Les entreprises manufacturières traversent actuellement une période difficile. À travers les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement, la pénurie de main-d’œuvre et les enjeux de rétention du personnel, les industriels consacrent souvent toutes leurs énergies à maintenir leurs opérations. Dans ce contexte, le virage numérique se retrouve souvent subordonné à d’autres priorités, surtout s’il manque d’expertise à l’interne pour le réaliser. Pourtant, le 4.0 offre des solutions pour atténuer ces mêmes contraintes qui préoccupent les entrepreneurs.
Recyc PHP est une PME manufacturière de Drummondville spécialisée dans le recyclage des rejets industriels de produits d’hygiène. Elle sépare ainsi ses intrants en trois matériaux — plastique, fibres cellulosiques et polymères superabsorbants — qu’elle peut ensuite revendre sur le marché. Si aujourd’hui l’entreprise tire profit des avancées du 4.0, il aura fallu un élément déclencheur pour convaincre son président et fondateur, Daniel Fortin, de prendre le virage.
« Tout a commencé il y a une dizaine d’années lorsque j’ai eu un accident de vélo. Si les choses avaient mal tourné pour moi, mon entreprise se serait retrouvée dans le pétrin. On entend souvent dire que les entrepreneurs sont des spectacles solos ; c’est vrai dans une certaine mesure, mais il y a un risque non négligeable à lier le bien-être d’une organisation au destin de son patron. Dans mon cas, j’ai commencé à me demander comment je pourrais rendre mon entreprise moins dépendante de moi », raconte M. Fortin.
Recyc PHP a ainsi amorcé une phase de documentation afin de créer une base de connaissances. Cependant, l’intelligence d’affaires qui en a résulté se limitait à des procédures rédigées dans Microsoft Word, et à une automatisation rudimentaire générée par Microsoft Excel. Devant la lourdeur du processus, M. Fortin a décidé en 2018 de commander un Audit industrie 4.0.
« L’Audit a été une révélation. Ça nous a permis de voir où nous en étions, de nous donner des cibles, et de nous orienter vers des solutions qu’on a pu graduellement mettre en place. Par exemple, nous avons implanté un système de contrôle et d’acquisition de données (SCADA) sur notre ligne de production. Nous avons installé des capteurs pour acquérir et analyser nos données, de sorte que les opérateurs reçoivent désormais de l’information en temps réel. Cela favorise la transmission des connaissances, diminue la charge mentale des employés et facilite la formation », indique-t-il.
L’Audit 4.0 est l’un des services offerts par l’équipe du Centre national intégré du manufacturier intelligent (CNIMI). Selon le directeur du Centre, Gerry Gagnon, l’Audit s’inscrit dans une perspective d’amélioration continue des entreprises.
« C’est certain qu’il s’agit d’un long cheminement. Avant même de penser à améliorer quelque chose, il faut s’assurer d’avoir une vision claire et cohérente de ses objectifs. Ainsi, ça devient beaucoup plus facile de savoir où investir ses énergies, et de s’assurer qu’on dispose des bons outils. Le fait d’être une entreprise 4.0 ne devrait pas être un but en soi, il n’y a pas de fil d’arrivée. Par contre, c’est possible de s’améliorer un peu chaque jour », constate M. Gagnon.
Accessible à tous, l’Audit 4.0 ?
S’appuyant sur son expérience en ingénierie, M. Fortin a pu rapidement identifier des lacunes sur lesquelles il pouvait travailler. À cet égard, le patron de Recyc PHP ne croit pas que tous les entrepreneurs sont mûrs pour se lancer dans le 4.0. Celui-ci précise cependant qu’il s’agit plus d’une question de vision que d’un enjeu de compétences techniques.
