ont appris que l’avancement technologique à lui seul n’est pas gage de succès. En tenant compte également du facteur humain, l’industrie améliore sa productivité et réduit ses coûts.
« Dans le contexte de l’industrie 3.0, des lois, règlements et normes en santé et sécurité ont été mis en place et fonctionnent bien, protégeant les travailleurs, souligne le professeur Badri. Avec l’avènement de l’industrie 4.0, il faudra revoir ces encadrements en tenant compte du nouveau contexte technologique. Dans le passé, toutes les révolutions industrielles ont été suivies d’une nécessaire évolution en santé et sécurité. »
Tant que de nouvelles normes n’auront pas été établies, la sécurité des travailleurs de l’industrie 4.0 dépendra de la bonne volonté des employeurs. « Pour l’instant, les initiatives en santé et sécurité des entreprises en transition vers la nouvelle industrie demeurent fragmentées et isolées, ce qui ne facilite pas la concertation pour l’établissement de règlements ou normes partagés par tous », indique le chercheur.
Accroître l’expertise des travailleurs
Dans l’industrie 4.0, faire fonctionner une entreprise requiert des employés qualifiés et spécialisés, possédant de nouvelles compétences spécifiques. Cette main-d’œuvre experte se fait rare.
« L’enjeu majeur pour l’industrie 4.0 est de former les travailleurs et d’en recruter de nouveaux, mieux outillés. D’ici là, des lésions professionnelles de tout genre sont plus susceptibles de se produire, car la présence d’employés moins compétents entraîne un risque accru pour la santé et la sécurité. L’introduction de nouveaux outils et modèles industriels non testés préalablement peut aussi nuire aux travailleurs », note M. Badri.
L’humain : la priorité
Pour bien maîtriser la transition vers l’industrie 4.0 en matière de santé et sécurité, le professeur Badri recommande que les chercheurs, les experts et les industriels collaborent à la mise en place de solutions fiables et durables.
« Il faut l’apport de tous ces intervenants pour avoir une vision d’ensemble. La recherche interdisciplinaire contribuera à une meilleure intégration du travail de l’humain aux systèmes manufacturiers complexes. Les nouveaux environnements industriels doivent être centrés sur l’humain, la sécurité et le confort. Les robots et les travailleurs doivent coopérer de façon sécuritaire. Des détecteurs d’émotions humaines, par exemple, pourraient permettre aux machines autonomes de mieux interagir avec les travailleurs. Des applications de surveillance globale favoriseraient aussi la détection des dangers et la prévention des risques. Il faut également protéger les informations en circulation dans le système de production, en améliorant la cybersécurité », mentionne le chercheur.
Diffuser le savoir
Les travaux du professeur Badri ont intéressé nombre de lecteurs. L’article publié par le chercheur – avec le concours de deux collaborateurs – a été parmi les plus lus et téléchargés de la revue Safety Science, depuis sa parution en 2018. Ce succès a notamment valu au professeur Badri une invitation au plus important congrès scientifique francophone en génie industriel (CIGI QUALITA2019), pour l’animation d’une session.
« Je m’intéresse tout particulièrement à l’avènement de l’industrie 4.0 au sein des petites et moyennes entreprises québécoises. Je veux aider ces entreprises à penser à l’aspect santé et sécurité, dans ce contexte de révolution industrielle. En tant que professionnel qui doit suivre le Code de déontologie des ingénieurs, je ne peux me limiter qu’à certains risques, plus techniques et technologiques. Je m’ouvre donc à d’autres disciplines, comme les sciences de la gestion, pour bien couvrir tous les aspects de la santé et de la sécurité », précise-t-il.