En un temps record : l’Occident détiendra vraisemblablement sous peu un vaccin contre la Covid-19 ! Les pharmaceutiques Moderna et Pfizer souhaitent pouvoir faire autoriser leurs vaccins en novembre aux États-Unis. « Il faut généralement plusieurs années à partir du moment où l’on découvre le pathogène pour en arriver à un vaccin efficace. Qu’on pense aux vaccins contre la varicelle ou le zika. Alors c’est remarquable qu’on puisse espérer avoir accès à un vaccin, voire plusieurs vaccins fonctionnels contre le SARS-Covid-2 en moins d’un an », lance Lionel Berthoux, professeur de virologie et maladies infectieuses au Département de biologie médicale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Si trouver un vaccin contre un pathogène peut prendre plusieurs années, alors comment explique-t-on que celui contre la Covid-19 puisse arriver en si peu de temps ? « D’abord, la séquence du génome du virus a été divulguée très rapidement. Ensuite, même si le virus est nouveau, on ne part pas de zéro. Assez vite, les chercheurs ont pu envisager d’appliquer une stratégie vaccinale basée sur ce qu’on connaît des autres coronavirus, la plus commune étant de tenter de diriger des anticorps vers la protéine d’enveloppe du virus. Les anticorps reconnaissent le récepteur du virus et l’empêchent d’entrer dans les cellules, bloquant ainsi l’infection », explique le professeur Berthoux.
Ajoutons à cela que les gouvernements, compagnies pharmaceutiques et organisations caritatives ont mis les investissements nécessaires pour en accélérer le développement. De plus, deux des trois vaccins dont le développement est le plus avancé, soit ceux du consortium BioNTech/Fosun Pharma/Pfizer et de l’entreprise Moderna, sont à base d’ARN, ce qui permet une production rapide à un coût relativement faible et une bonne gestion de la qualité.
Vaccin à ARN
Chose certaine, la pandémie a permis de faire avancer les innovations vaccinales, notamment quant au développement de vaccins basés sur l’ARN qui n’avaient encore jamais été utilisés chez l’humain. Il s’agit d’injecter aux patients le code génétique relatif à une protéine, par exemple celle qui permet aux coronavirus de s’accrocher aux cellules humaines. Les cellules produisent ensuite la protéine pour permettre au système immunitaire de la reconnaître et d’y réagir.
« Un vaccin à ARN contre le Covid-19 donne ainsi des instructions aux cellules pour qu’elles produisent la protéine spécifique au virus, et non le virus en soi, suscitant une réponse du système immunitaire lorsqu’il est détecté dans le corps de la personne. Les vaccins à ARN permettraient ainsi de minimiser certains des risques associés aux vaccins traditionnels, du fait qu’ils utilisent des molécules très pures sans aucun danger pour les humains. En fait, toutes nos cellules sont remplies d’ARN, donc on fait juste en ajouter un supplémentaire. De plus, aucun virus n’est nécessaire pour la production de ces vaccins, ce qui diminue les coûts et de facilité la production », précise le chercheur de l’UQTR.
Vaccin à vecteur non réplicatif
Un autre vaccin prometteur, basé sur un vecteur adénoviral non réplicatif, est celui développé par l’Université d’Oxford en collaboration avec la pharmaceutique AstraZeneca.
Un vecteur viral est un virus inoffensif qui est utilisé pour transporter en lui un morceau d’un autre virus, dans ce cas-ci le SRAS-CoV-2. Il est modifié génétiquement pour ne pas se reproduire et ne pas causer de maladie. Il est programmé pour fabriquer une protéine, comme celle avec laquelle le coronavirus s’accroche aux cellules humaines, ce qui permet de provoquer une réaction immunitaire.
« Il s’agit d’une méthode plus classique de préparer un vaccin. Les chances d’obtenir un vaccin qui fonctionne bien étaient donc supérieures. En contrepartie, ces vaccins peuvent être plus difficiles à produire en grandes quantités, et il y a des chances de réaction immune s’il doit être administré deux fois ou plus », ajoute Lionel Berthoux.
Soulignons que le vaccin russe du Gamaleya Research Institute, dont on connaît peu les détails mais qui aurait franchi toutes les étapes, est également basé sur un vecteur adénoviral non réplicatif.
Les principales étapes pour en arriver au vaccin
Il y a cinq grandes étapes pour en arriver à la commercialisation d’un vaccin. La première, la phase préclinique, consiste à tester le vaccin sur les animaux. « Sur les singes, les vaccins contre la Covid-19 donnent de bons résultats si l’on se fie aux données disponibles. Le taux de protection atteint presque 100 % », remarque M. Berthoux.
Ensuite, la phase 1 permet d’effectuer des tests sur quelques dizaines de volontaires en bonne santé. L’objectif est, notamment, d’observer la réaction du système immunitaire, de détecter les éventuels effets secondaires et d’ajuster les dosages. « Les résultats ont démontré que l’immunogénicité est bonne, c’est-à-dire que chez les gens immunisés, il y a apparition d’anticorps capables de cibler le virus comme prévu, et ce, sans effets secondaires graves », a constaté le microbiologiste.