« Au cours des dernières années, j’ai vu une tendance émerger dans le monde du marketing. On dit aux dirigeants d’entreprises de se concentrer davantage sur le portrait global de leur organisation, en s’investissant moins dans les opérations. Évidemment, il faut qu’un entrepreneur ait cette vision d’ensemble ; mais à mon avis, il faut aussi qu’il s’assure que tout fonctionne bien sur le plancher. C’est en se penchant sur les détails, à commencer par les chiffres, qu’il peut aller chercher des opportunités d’amélioration », estime M. Fortin.
« Si un entrepreneur n’a pas les ressources nécessaires à l’interne pour exploiter ces opportunités, il peut toujours aller chercher de l’aide. C’était notre cas quand nous avons voulu implanter le SCADA, et c’est pourquoi nous avons fait appel à un sous-traitant. Il n’y a pas de mal à s’associer à quelqu’un qui va être capable de nous prêter main-forte. Il faut seulement s’assurer de conserver suffisamment d’autonomie pour pouvoir se débrouiller en cas de problème », ajoute-t-il.
Pour le directeur du CNIMI, cet aspect apparaît d’ailleurs capital. M. Gagnon martèle que la capacité technique des entreprises ne doit pas les empêcher de profiter du potentiel des nouvelles technologies.
« Il faut que les entrepreneurs se responsabilisent par rapport à leur vision. C’est à partir de celle-ci qu’ils vont déterminer les actions à mettre en place et les indicateurs à maximiser. À partir de là, ils pourront toujours traduire ces orientations dans leur système avec la collaboration d’experts internes ou externes. L’important, c’est de ne pas passer à côté des opportunités du 4.0, et surtout, de commencer dès maintenant », souligne-t-il.
Des atouts concrets
Le but d’implanter le 4.0 dans les entreprises est d’aller chercher un avantage concurrentiel. En décelant des gains rapides dans les processus, la technologie permet de relever plusieurs défis importants qui préoccupent les industriels.
« À cause de la pénurie de main-d’œuvre, nous n’avions plus le personnel pour maintenir l’équipe de nuit. C’était une menace pour notre productivité et notre croissance, sans compter l’impact financier lié aux frais fixes. Or, comme nous avions commencé à collecter des données, nous avons décidé de les analyser. Il y avait là de très belles pistes d’amélioration, à un point tel que même sans l’équipe de nuit, nous avons réussi à augmenter notre productivité de 30 %. Tout ça grâce au 4.0 », affirme M. Fortin.
Le patron de Recyc PHP témoigne également de l’agilité qu’apporte le manufacturier intelligent. À un certain moment, l’entreprise a rencontré un problème inédit sur sa chaîne de production. Grâce aux capteurs installés, les employés ont pu identifier rapidement la source, et apporter les correctifs. Cette capacité à analyser les données laisse également entrevoir d’autres belles promesses, notamment celle d’un système capable de s’autodiagnostiquer pour dire à l’opérateur ce qui se passe.
Autre avantage, le 4.0 est tout à fait compatible avec les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Comme le fait remarquer M. Gagnon, l’exemple de Recyc PHP montre comment l’intégration des meilleures pratiques peut profiter à l’ensemble de l’écosystème manufacturier.
« Cette entreprise conçoit sa production en considérant l’environnement du début à la fin du processus. C’est très proche de l’économie circulaire : les rejets d’une autre entreprise constituent leur matière première. En plus de donner une deuxième vie au matériau, le produit fini a une telle qualité qu’il a une valeur ajoutée », note-t-il.
« Notre superabsorbant est pur à 99,8 %. Le plus beau, c’est que côté déchets, il n’y a que 0,3 % de notre matière première qui est rejetée », confirme M. Fortin.
Avant de conclure, M. Gagnon rappelle qu’il est possible de contacter les experts du CNIMI pour entreprendre un Audit 4.0. En plus d’être qualifiés et certifiés, ceux-ci peuvent aider les entrepreneurs à trouver du financement pour couvrir jusqu’à 90 % des frais encourus. Le directeur du CNIMI ajoute que dans le contexte actuel, miser sur le virage numérique est un investissement incontournable pour assurer la valeur de son entreprise.