Sans y être invités, les noms de marque, aussi appelés marques de fabrique, se sont implantés dans notre vocabulaire. Que ce soit dans la langue courante (Coke, Kleenex, Big Mac, etc.) ou dans quelques langues de spécialités : Google, Blue Tooth (nommé d’après un roi du Danemark, Harald Bluetooth), I Cloud, etc.
Mais, c’est surtout dans le domaine des produits et des spécialités pharmaceutiques que l’ensemble de ces dénominations forme un système structuré, et c’est un des rares domaines de l’activité humaine où les marques tiennent lieu de vocabulaire courant. Dans notre thèse de doctorat[i], nous avons démontré que l’ensemble de ces dénominations forme un système et comporte des régularités propres à toute structure linguistique, dont le mode de formation des marques, sur le même modèle que la formation des mots. Même si la thèse date, ses conclusions demeurent actuelles. Rappelez-vous, le cas échéant, votre dernière rencontre avec un professionnel de la santé où il a été question de produits ou spécialités pharmaceutiques. Quels termes étaient utilisés pour désigner les médicaments ?
Et les entreprises prennent très au sérieux le choix d’un nom pour un nouveau produit, à tel point qu’elles ont recours à des firmes spécialisées pour la création de leurs marques. Cela n’empêche pas le fait que le processus de création soit, à l’occasion, l’œuvre d’une seule personne et s’avère parfois anecdotique. Le sens de ces marques déposées n’est pas très transparent pour le profane, surtout qu’elles sont très souvent créées à partir de termes anglais.
J’ajouterai, pour compliquer les choses, que parfois un même médicament porte un nom de marque différent d’un pays à l’autre.
En ce qui concerne la transparence sémantique, je ne pense pas que le consommateur soit en mesure, par exemple, de déceler ce qui se cache sous le nom Viagra. Ainsi, la marque est formée de la base Vi– en lien avec vigor et vitality, accouplée avec le suffixe grec agra « prendre ». Mais le directeur de l’équipe de créatifs qui a créé la marque a précisé de ne pas porter attention à la marque elle-même, mais de penser à Niagara. Rappelons-nous que Niagara Falls a déjà été une destination célèbre pour les voyages de noces…
Mais, les marques assez courantes sont constituées du nom ou d’une partie du mal, ou encore de l’organe à soigner et du nom ou d’une partie du nom de l’ingrédient actif, ou l’inverse. On voit aussi la juxtaposition du nom du fabricant et de l’ingrédient actif.
Devinez l’origine des marques de médicaments
Prêtez-vous au jeu de deviner l’origine, soit le mode de formation ou l’étymologie, des marques de médicaments suivantes (les solutions se trouvent ci-dessous) :
1- Painkiller
2- Gardénal
3- Tylénol (pas facile, ne cherchez pas trop, ça pourrait vous donner des maux de tête)
4- Apo-Rosuvastatine
5- Calmylyn
6- Xanax
7- Cardizem
8- Sinutab
9- Ciprodex
10- ZZZQuil
Solutions
1-Painkiller
Facile à deviner, c’est un antalgique, littéralement « tueur de douleur », médicament populaire notamment au Québec il y a plusieurs années; il a été retiré du marché, je pense. Aucun rapport, un groupe de musiciens anglais porte de même nom.
2- Gardénal
De l’avis exprimé par un chimiste de Rhône (Poulenc) qu’il fallait garder –nal de véronal dans le nom (Petit Robert).
3- Tylénol
Contraction de para-acétyl-amino-phénol.
4- Apo-Rosuvuastatine
Modèle de marque fréquent pour les médicaments génériques. Soit, le nom du fabricant Apo- (de Apotex) plus le nom générique du médicament.
5-Calmylyn
De calm– et du suffixe –ylyn, suffixe fréquent dans les marques d’antitussifs. Ce médicament calme la toux.
6- Xanax
On l’utilise pour combattre la nervosité et l’anxiété. Donc, mélange des lettres x-a-n qui forme ici un palindrome.
7- Cardizem
De cardi– (cœur) et diltiazem, nom générique de l’ingrédient actif.
8- Sinutab
De sinus(ite) + tab (comprimé en français).
9- Ciprodex
De ciproflaxine + dexamethasone.
10- ZZZQuil
Nom d’un somnifère formé de l’onomatopée « zzz » accolée à quil, de tranquility. Ici, on a un cas fréquent, comme dans d’autres marques, d’homonymie ou de quasi-homonymie entre le mot anglais et son équivalent français. On peut présumer que c’est de tiré l’anglais; ce qui ne change rien ici à la compréhension.
Référence
[i] Analyse linguistique des marques de fabrique dans le domaine des médicaments : la formation d’un vocabulaire, Thèse de doctorat, Université Laval (1992).