Une pelouse bien tondue fait souvent la fierté des propriétaires de terrains et des municipalités. Mais cette préférence pour un tapis vert au ras du sol est-elle bonne pour l’environnement ? Devrait-on opter pour un gazon court ou un gazon long ? Selon une étude menée par Christopher Watson, stagiaire postdoctoral en sciences environnementales à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), il y aurait de nombreux avantages écologiques et économiques à pratiquer des coupes moins intensives dans les pelouses urbaines.
Pour en arriver à cette conclusion, le chercheur et ses collaborateurs ont réalisé une méta-analyse en regroupant les données obtenues par plusieurs études effectuées en sol trifluvien, en Amérique du Nord et en Europe, entre 2004 et 2019. Ces recherches portaient sur l’impact de la tonte des pelouses sur de nombreuses variables (espèces de végétaux, insectes utiles et nuisibles, caractéristiques du sol, processus biologiques, etc.).
« Prise individuellement, chaque étude se déroule sur un horizon de temps limité et peut être influencée par les conditions météorologiques. En réunissant les données de plusieurs projets scientifiques grâce à la méta-analyse, nous pouvons aller au-delà du temps et des lieux pour obtenir un plus large aperçu de notre sujet de recherche », explique Christopher. Ce dernier a aussi réalisé une étude de cas avec la municipalité de Trois-Rivières, pour évaluer les coûts liés à une gestion plus ou moins intensive des pelouses.
Les multiples avantages du gazon plus long
La méta-analyse a permis de conclure qu’une réduction même modeste de la fréquence de tonte des pelouses urbaines peut apporter une foule de bienfaits. Elle permet d’abord de réduire la présence des mauvaises herbes, incluant les plantes responsables des allergies comme l’herbe à poux. « Moins de pollen dans l’air, c’est moins de gens malades et moins de frais médicaux », signale Christopher Watson.
Garder la pelouse plus longue contribue aussi à accroître la diversité végétale. « La tonte régulière favorise plutôt les espèces à croissance faible, comme le pissenlit et le trèfle, ou des herbes qui grandissent à partir de leur base, à la jonction du sol. Les espèces dont les pointes de croissance ou les tiges florifères se situent au sommet de la plante n’ont pas le temps de pousser si la tonte est trop fréquente », précise le chercheur.
L’accroissement de la diversité végétale vient aussi avec une augmentation de la biodiversité en général. Les insectes pollinisateurs se font notamment plus nombreux.
« Une pelouse plus longue et plus saine devient plus résistante aux insectes nuisibles ou aux ravageurs comme les vers blancs. Elle supporte également mieux les épisodes de sécheresse. De plus, elle contribue davantage à la réduction des gaz à effet de serre », souligne Christopher Watson.
En utilisant les données des entrepreneurs de tonte de la Ville de Trois-Rivières, le chercheur a pu aussi estimer les bénéfices économiques d’une taille moins intensive des pelouses. Avec une réduction de 15 à 10 fois par an de la fréquence de tonte dans les zones de pelouse à forte utilisation, et de 3 à 1 fois par an dans les zones à faible utilisation, les coûts d’entretien public ont chuté de 36 %. « Et ces frais n’incluaient que les salaires des travailleurs, le fonctionnement de l’équipement et le carburant. Il faudrait aussi évaluer les économies potentielles du côté des pesticides et des engrais », note le chercheur.
Les inconvénients du gazon plus court
Outre les bienfaits d’un entretien moins fréquent, la méta-analyse met aussi en lumière les désavantages d’une augmentation de l’intensité de la tonte des pelouses urbaines. « Un gazon plus perturbé subit des effets écologiques négatifs, rapporte Christopher Watson. La diversité des invertébrés et des plantes diminue, tandis que les mauvaises herbes et les parasites du gazon prolifèrent. L’herbe à poux, dont la reproduction est plus rapide que les autres espèces végétales, peut coloniser un milieu très souvent tondu. »
Vaincre les résistances de la population
Bien que les avantages d’une coupe moins intensive du gazon urbain ressortent clairement dans cette méta-analyse, il pourrait être difficile de convaincre les citadins d’opter pour une pelouse plus longue. « Il faut combattre la stigmatisation sociale liée à un gazon plus long. De plus, les administrations municipales ne souhaitent pas gérer des plaintes liées à des pelouses plus hautes ou en désordre. C’est ici qu’apparaît la nécessité d’informer et d’éduquer la communauté sur les bienfaits de tontes moins fréquentes », ajoute le postdoctorant.
Les habitants des villes peuvent aussi craindre que des pelouses plus longues abritent des tiques ou des rongeurs (souris, rats, etc.). « Il y a peu de preuves scientifiques concernant cette affirmation, indique Christopher Watson. Les tiques fréquentent surtout les lieux prisés par les chevreuils et quant aux petits mammifères, certains aiment l’herbe longue, d’autres non. »
Pousser plus loin la recherche
À la suite de cette méta-analyse, Christopher Watson identifie plusieurs pistes pour faire encore avancer la recherche sur la tonte des pelouses urbaines. « Il serait intéressant d’obtenir de nouvelles données provenant d’autres zones géographiques que celles que nous avons répertoriées, mentionne-t-il. Nous voulons aussi réaliser des essais avec différentes intensités de tonte et vérifier si le moment choisi pour couper le gazon a un impact. En ce qui concerne les animaux indésirables comme les rongeurs, nous aimerions vérifier s’ils deviennent ou non un problème lorsque la pelouse est plus haute. Explorer plus en détail les perceptions négatives des citoyens vis-à-vis un gazon plus long constituerait aussi un bon sujet de recherche. »
Au cours de la prochaine saison estivale, le postdoctorant travaillera à nouveau en collaboration avec la Ville de Trois-Rivières pour mener différents travaux scientifiques sur la tonte des pelouses. Les citoyens trifluviens seront informés de ces projets par différents moyens de communication (messages, pancartes, etc.).
Des résultats qui suscitent de l’intérêt
Christopher Watson a réalisé son étude sous la direction du professeur Raphaël Proulx, codirecteur du Centre de recherche sur les interactions bassins versants – écosystèmes aquatiques (RIVE) de l’Université du Québec à Trois-Rivières. D’autres collaborateurs de l’UQTR ont également participé à ce projet : le professeur Vincent Maire (sciences de l’environnement) et les étudiantes Léonie Carignan-Guillemette et Caroline Turcotte.
Les résultats des travaux menés par Christopher Watson ont été publiés en décembre dernier dans le Journal of Applied Ecology de la British Ecological Society. « Cet article scientifique a attiré l’attention des journalistes, rapporte le postdoctorant. Plusieurs médias, dont The Guardian en Angleterre, en ont repris les propos. Même l’acteur Leonardo DiCaprio en a fait mention sur son site Facebook, en janvier dernier. Des milliers d’internautes ont d’ailleurs réagi favorablement à cette publication. »