Difficile d’y échapper : que ce soit en ouvrant la radio, en allumant la télé, en tournant les pages du journal ou en naviguant sur Internet, le coronavirus est partout. En fait, le désormais célèbre virus prend tellement de place dans l’actualité qu’il relègue les autres sujets aux oubliettes. Mireille Lalancette, professeure au Département de lettres et communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), propose une analyse de cette situation qui, dans le domaine des communications, porte le nom d’éclipse médiatique.
« Une éclipse médiatique arrive lorsqu’un événement médiatique engendre une telle concentration de nouvelles autour d’un événement ou d’un thème qu’il reste peu ou pas de place afin de discuter d’autres sujets. On parle habituellement de plus de 20 % de l’espace médiatique portant sur un sujet », explique Mme Lalancette.
« L’événement en question peut être une catastrophe naturelle ou causée par l’homme, un rebondissement politique, un emportement médiatique lié à un enjeu social ou sportif, ou encore la mort d’une personnalité publique, sportive ou politique. L’accident ferroviaire de Lac-Mégantic, l’élection surprise de Donald Trump, le projet de loi sur les accommodements raisonnables, la participation des Canadiens aux séries éliminatoires, ainsi que le décès de la princesse Diana, constituent d’excellents exemples de ce phénomène », ajoute-t-elle.
Dans le cas présent, la COVID-19 attire tellement l’attention des journalistes que l’actualité au grand complet gravite autour d’elle. En conséquence, l’éclipse médiatique causée par la pandémie fait ombrage aux autres nouvelles d’intérêt.
« Dans les médias, il n’est plus question des enjeux des autochtones qui bloquaient tout récemment les voies ferrées afin de faire valoir leurs droits et de revendiquer. Le thème de l’environnement a également été mis de côté, alors que la crise climatique était un sujet important lors des élections fédérales de 2019 et des feux de forêt en Australie au début de l’année 2020 », rappelle la professeure.
Ne pas prendre le phénomène à la légère
S’il n’est pas rare de voir les médias couvrir frénétiquement les enjeux chauds de l’actualité, il ne faut pas confondre cette pratique avec le phénomène d’éclipse médiatique. Mme Lalancette précise qu’une telle mobilisation a des impacts importants sur les médias eux-mêmes, puisque ceux-ci font face à des considérations qui dépassent leurs préoccupations habituelles.
« Avec la pandémie de COVID-19, le modèle d’affaire des médias, déjà passablement mis à mal dans les dernières années, est encore plus affaibli par les baisses importantes des revenus liés aux ventes de publicité. Dans le contexte actuel du manque de ressources financières dans les médias traditionnels, il est difficile pour eux de couvrir autre chose que la crise sanitaire, ou de tenter de trouver des angles novateurs pour l’analyser », indique-t-elle.
« C’est sans compter que cette crise sans précédent prend une place phénoménale dans la vie de tous et toutes, et que la population cherche à s’informer par tous les moyens. À l’ère des fake news et de la désinformation, les médias prennent une importance névralgique, puisque leurs rôles de chiens de garde de la démocratie et d’informateurs en chef sont réaffirmés », renchérit la professeure.
L’hystérie entourant la propagation du coronavirus n’est pas propre aux médias traditionnels. En jetant un coup d’œil aux plateformes numériques les plus populaires, on constate que l’ombre de la COVID-19 s’étend même sur le contenu en ligne.
« L’éclipse médiatique est aussi vécue sur les médias sociaux, alors que les nouvelles concernant le virus sont partagées par les citoyens et les citoyennes, mais aussi par les gouvernements, les entreprises et les organisations de toutes sortes. En utilisant des plateformes comme Facebook, Twitter ou Instagram, les gens souhaitent informer leur réseau personnel des derniers développements. Dans un même ordre d’idées, les propos clés des conférences de presse quotidiennes du premier ministre Legault et de ses acolytes sont rapidement devenus des mots-clics », note Mme Lalancette.
Or, la professeure prévient qu’avec le volume important d’information qui circule, être au courant de ce qui se passe constitue un véritable défi. Elle conseille ainsi de vérifier la source de l’information consultée afin de valider si elle est fiable ou non. Elle souligne toutefois que la crise actuelle met également la capacité d’attention du public à l’épreuve.
« Étant donné le caractère déprimant et anxiogène des nouvelles quotidiennes, il y a un danger que le public se lasse et finisse par décrocher de l’information. Pendant une éclipse médiatique, la couverture du sujet d’envergure devient si importante que les citoyens et les citoyennes peuvent être tentés de fermer leur radio, leur télévision ou leur téléphone pour avoir un peu de répit. Dans la situation actuelle, cette réaction pourrait être lourde de conséquences, puisque les citoyens et les citoyennes risquent de rater des informations importantes en lien avec la crise sanitaire », expose-t-elle.
Dans les coulisses du monde politique
Comme l’éclipse médiatique est causée par une menace sociale, il revient aux politiciens et aux politiciennes de gérer le problème. Pour s’acquitter de cette responsabilité, ils doivent cependant mettre sur la glace leurs autres activités, comme l’étude des projets de loi et les commissions parlementaires.
« Toutes les énergies de la classe politique sont mobilisées dans la gestion de la crise : rapatrier les Canadiens et les Canadiennes, aider les gens éprouvant des difficultés financières, protéger la santé publique, etc. C’est sans compter que nos dirigeants doivent tenir compte des compétences provinciales et fédérales au moment de prendre des décisions », avance Mme Lalancette.
Pour que tous ces efforts ne soient pas vains, la professeure pense également que l’approche des gouvernements en matière de communication doit être adaptée au contexte.
« Les acteurs et actrices politiques doivent rapidement adopter les bonnes pratiques de la communication de crise. Ils doivent notamment imposer un cadre d’interprétation de la situation, mettre en place des mesures progressives, et mobiliser les experts afin d’expliquer la situation de façon claire et rassurante. Pour bien contrôler le message, ils doivent utiliser des approches traditionnelles (comme la conférence de presse et la publicité), mais également les médias sociaux, qui sont aujourd’hui essentiels pour informer la population », conclut-elle.