Ce slogan publicitaire est désormais bien connu : « Vous voyez du rouge ? Allez voir votre médecin. » La phrase fait référence à la présence de sang dans l’urine, le principal symptôme du cancer de la vessie. Depuis quelque temps, les professeurs Gervais Bérubé (chimie, biochimie et physique) et Carlos Reyes-Moreno (biologie médicale) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) s’affairent à développer une molécule aux propriétés anti-inflammatoires pour prévenir ce type de cancer, qui est le cinquième plus fréquent au Canada. Les avancées qu’ils ont réalisées au cours des deux dernières années sont pour le moins remarquables.
Dérivée de l’acide aminobenzoïque, un produit naturel que l’on retrouve dans plusieurs aliments tels la levure de bière, le foie, les germes de blé et la mélasse, la molécule DAB-1 développée par MM. Bérubé et Reyes-Moreno a démontré son efficacité dans les essais en laboratoire. Son niveau de toxicité s’est également révélé peu élevé, ce qui est encourageant dans une perspective de traitement.
« Nous avons confirmé la validité thérapeutique de la molécule sur laquelle nous effectuons nos recherches. Actuellement, nous travaillons au développement d’une nouvelle famille de molécules, qui s’inspire de la molécule de base, mais qui est plus efficace. Cette famille pourrait avoir un intérêt thérapeutique non seulement pour le cancer de la vessie, mais aussi pour les cancers qui sont associés à l’inflammation, comme le cancer du sein », indique M. Reyes-Moreno.
« Il y a un énorme intérêt pour la molécule que nous fabriquons. Notre projet a initialement été supporté financièrement par une subvention cofinancée par la Société de Recherche sur le Cancer (SRC) et les Instituts de Recherche en Santé du Canada (IRSC). Par la suite, Aligo Innovation, une société de commandites, a même décidé d’investir certaines sommes pour nous appuyer dans le développement de nos molécules. Cela nous a permis de fonder une compagnie qui s’appelle Tri-Onco, et d’avoir accès à des subventions du ministère de l’Économie et de l’Innovation. Bref, notre projet avance bien à plusieurs égards », ajoute M. Bérubé.
La molécule développée par les chercheurs n’est cependant pas encore prête à être utilisée à des fins médicales. D’autres phases de tests sont nécessaires afin de bien comprendre son interaction avec le système immunitaire humain.
« Nous devons confirmer encore davantage l’intérêt thérapeutique de la molécule. Il faut donc passer des études en éprouvettes aux études sur les souris. Actuellement, ça fonctionne très bien avec les tumeurs animales des souris : nous sommes capables d’inhiber la croissance tumorale sur les tissus locaux et distants (métastases). Le problème avec ce modèle, c’est que nous sommes incapables d’évaluer l’impact de notre molécule sur le cancer humain, puisque la réponse immunitaire est différente chez l’homme et chez la souris », explique M. Reyes-Moreno.
« Nous nous sommes donc tournés vers des collaborateurs en Argentine pour apprendre un nouveau modèle tumoral. En gros, nous prévoyons utiliser un modèle humanisé du cancer de la vessie dans lequel le système immunitaire des souris sera éliminé, afin d’adapter le système immunitaire humain et permettre la croissance des tumeurs humaines. Nous serons ainsi en mesure de voir si les molécules ont un impact sur l’inflammation tumorale, et si elles pourraient constituer un traitement efficace contre certains cancers », précise le professeur.
Une découverte qui tombe à point
L’une des raisons pour lesquelles les travaux des professeurs Bérubé et Reyes-Moreno suscitent autant d’intérêt est que la synthèse de leur molécule est relativement facile à réaliser. De plus, le composé DAB-1 et ses dérivés pourraient aussi exercer une activité anticancéreuse/anti-métastatique sur plusieurs types de cancers, notamment ceux associés à une inflammation chronique.
« Les compagnies pharmaceutiques cherchent avant tout des molécules qui sont simples à fabriquer. Actuellement, les différents traitements contre le cancer consistent en de grosses protéines, qui inhibent certains aspects de l’inflammation ou de la réponse immunitaire. Or, les traitements de ce genre peuvent coûter entre 150 000 $ et 200 000 $ par année. Le fait de fabriquer des molécules plus simples pourrait réduire énormément le coût des traitements, ce qui est très intéressant du point de vue des dépenses en santé publique », avance M. Reyes-Moreno.
Face à ces perspectives encourageantes, les investisseurs de chez Aligo Innovation ont décidé de protéger les travaux de MM. Bérubé et Reyes-Moreno en appuyant le dépôt de demandes de brevet sur leurs molécules et leurs usages en cancérologie.
« Grâce à un investissement de plusieurs dizaines de milliers de dollars, Aligo Innovation nous a permis de breveter notre technologie. Nous avons fait le dépôt d’un PCT (Patent Cooperation Treaty), un brevet international. Aujourd’hui, nous en sommes à la phase nationale et visons ainsi différents pays, comme le Canada, les États-Unis, le Japon, la Chine et différents pays d’Europe », note M. Bérubé.
« Aligo Innovation a aussi fait des investissements importants dans la recherche clinique afin de vérifier l’activité biologique de nos molécules. Tous ces investissements nous permettent de faire des avancées non seulement sur le plan chimique, mais aussi sur le plan biologique », renchérit le professeur.
Une collaboration fortuite
La recherche sur le cancer implique bien sûr de nombreux intervenants. Toutefois, les circonstances qui amènent ces gens à travailler ensemble relèvent parfois du hasard.
« Au départ, nous travaillions de façon complètement indépendante. Ça faisait quelques années que j’étudiais le rôle de l’inflammation dans le développement du cancer, et j’ai réalisé que l’utilisation d’anti-inflammatoires pourrait être une avenue intéressante pour mes recherches », raconte M. Reyes-Moreno.
« De mon côté, je venais de recevoir les résultats de tests effectués sur des molécules que j’avais fabriquées, et je me suis rendu compte qu’il y en avait deux qui semblaient avoir des propriétés anti-inflammatoires intéressantes », se souvient M. Bérubé.
« Lorsque j’ai croisé Gervais dans le corridor, je lui ai expliqué ce que je cherchais, et il m’a présenté les résultats qu’il venait de recevoir. C’est comme ça que tout a commencé », conclut M. Reyes-Moreno.
Les chercheurs tiennent à remercier :
Les membres de l’équipe de M. Reyes-Moreno : Julie Girouard, Jovane Hamelin-Morrissette, Valerie Boulanger, Yassine Oufqir et Laurie Fortin.
Les membres de l’équipe de M. Bérubé : Alexis Paquin, Francis Cloutier, Émile Provost, Frédérique Ouimet et Catherine Lavallée.
Les anciens membres de l’équipe : Suzie Cloutier, Marie-France Leclerc, Lydia Savard, José-Mathieu Savard, Éric Bédard, Clodie Gagné-Blais, Maude Cloutier, Jérémie Ouellette, et Camille Shink.
Les membres d’Aligo Innovation : Christine Martens et Hélène d’Anjou.
Les collaborateurs de l’Université de Buenos Aires (Argentine) : Ana Maria Éijan, Denise Belgorosky et Ernesto D’Orio.
Les collaborateurs à l’interne : Djamel Ramla, Céline Van Themsche et Heidar-Ali Tajmir-Riahi.
La collaboratrice de l’INRS-Centre Armand Frappier Santé Biotechnologie : Isabelle Plante.
Les collaborateurs du Centre Hospitalier Affilié Universitaire Régional de Trois-Rivières : Robert Perron, Jean Gosselin, Lucie Charpentier et Christian Carrier.