Professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Sophie Desjardins présente ici des renseignements scientifiques sur le sommeil et prodigue quelques conseils, en lien avec le contexte actuel de pandémie.
Sommeil et système immunitaire
La pandémie de COVID-19 est un moment particulièrement indiqué pour décider de prendre soin de son sommeil étant donné qu’il existe des liens très importants entre ce dernier et le système immunitaire.
Des recherches fort intéressantes ont été menées ces dernières années et leurs résultats sont très à propos dans le présent contexte. Certaines de ces études ont eu recours à un protocole qui s’apparente au suivant : pendant toute la durée de la recherche, plus de 150 personnes volontaires sont mises en quarantaine, individuellement, dans une chambre d’hôtel. Elles se font administrer une dose précise de rhinovirus par voie nasale et elles sont suivies les jours subséquents par l’équipe de recherche afin d’évaluer qui deviendra infecté et qui présentera des manifestations objectives de maladie (p. ex. quantité quotidienne de mucus produit), après avoir été exposées on ne peut plus directement au virus.
Au terme de ces études, les chercheurs ont découvert que les participants qui dormaient moins de sept heures par nuit étaient trois fois plus susceptibles de développer un rhume que les personnes dormant huit heures et plus par nuit (ce risque montait à quatre fois chez ceux qui dormaient six heures et moins par nuit). Les participants qui avaient une efficacité de sommeil (ratio du temps passé à dormir sur le nombre d’heures passées au lit) de moins de 92 % étaient quant à eux 5,5 fois plus à risque de développer un rhume que ceux ayant une efficacité de sommeil de 98 % et plus après avoir été exposés au rhinovirus.
On a obtenu des résultats qui allaient dans le même sens dans des études qui portaient sur la vaccination. On sait désormais qu’après avoir reçu un vaccin contre la grippe, l’hépatite A ou l’hépatite B, les personnes qui n’ont pas un sommeil satisfaisant produisent moins d’anticorps que les autres. Dit autrement, chez elles, le vaccin est beaucoup moins efficace, et ce, tant immédiatement après son administration qu’avec le passage du temps. À titre d’exemple, les personnes qui dorment moins de 6 heures par nuit sont 12 fois plus susceptibles que les autres de ne plus être protégées du tout 6 mois après avoir été vaccinées contre l’hépatite.
Revoir nos habitudes de sommeil
On observe que le nombre moyen d’heures de sommeil a diminué de manière importante dans la population au cours des dernières décennies. La société rapporte vivre à un rythme effréné et avoir de la difficulté à tout concilier. C’est la raison pour laquelle plusieurs choisissent de couper là où ils sentent qu’ils peuvent le faire, c’est-à-dire dans leur sommeil. Le présent contexte entourant le coronavirus peut donc s’avérer une belle occasion de redonner à notre sommeil l’importance qui lui revient en veillant à combler nos besoins en la matière.
Avons-nous besoin de sept, huit, neuf heures de sommeil par nuit pour bien récupérer ? Les besoins varient en fonction des individus. Le moment est venu de savoir ce qu’il en est pour nous. Comment ? En se levant tous les matins à la même heure, et ce, indépendamment de l’heure à laquelle on s’est couché la veille et de la qualité de notre sommeil la nuit précédente. Cette heure de lever sera celle que nous aurons choisie et que nous conserverons à long terme, par exemple 6 h. Au bout de quelques jours, le réveille-matin ne sera plus nécessaire et le réveil se fera naturellement à cette heure. De même, le soir, on finira par se sentir somnolent à la même heure. Il sera alors temps de se mettre au lit. Quelle heure sera-t-il alors ? Sera-t-il 21 h, 22 h ou 23 h ? C’est cette heure qui nous révélera notre besoin « naturel et personnel » en heures de sommeil.
Pour mieux dormir
On entend souvent qu’il est bon de se coucher tous les soirs à la même heure. Ce n’est pas un conseil adéquat. Il est même néfaste de se mettre au lit, à une heure donnée, si on ne s’endort pas. On tournera alors d’un côté et de l’autre dans notre lit, on deviendra impatient et le sommeil tardera à se manifester. Il faut retenir qu’on doit se coucher uniquement lorsqu’on se sent somnolent.
