Lors de leurs fouilles méticuleuses, les archéologues doivent composer avec des artefacts en multiples fragments. Mais comment pourraient-ils parvenir à accélérer le processus de reconstitution de ces objets des civilisations du passé ? La réponse se trouve peut-être dans l’apprentissage profond et les réseaux de neurones. Voilà l’univers dans lequel se plonge Étienne Beaulac dans son projet de maîtrise en mathématiques et informatique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
L’apprentissage profond (deep learning) est un type d’intelligence artificielle dérivé de l’apprentissage automatique (machine learning). Il s’agit d’un processus où la machine est capable d’apprendre par elle-même. L’apprentissage profond s’appuie sur un réseau de neurones artificiels, s’inspirant du cerveau humain. Chaque réseau comporte de multiples couches de neurones, qui reçoivent et interprètent les informations de la couche précédente. Durant tout ce processus, le système apprendra, par exemple, à reconnaître des lettres, tout en progressant vers la reconnaissance de mots.
Est-ce que la machine pourrait apprendre à reconnaître des fragments et ensuite parvenir à reconstituer l’image d’un artefact? C’est le défi que les chercheurs de l’équipe du projet archéologique Kerkenes en Turquie ont lancé au professeur Alain Goupil, du Département de mathématiques et informatique. Avec son collègue Fadel Toure, il a proposé à Étienne de creuser ce beau sujet.
Associer de multiples fragments
L’archéologue fait face à un tas de morceaux, contenant des pièces dégradées, et appartenant probablement à différentes pièces. Ces fragments de poterie pourraient bien appartenir à une tasse ou un bol. Comment peut-on alors concevoir un réseau de neurones qui pourra apprendre à associer des fragments entre eux, pour ensuite générer des images distinctes d’artefacts ?
« La reconstruction d’objets fragmentés est une problématique qui comprend plusieurs domaines d’application, notamment l’archéologie et les sciences forensiques. Cependant, les approches actuelles de reconstruction d’images 2D sont généralement limitées, par exemple au niveau de l’orientation possible des fragments. Notre nouvelle approche permet de remédier à ces limitations en utilisant une architecture neuronale invariante à la position des fragments. Cela permet non seulement de prédire si deux morceaux sont adjacents, mais également d’identifier, le cas échéant, la frontière qu’ils partagent », explique l’étudiant de 24 ans natif de Trois-Rivières.
Processus de comparaison
Un réseau plus « traditionnel » reçoit habituellement une seule image comme entrée. Or, la tâche que souhaitent effectuer les chercheurs requiert la comparaison de deux images différentes. « On doit donc adapter la structure de notre réseau de neurones pour supporter ce type d’opérations. On obtient alors une architecture dite « siamoise », comme des jumeaux. Les fragments soumis au réseau sont ensuite transformés, de couche en couche, pour en extraire des caractéristiques de plus en plus complexes, jusqu’à l’obtention d’un seul nombre : la probabilité entre 0 et 100 % que les deux fragments soient bel et bien adjacents. Au cours de l’apprentissage, c’est le réseau qui détermine les paramètres optimaux de ses couches pour obtenir une probabilité juste », explique Étienne.
Sur le terrain
Étienne Beaulac estime que son projet de maîtrise sera complété durant la période estivale. Il pourra alors se concentrer à la rédaction de son mémoire. « Si la situation sanitaire le permet, je voudrais bien aller visiter le chantier archéologique dirigé par les chercheurs de University of Central Florida en Turquie. Je pourrais procéder à la prise de photos d’artefacts sur le terrain. Nous pourrions donc avoir d’excellentes données à soumettre au réseau de neurones », mentionne Étienne.
Une fois qu’un réseau de neurones est créé, quelle sera sa durée de vie comme outil adapté à l’archéologie? Pourrait-il servir à d’autres applications ? « L’architecture et la méthodologie que nous avons développées ont le potentiel d’être utilisées dans d’autres domaines. Cependant, la qualité d’un réseau de neurones dépend directement des données utilisées pendant son entraînement. Par exemple, si on entraîne un réseau avec des fragments de poterie, celui-ci sera spécialisé uniquement pour ces fragments. Si on souhaite reconstruire autre chose, on peut débuter avec la même architecture siamoise, mais il faudra l’entraîner sur de nouvelles données », explique le passionné de mathématiques.
Prochaine étape
Quelle sera la prochaine étape sur ton parcours ? « Je vais prendre une pause », répond-il. Étienne a accumulé toute une feuille de route à l’UQTR. Il a complété à l’hiver 2021 un double baccalauréat en mathématiques et informatique et il achève sa maîtrise. Et à travers tout ça, cet étudiant boursier CRSNG et FRQNT cumule des tâches de chargé de cours et agit comme mentor auprès des élèves de l’Institut secondaire Keranna qui participent au projet Robotique FIRST.
« J’ai choisi l’UQTR car c’est ici qu’on offre le double baccalauréat en mathématiques et informatique. Les cohortes sont petites et les professeurs nous connaissent bien. Ils sont disponibles pour nous », affirme celui qui dit être très attaché à sa région natale.
Étienne a toujours adoré aider ses camarades de classe, depuis son jeune âge. Il a la passion de l’enseignement et souhaite poursuivre sur cette voie, afin de partager son amour pour les mathématiques et l’informatique.
Séminaire sur l’intelligence artificielle
Vous aimeriez en apprendre davantage sur l’intelligence artificielle ? Le Département de mathématiques et informatique organise justement le 29 mars un séminaire portant sur le sujet. Étienne Beaulac et son camarade Raphaël L’Heureux présenteront leurs projets lors de cet événement sur Zoom. Voilà une belle occasion d’en apprendre davantage sur ce monde fascinant.