Depuis 18 ans, on le croise un peu partout sur le campus de l’Université du Québec à Trois-Rivières, comme s’il faisait partie des meubles. À la fois discret et souriant, Marc Ayotte multiplie ses déplacements quotidiens, accompagné de ses fidèles participants du plateau de travail de l’UQTR qui sont autistes ou qui vivent avec une déficience intellectuelle ou physique. Ce plateau, qui découle d’un partenariat avec le CIUSSS de la Mauricie et du Centre-du-Québec, Marc a le bonheur de le superviser en tant qu’assistant en réadaptation. Il y traite ses participants comme des membres de sa propre famille, mais devra bientôt leur dire au revoir afin d’aller profiter d’une retraite bien méritée.
Évidemment, ce passage à la retraite risque de se faire avec quelques déchirements. Le principal intéressé en est bien conscient. Les liens tissés avec la douzaine de participants du plateau de travail et leurs familles sont solides, alors que certains sont sous sa responsabilité depuis 5, 10, 15 et même presque 20 ans. Ce n’est donc pas surprenant de voir le regard de l’intervenant se mouiller et d’entendre le trémolo dans sa voix quand il se met à décrire la relation qu’il entretient avec ceux qu’il accompagne au quotidien.
Durant toutes ces années, Marc Ayotte a été plus qu’un accompagnateur pour les participants du plateau. Il a été un ami. Un «chum», comme l’ont affirmé avec émotion certains participants, dont Steve-Alec Lamontagne et Karl Castonguay, durant une cérémonie de remerciement tenue à l’UQTR. C’est dans le plaisir que Marc leur a inculqué les valeurs de respect et de rigueur au travail afin de les aider à s’intégrer et à se valoriser à travers leurs tâches et responsabilités.
« On nous parle souvent des progrès que font nos participants concernant le développement de leurs habiletés sociales ou de leur autonomie. Toutefois, je peux vous confirmer que, grâce à eux, j’ai aussi évolué en tant que personne. Ils m’ont apporté autant, sinon plus encore que ce que moi j’ai pu leur apporter au cours de ma carrière », affirme celui qui a consacré plus de 30 ans de sa vie à travailler auprès des personnes autistes ou de gens vivant avec un handicap ou une déficience intellectuelle.
« Si on arrive au travail de mauvaise humeur ou si on traverse une période difficile, on est toujours bien accueilli par eux. Ces personnes-là n’ont aucune malice ni aucun préjugé. Ils ont le bonheur facile. Personnellement, je n’aurais pas pu espérer mieux comme environnement de travail », ajoute Marc Ayotte.
Un milieu inclusif exceptionnel
Des histoires inspirantes et des anecdotes touchantes, Marc Ayotte pourrait en raconter durant des jours. Ce qui revient en toile de fond dans chaque souvenir, c’est l’environnement universitaire qui, selon lui, est la clé de la réussite de son équipe.
« Il n’y a pas de plus beau plateau de travail, s’exclame Marc Ayotte. La communauté universitaire est accueillante et sensible à la réalité vécue par les personnes autistes, par celles en situation de handicap ou vivant avec une déficience intellectuelle. Nous avons un milieu inclusif exceptionnel, si bien que nous recevons la visite d’experts européens qui n’en reviennent pas du modèle mis en place à l’UQTR. Nous sommes en avance par rapport à ce qui se fait là-bas ».
Parmi les belles histoires d’inclusion, celle de Keven Boisvert a de quoi faire sourire le plus grincheux d’entre tous. Arrivé au Service de l’équipement en septembre pour y travailler à raison de quatre avant-midis par semaine, Keven s’acquitte non seulement de ses tâches à merveille, mais il a complètement transformé la dynamique de l’équipe qui l’a pris sous son aile.
« Keven est toujours souriant et rieur. Il arrive tôt le matin et accueille chaque employé dans la bonne humeur. Il prend des nouvelles de tout le monde et nous fait sentir importants. C’est incroyable ce qu’il crée comme ambiance dans notre environnement de travail. Des employés sont venus me dire qu’il est le rayon de soleil de l’équipe! J’ai été agréablement surpris de voir à quel point nos employés l’ont vraiment adopté. Il travaille bien et on ne se passerait pas de sa présence », confie Dominic Déry, contremaître au Service de l’équipement de l’UQTR.
