La vie va trop vite. Nous avons de moins en moins de temps libre, et du travail par-dessus la tête. En vieillissant, ce sont des constats auxquels on s’habitue. On tend même à oublier le malaise qu’ils peuvent susciter. Quand on y réfléchit bien, est-ce normal de s’époumoner au travail ? De sacrifier sa vie personnelle pour remplir des obligations ? Ou même de surcharger ses vacances pour qu’elles soient les meilleures de tous les temps ?
Le 21 juin, c’est la Journée internationale de la lenteur. À cette occasion, Mélissa Thériault, professeure au Département de philosophie et des arts de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a pris le temps de formuler ses réflexions sur le rythme de vie effréné qui marque la vie universitaire d’aujourd’hui.
À quelle étape de la vie les choses commencent-elles à s’accélérer ? Comment et pourquoi cela se produit-il ?
« Les différentes étapes de la vie impliquent des défis différents. Ainsi, les années qui passent amènent de nouvelles responsabilités, qui s’ajoutent à une tâche souvent déjà lourde.
Je constate une augmentation alarmante du stress au sein de la communauté étudiante. Dans certains cas, c’est l’aspect financier qui les inquiète, alors les étudiants se mettent à travailler davantage. À l’époque, nos professeurs nous disaient que 15 heures de travail rémunéré par semaine, c’était beaucoup. Aujourd’hui, lorsque les étudiants ne travaillent que 15 heures par semaine, on les trouve exemplaires et impliqués dans leurs études !
D’autres étudiants négligent leur temps de sommeil, et ça devient «normal» pour eux. J’ai vu des étudiants de cycles supérieurs être contraints de prendre des congés de maladie. Il y a quelque chose qui ne va pas.
L’une des phrases qui m’a longtemps énervée, c’est «tu devrais faire du yoga». Chaque fois qu’on me disait cela, je sentais une pression de plus. Étais-je inefficace au point de ne pas réussir à «performer ma détente» ?
Pour plusieurs enfin, c’est l’arrivée des enfants qui chamboule l’horaire. C’est d’autant plus difficile pour les personnes qui sont ambitieuses à la fois dans l’éducation des enfants et dans le déploiement de leur propre carrière. Comment demeurer un parent présent alors que le travail demande toujours plus de disponibilité ? Mais avec ou sans enfants, la conciliation vie-travail demeure difficile pour la majorité d’entre nous. »
Qu’est-ce qu’on manque lorsque l’on embarque dans un rythme de vie effréné ?
« On manque la vie, tout simplement. Et on n’en a qu’une ! On manque le temps qui passe à travers ceux que l’on aime, on manque ces rencontres qui sont «maintenant ou jamais», et on manque la possibilité de réaliser des projets qui nous tiennent à cœur.
Prendre son temps ne signifie pas le perdre : c’est un mauvais calcul que de remettre à plus tard les petites choses qui font la valeur de la vie. Discuter avec son voisin et réaliser que cette personne a eu une vie stupéfiante, ce n’est pas une perte de temps. Cette curiosité pour autrui est enrichissante autant sur le plan professionnel que personnel. »
Pourquoi faut-il ralentir, et comment peut-on le faire ?
« Il faut prendre la décision et s’y tenir, mais ironiquement, c’est aussi simple que difficile. Pour ma part, j’ai eu un déclic quand j’ai vu que la date limite pour remettre un article était le 1er janvier. Est-ce que les éditeurs travaillaient vraiment le 1er janvier ? Si oui, je les plains. Pour bien faire son travail, il faut être reposé. Sinon, on devient moins efficace et, surtout, insensible à autrui. Comment peut-on comprendre les besoins d’autrui si on néglige les siens ?
C’est un aspect dont je discute souvent lorsque je fais du mentorat. Je comprends qu’il faille être vaillants et efficaces, mais aussi savoir s’imposer des limites. Cela ne signifie pas être désengagé ou moins passionné par son travail, ça veut simplement dire qu’on a la sagesse de garder du temps pour soi. »
Quand on dit qu’on relaxe, est-ce qu’on relaxe vraiment ?
« Ça dépend des gens ! Il faut faire une certaine introspection. Toutefois, si l’idée d’aller marcher sans votre téléphone vous fait paniquer, ce n’est pas seulement être incapable de relaxer, c’est de la dépendance !
L’une des phrases qui m’a longtemps énervée, c’est «tu devrais faire du yoga». Chaque fois qu’on me disait cela, je sentais une pression de plus. Étais-je inefficace au point de ne pas réussir à «performer ma détente» ?
J’ai mis beaucoup d’efforts à remplacer la phrase «je n’ai pas eu le temps» par «je n’ai pas pris le temps» (lorsque ça s’applique, bien sûr). En fait, nous disons «ne pas avoir le temps», alors qu’il faudrait plutôt dire que nous avons tout simplement «priorisé autre chose».
Pour ma part, j’ai réalisé que pour relaxer, je n’avais pas à faire du yoga, mais à retourner aux activités que j’aime profondément, même si elles impliquent une certaine fatigue. Par exemple, assister à des spectacles de musique devient difficilement conciliable avec mon travail (parce que c’est tard le soir), mais je me fais un point d’honneur d’y aller périodiquement, quitte à partir avant la fin.
Aussi, j’arrive à trouver du temps de relaxation parce que j’ai accepté une fois pour toutes que je ne serai jamais habillée à la mode, que ma coupe de cheveux sera souvent imparfaite, et que les huit saisons de Game of Thrones, ce sera pour plus tard… ou jamais ! »