Est-ce que fumer du cannabis génère un impact positif sur l’exercice du rôle parental ? À lire certains messages véhiculés dans les médias, on aurait tendance à croire qu’un parent qui fume un joint est plus attentif, patient, sensible envers ses enfants… Vrai ou faux, l’enjeu est inévitablement de santé publique : « Il nous manque des données scientifiques pour bien documenter l’impact positif ou négatif de la consommation de cannabis sur la capacité d’un parent à prendre soin de son enfant », lance Nicolas Berthelot, psychologue et professeur au Département de sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
La dernière enquête canadienne sur le cannabis suggère que 19 % des adultes âgés de 25 ans et plus consommeraient cette substance. « Nous pouvons donc présumer que plusieurs consommateurs sont parents d’un jeune enfant mais nous n’avons, à ma connaissance, aucune réelle donnée de prévalence chez les parents », précise le chercheur de l’UQTR. Le projet de recherche qu’il mène actuellement avec des collègues chercheurs vise à tracer le portrait des parents consommateurs de cannabis afin de valider ou non la véracité des perceptions véhiculées dans le discours social.
Deux discours contradictoires
Avec la légalisation du cannabis au Canada est apparue une nouvelle industrie, avec ses techniques de marketing et de mise en marché. Si toute forme de publicité mercantile est interdite pour les entreprises productrices de cannabis et les commerces – que ce soit une société d’État comme au Québec ou des magasins privés comme en Ontario – certains autres moyens de promotion sont utilisés, notamment la publication d’articles vantant les produits du cannabis sur des sites spécialisés comme Leafly.
Parmi les messages véhiculés, on remarque ceux valorisant les bienfaits de la consommation de cannabis auprès des parents : ceux-ci seraient plus chaleureux, plus patients, plus enclins à prendre soin de leur enfant et à jouer avec lui. Ces propos trouvent même écho dans de prestigieux médias de masse tels que le New York Times, Today’s Parent ou The Guardian.
À l’autre extrême, les publications gouvernementales désapprouvent la consommation de cannabis chez les parents. Par exemple, sur la page de Santé Canada dédiée au sujet, on lit que ce comportement peut affecter les interactions et le lien d’attachement avec l’enfant, compromettre la capacité du parent à prendre des décisions, à assurer la sécurité ou à réagir aux urgences.
« Entre les deux discours, il y a plusieurs nuances. Par exemple, est-ce que le parent consomme en présence de l’enfant ou non, est-ce une consommation récréative ou une dépendance, présente-t-il d’autres facteurs de risque liés à la santé mentale », explique le professeur Berthelot, dont la recherche s’inscrit dans le cadre des travaux du Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfant et la famille (CEIDEF) de l’UQTR et du Groupe de recherche auprès des enfants vulnérables et négligés (GRIN).
Tracer le portrait de la consommation chez les parents
L’équipe de chercheurs de l’UQTR mène actuellement un sondage anonyme auprès des parents qui consomment afin de connaître leur profil, le contexte de consommation et leurs perceptions vis-à-vis de l’utilisation de cannabis en lien avec la parentalité.
Outre le fait d’établir le profil des parents qui consomment du cannabis et le contexte de leur consommation, les chercheurs souhaitent étudier les effets du cannabis en lien avec le rôle parental : par exemple, les parents perçoivent-ils une hausse ou une baisse de la sensibilité vis-à-vis de leur enfant, sont-ils plus distraits, croient-ils que cela affecte leur capacité à répondre à ses besoins, etc. Les données recueillies permettront de poser les bases pour des études futures sur le sujet en soulevant des hypothèses en lien avec les effets indirects de la consommation du cannabis sur l’enfant et la qualité de la relation parents-enfant.
« À la suite de la légalisation au Canada, il y a une préoccupation dans la communauté, notamment auprès des organismes communautaires et de santé et services sociaux, sur la réponse objective à donner aux parents consommateurs de cannabis. En ce moment, les informations disponibles sont basées sur des opinions et des perceptions véhiculées dans les médias, ou sur des messages gouvernementaux réactifs face à cette nouvelle réalité. Il est donc urgent d’avoir des données scientifiques pour appuyer les intervenants », conclut Nicolas Berthelot.
Participez à l’étude sur la consommation de cannabis chez les parents
Pour en savoir plus
Lisez l’article intitulé « Parental Cannabis Use: Contradictory discourses In The Media, Governmental Publications and the Scientific Literature » publié dans le Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry.