Ce texte, rédigé par les professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), Mireille Lalancette (communication sociale) et Léo Trespeuch (EGUQTR), propose un regard portant sur les conséquences de la crise sanitaire sur la transition socio-écologique de la société. Cette crise pourrait-elle être un point de basculement avec un changement de valeurs et d’habitudes accompagné d’une « nouvelle normalité » pour les citoyens ?
Cette recherche est réalisée dans le cadre d’un appel à projets RFG-Appel flashe COVID-19 de la Revue Française de Gestion (RFG). Pour répondre à cette question, une équipe paritaire de 15 professeurs d’universités québécoises et françaises dans différentes disciplines a été mobilisée[1].
Les premières analyses mettent en exergue des visions distinctes des 15 chercheurs.
Les optimistes parmi nous parlent d’un changement de valeurs et d’habitudes
En effet, la crise ébranle les certitudes et questionne les valeurs. Ces dernières résultent d’un héritage culturel autant que d’expériences personnelles. Dans cette perspective, l’expérience personnelle de la crise est suffisamment marquante pour constituer un « moment décisif ». Le contexte imposant une modification des habitudes des individus sur plusieurs semaines, pourrait entraîner des changements de comportements durables. À la suite d’un processus répétitif, les citoyens commencent à agir sans autant réflechir et de nouvelles habitudes s’installent.
Pour que ces comportements deviennent durables, il faut veiller à ce que le contexte de leur mise en œuvre soit stable et que les bénéfices associés ne soient pas amenés à diminuer (par exemple les bénéfices de l’achat local en termes de liens sociaux prix et commodités). Les optimistes mettent en avant que dans la mesure où, la consommation responsable est une tendance de fond, on peut supposer qu’elle va se poursuivre même après la crise.
À l’inverse, les pessimistes pensent que les changements sont circonstanciels et que les habitudes pré-crise seront reprises
Pour ces chercheurs les changements de comportements adoptés ces dernières semaines sont liés au changement de contexte et non pas à une volonté de la part des citoyens. La pandémie a créé du stress et de la peur dans la population. Les émotions négatives associées à ces ruptures d’habitudes peuvent amener les citoyens à envier leur vie d’avant la crise. Selon certains auteurs, les habitudes ne se dissipent jamais puisque le schéma neuronal lié au comportement initial ne disparaît pas et peut donc reprendre le pas sur la volonté. Par conséquent, toutes ces raisons peuvent laisser penser que le retour à un contexte pré-Covid-19 va induire un retour aux comportements pré-crise, y compris les comportements moins vertueux pour l’environnement.
Regardons les réseaux sociaux
Pour nourrir ce débat théorique, 19 134 tweets contenant #DeconfinementJourXX ou #DepuisQueJeSuisDeconfiné ont été téléchargés et analysés.
Les résultats associés au déconfinement progressif montrent l’adoption de nouveaux comportements, plus de déplacements à vélo, de port du masque, de l’adoption des gestes barrières et de la distanciation… Mais aussi, le plaisir de retrouver des comportements dont les citoyens avaient été par exemple privés en France, comme les réunions de famille, la liberté de déplacement, le fait de reprendre la voiture plus facilement… Vis-à-vis du contexte, beaucoup d’internautes craignent une deuxième vague et un durcissement des mesures de confinements. Cette peur est présente dans de nombreux messages.
#DeconfinementJour3 #DeconfinementJour4 ?
Allez vous adopter des comportements plus responsables ? ???#digital https://t.co/Q07A8rsWrE— Leo Trespeuch ???? (@LeoTRESPEUCH) May 13, 2020
Sur le plan des recommandations pour une transition écologique et sociale
Cette crise a révélé qu’il est possible d’adopter à grande échelle des comportements plus responsables sur le plan environnemental et social. Tous les acteurs ont maintenant un rôle à jouer. Le discours des dirigeants politiques jouant sur la fibre nationaliste, ainsi que sur les valeurs associées pourrait faire émerger un sentiment d’appartenance plus grand envers les communautés locales et nationales et ainsi, amener des comportements de consommation misant sur la proximité (comme le panier bleu au Québec site internet promu par le gouvernement qui regroupe toutes les entreprises québécoises qui vendent en ligne).
Cette initiative s’est accompagnée du slogan : Dans ma zone pas sur amazone ! Dans cette optique, le fait d’avoir des politiciens et leaders d’opinion faisant preuve de comportements responsables peut amener un changement de normes et de valeurs pour s’orienter vers une société plus écologique et sociale.
Vis-à-vis des entreprises qui produisent des biens, il est recommandé de poursuivre la transition digitale pour profiter des avantages associés aux circuits courts. Pour les entreprises de services, dont le secteur du tourisme, la sécurité est un élément déterminant pour les consommateurs qui voudront minimiser les risques (Ritchie & Crouch, 2003). Par exemple, des hôteliers et restaurateurs d’Asie ont mis en place un label santé avec des mesures d’hygiène drastiques.
Aussi, l’adoption généralisée de critères de management ESG (environnement, social et gouvernance) pourrait permettre de conduire à une gestion plus respectueuse, tout en rassurant les consommateurs et en permettant de s’investir dans leurs communautés par le biais de la philanthropie corporative.
De manière générale, l’écosystème philanthropique a également un rôle à jouer, celui de détecter les manques et travailler à l’identification de solutions adaptées.
Pour conclure, la pandémie nous fournit une occasion inespérée de penser aux modalités permettant une transition sociale et écologique durable. Nous avons tous un rôle à jouer, afin de faire entendre et comprendre qu’il n’y aura pas d’acceptabilité sociale pour un après #Covid-19 décevant.
Vous pouvez retrouver une partie de cette recherche sur le site La Conversation ou en vidéo sur le site Xerfi Canal.
À propos de Mireille Lalancette et Léo Trespeuch
Mireille Lalancette est professeur titulaire de communication politique à l’Université du Québec à Trois-Rivières et chercheure au Groupe de recherche en communication politique (GRCP). Elle mène des recherches sur les usages des médias sociaux par les acteurs et actrices politiques, les politiciens et politiciennes, les groupes d’intérêt et l’ensemble des citoyens. Elle s’intéresse également à la médiatisation de la politique ainsi qu’aux questions de genre et de politique. Elle est également la directrice principale de l’ouvrage What’s #Trending In Canadian Politics? Understanding Transformations in Power, Media, and the Public Sphere (Vancouver : UBC Press avec V. Raynauld, V. et E. Crandall). Ses travaux ont été publiés dans des publications de recherche canadiennes et internationales.
Léo Trespeuch est professeur en sciences de gestion à l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois Rivières (EGUQTR) et cofondateur de l’observatoire de la philanthropie. Ses thèmes de recherches portent sur la philanthropie, le financement participatif (Crowdfunding), les démarches environnementales, les réseaux sociaux et la politique vue au travers du prisme de la participation. Il a obtenu en 2018, le prix Sphinx de la meilleure thèse de doctorat francophone en sciences de gestion.
Chercheurs ayant participé à l’étude
[1] Trespeuch L., Robinot E., Botti L, Corne A., De Ferran F., Durif F., Ertz M., Fontan JM, Giannelloni JL,, Kreziak D., Lalancette M., Lajante M, Michel H, Parguel B, et Peypoch N.