Ils sont également quelques participants à travailler au service de la cafétéria. Ramasser les cabarets, laver la vaisselle et voir à l’entretien des tables ne sont que quelques tâches qu’accomplissent avec fierté Arnaud Blackburn, Pascal Morin et Karl Castonguay. Ce dernier, qui se fait un honneur d’accomplir son travail avec grand soin, n’est pas peu fier de porter un chandail avec le logo de l’entreprise Excelso pour laquelle il travaille. « Je travaille pour cette équipe-là moi. C’est la compagnie de mon boss! », précise Karl avec beaucoup de fierté. Karl est d’ailleurs bien connu à l’UQTR pour ne jamais hésiter à saluer ceux qui le croisent en leur demandant « C’est qui le meilleur? », une demande qui occasionne bien des sourires et des compliments sur son travail.
« Faire comme tout le monde »
Quand Marc Ayotte parle de ses participants au plateau de travail, il les appelle « les jeunes », même si quelques-uns ont franchi l’étape de la quarantaine ou la cinquantaine. En eux, Marc voit des éternels adolescents en quête d’autonomie et d’estime personnelle qui, au fond, souhaitent simplement être comme tout le monde.
En 2005, un des projets d’inclusion et de sensibilisation aux déficiences intellectuelles est justement né de la volonté d’un des participants au plateau qui souhaitait être comme les étudiants de l’UQTR. Alors qu’il avait la tâche de nettoyer les tables de la cafétéria, Félix-Antoine Morasse regardait les étudiants de l’UQTR qui se rendait en classe et souhaitait les rejoindre.
« Je veux aller dans des cours, car moi aussi j’ai un sac à dos comme les autres », avait candidement confié Félix-Antoine à son intervenant.
Informé de cette situation, le chargé de cours Paul Gaudet a introduit Félix-Antoine à un de ses groupes afin de le mettre en contact avec ses étudiants, dont la plupart se destinaient à une carrière dans l’enseignement.
« La question de la déficience intellectuelle était très peu abordée dans la formation des futurs enseignants alors nous avons intégré Félix-Antoine à un groupe d’étudiants au baccalauréat en éducation préscolaire et primaire afin de créer un premier contact. C’était la meilleure façon de préparer nos étudiants qui auront un jour à travailler auprès de personnes comme Félix-Antoine », raconte Paul Gaudet.
« C’est l’une des belles histoires du plateau de travail, souligne Marc Ayotte. Après l’expérience avec Félix-Antoine, plusieurs autres membres de l’équipe ont assisté aux cours de Paul Gaudet. Ils ont été accompagnés par les étudiants universitaires afin d’étudier et revoir certaines matières de base comme la géographie, le français ou les mathématiques, ce qui les a grandement aidés à cheminer. L’expérience a été autant enrichissante pour nos participants que pour les étudiants et, avouons-le, ça n’aurait pas été possible de réaliser un tel projet sur un autre plateau de travail. »
Le sentiment du devoir accompli
Après autant de belles histoires et de réussites, Marc Ayotte s’apprête à passer le flambeau. Sa collègue Véronique Busby l’accompagne depuis plusieurs mois sur le campus de l’UQTR afin de préparer la transition. Elle demeurera présente pour les participants en tant qu’éducatrice spécialisée alors que le CIUSSS MCQ fera prochainement la nomination de la personne qui prendra la relève de Marc.
« Je suis très heureux de voir que l’UQTR s’engage à poursuivre le travail amorcé il y a 20 ans et qu’elle développe toutes sortes de projets inclusifs. Ça doit être un signe qu’on a bien fait notre travail et qu’on a réussi à faire tomber certaines barrières », conclut celui qui quittera son poste le 22 novembre, mais qui demeurera encore très proche de ceux et celles avec qui il a partagé tant de choses ces 18 dernières années.