Pour favoriser cette somnolence, on veillera, en fin de soirée, à se couper des réseaux sociaux, des bulletins de nouvelles, des courriels et des derniers indices du Dow Jones. D’une part, ils sont peu susceptibles d’apaiser notre esprit. D’autre part, à perceptions d’intensités lumineuses égales, la lumière émise par les écrans des ordinateurs, des téléviseurs et des téléphones mobiles active environ 70 fois plus les récepteurs photosensibles non visuels de la rétine que la lumière d’une lampe. S’exposer à ce type de lumière interfère grandement avec notre horloge biologique et retarde l’endormissement. Bien qu’il existe des filtres ou qu’il soit possible de télécharger des applications permettant de réduire la lumière de nos écrans, leur efficacité n’a pas encore été établie scientifiquement. On choisira donc plutôt, en fonction de nos intérêts personnels, d’aller marcher dans les rues de notre quartier, de lire un roman, d’écouter de la musique, de faire du tricot, de dessiner, de faire un casse-tête, de méditer, de faire du rangement, etc.
Alors qu’en soirée on s’assurera de tamiser l’éclairage, on fera tout l’inverse au lever en s’exposant à la plus grande luminosité possible, que cette lumière soit naturelle ou artificielle. On ouvrira donc bien grand les stores, les rideaux et, au besoin, on allumera toutes les lampes de la pièce où se trouve. La lumière est un synchronisateur important de notre horloge biologique.
Se définir une nouvelle routine
Parmi les autres synchronisateurs de cette horloge biologique, on retrouve nos activités (notamment professionnelles) et l’heure habituelle de nos repas. Dans le contexte de la COVID-19, ces repères temporels habituels sont chamboulés chez la plupart des gens ou sont peut-être même devenus inexistants, ce qui peut nuire à la régulation de leur horloge biologique et, par conséquent, à leur sommeil. Pour pallier ce changement, il leur sera fort utile d’instaurer une nouvelle routine dans leur quotidien.
Cette routine gagnera à inclure la pratique d’une activité physique comme la marche rapide, le vélo, la course à pied ou encore des séances d’entraînement effectuées à la maison. En effet, l’activité physique s’accompagne de multiples bienfaits dont celui d’optimiser le sommeil. Chez la plupart des gens, contrairement aux idées reçues, elle pourra être pratiquée à toute heure du jour, même en soirée, sans nuire au sommeil.
Il y a toutefois une période de pratique qui serait particulièrement propice au sommeil à venir. Lorsque le moment du sommeil approche, on assiste à un processus biologique normal : la baisse de la température corporelle. C’est en raison de cet effet que la pratique d’une activité physique entre 4 et 8 heures avant de se coucher (p. ex. entre 14 h et 18 h chez une personne qui se sent généralement somnolente vers 22 h) pourra agir comme catalyseur de la somnolence. En effet, l’activité physique s’accompagne d’une hausse de la température corporelle. Face à cette augmentation et afin de revenir à sa température moyenne, le corps mettra en branle les mêmes mécanismes de baisse de température que lorsqu’il se prépare au sommeil. Être actif physiquement dans cette période de la journée agira donc comme signal supplémentaire pour que l’organisme abaisse sa température interne, ce qui ira dans le même sens que le processus biologique conduisant au sommeil.
L’importance des liens sociaux
La pandémie est somme toute récente et, par conséquent, les résultats d’études la concernant se font rares pour le moment. Les recherches menées en Chine auprès de personnes confinées à la maison en raison du coronavirus et auprès du personnel médical traitant les patients atteints du virus nous ont néanmoins permis d’apprendre que plus grands étaient le soutien social et le capital social de ces participants, meilleure était la qualité de leur sommeil. Ce résultat suggère que le maintien des liens sociaux en cours de journée, même s’ils sont à distance, peut s’avérer une bonne façon de bien dormir la nuit venue dans ce contexte bien particulier qui est désormais le nôtre.