Puis, les phases 2 et 3 sont cruciales : elles permettent, en deux temps, de recruter d’abord quelques centaines de personnes et, ensuite, des dizaines de milliers de volontaires dont une partie se fait injecter le vaccin alors que les autres reçoivent un placebo. « Ici, on fait le suivi du risque d’acquisition de la maladie dans les deux groupes susceptibles d’être infectées, ce qui donne une idée de l’efficacité du vaccin. On regarde aussi de près les effets secondaires qui n’auraient pas été détectés dans les phases antérieures et qui pourraient être rares mais graves. C’est aussi une étape permettant d’analyser les réponses immunitaires pour chaque groupe d’âge et de comparer les vaccins entre eux », détaille le chercheur de l’UQTR.
Cette étape qui est habituellement très longue – on parle de plusieurs années – s’est déroulée rapidement à cause, justement, du caractère pandémique de la Covid-19. Les pharmaceutiques ont ciblé les régions où il y a une transmission élevée de la maladie, par exemple en Amérique latine et en Afrique du Sud, ce qui peut permettre d’obtenir des résultats rapidement. Le professeur Berthoux précise : « Dans ce cas, la phase 3 peut aller assez vite. Ce que l’on cherche à observer, c’est une différence statistiquement significative entre le groupe vacciné et le groupe placebo. Plus le vaccin fonctionne, plus la différence devrait être nette entre les deux groupes, et plus on peut avoir les résultats rapidement. »
Il faudra prioriser le personnel soignant, les gens en première ligne et qui sont en contact avec le public comme les policiers et les enseignants, ainsi que les populations à risque comme les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités.
Évidemment, lorsqu’un vaccin passe avec succès la phase 3 et peut être commercialisé, cela ne signifie pas que le citoyen y aura automatiquement accès. De fait, la dernière étape avant la commercialisation consiste, dans notre cas, en l’approbation par Santé Canada : les fabricants doivent fournir les preuves scientifiques quant à la sécurité, l’efficacité et la qualité de leur vaccin.
Il reste que l’éventuelle annonce d’un vaccin contre la Covid-19 ne veut pas dire qu’il sera disponible automatiquement pour toute la population. « Il faudra prioriser le personnel soignant, les gens en première ligne et qui sont en contact avec le public comme les policiers et les enseignants, ainsi que les populations à risque comme les personnes âgées et les personnes présentant des comorbidités telles que le diabète, l’asthme, etc. », explique le professeur Berthoux.
Celui-ci souligne que le fait qu’il y ait plusieurs vaccins en développement est une bonne chose : « Spécialement pour Covid-19, lorsqu’on sait que le virus affecte les personnes différemment, c’est intéressant de pouvoir compter sur plusieurs vaccins permettant, à terme, de mieux cibler les populations, par exemple, en fonction du groupe d’âge. »
Efficacité des vaccins
L’efficacité des vaccins se mesure en deux types de protection : la protection contre l’acquisition de la maladie et la protection contre le développement de complications. Lionel Berthoux cite l’exemple du vaccin annuel contre la grippe : certaines années, il est moins efficace (aussi peu que 50 %) quant à l’acquisition du virus, mais protège bien contre les complications. Ainsi, l’important pour Covid-19, c’est d’éviter les complications sérieuses.
L’efficacité d’un vaccin peut évidemment être modulée par plusieurs facteurs. Par exemple, par l’évolution du virus lui-même, qui peut acquérir des mutations dans son enveloppe, le rendant ainsi de moins en moins reconnaissable par les gens immunisés. Encore une fois, l’exemple de la grippe est révélateur : c’est un virus qui évolue très vite et on retrouve deux à trois souches vaccinales mélangées dans le vaccin annuel.
De plus, au départ, certains vaccins peuvent moins bien fonctionner chez certaines populations, par exemple les personnes immunosupprimées (qui ont du mal à construire une réponse immunitaire). Il faut se rappeler qu’il y a beaucoup de personnes à l’échelle de la planète qui ont un système immunitaire affaibli par des maladies infectieuses comme VIH, des traitements contre le cancer, le diabète, etc.
En complément, le chercheur poursuit : « Pour la plupart des maladies infectieuses, il faut qu’entre 75 % et 95 % de la population soit vaccinée si l’on veut enrayer complètement une épidémie. Le pourcentage exact dépend du virus. Par exemple, dans le cas de la rougeole, on aurait besoin d’un taux de vaccination de 95 % pour éviter les éclosions. Et il y a des éclosions justement parce qu’il y a des parents qui ne veulent pas faire vacciner leurs enfants. »
Alors, avec l’arrivée du vaccin contre la Covid-19, la grande inconnue reste : quel pourcentage de la population se fera vacciner ? Et la réponse pourrait déterminer grandement si la Covid-19 deviendra une maladie endémique.