Vos amis disent que vous avez « une bonne fourchette », c’est-à-dire que vous mangez bien et beaucoup. Ce gentil compliment devrait toutefois faire réfléchir, puisque ce comportement enclencherait un processus neuronal qui pourrait vous faire passer du côté des quelques 25 % de Canadiens souffrant d’obésité.
« Le fait de consommer beaucoup de nourriture, plus que le corps n’en demande et sur une longue période de temps, génère un stress métabolique qui atteint le cerveau et peut altérer sa capacité à garder le poids corporel à une valeur optimale », lance le chercheur Alexandre Fisette, professeur au Département de biologie médicale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
L’homéostasie énergétique est un processus régulé par l’hypothalamus qui vise à maintenir un organisme à son poids corporel optimal. « L’un des principaux réseaux de neurones hypothalamiques en charge du maintien de l’homéostasie du poids corporel est le système de la mélanocortine, qui se compose de deux populations neuronales avec des effets opposés, à savoir celles induisant la satiété et celles induisant l’appétit », explique le chercheur.
Dans un contexte de surconsommation de nourriture, les neurones de satiété vont être surstimulées et surchargées. « On leur en demande beaucoup pendant trop de temps, et comme n’importe quel outil sollicité de manière exagérée, ces neurones vont commencer à s’user, image M. Fisette. Les stress métaboliques, tels que l’obésité prolongée, peuvent altérer la connectivité et la fonction de ces populations neuronales, affectant finalement la régulation de l’homéostasie énergétique et, conséquemment, la capacité de l’organisme à maintenir ce qu’on appelle le poids corporel défendu. »
Le poids corporel défendu correspond généralement à une plage à l’intérieur de laquelle l’humain peut naviguer pour lui permettre de fonctionner et de réaliser ses activités quotidiennes. Pour assurer sa survie, le corps doit maintenir un poids ni trop faible ni trop élevé. À travers son évolution, le cerveau a dû trouver une manière d’éviter les extrêmes qui sont nocifs pour la santé et la survivance de l’espèce.
C’est donc le cerveau qui s’occupe de gérer cette balance énergétique, soit la somme de ce qui entre dans le corps en mangeant et de ce qui doit être dépensé pour maintenir le poids corporel défendu. « Le cerveau est responsable des deux côtés de la balance : il va nous donner faim, voire même nous donner le goût de manger de la nourriture plus riche, et va s’occuper de la dépense d’énergie à travers différents processus biologiques, par exemple générer de la chaleur pour nous protéger du froid, faire pousser les cheveux, activer notre système immunitaire », affirme le chercheur de l’UQTR.
Dans une situation d’obésité, il y aurait un dérèglement neuronal et le cerveau n’arriverait plus à équilibrer la balance énergétique; l’individu se retrouve alors avec un surplus d’énergie, le corps l’entrepose et empile des livres de gras. « Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre ce qui arrive aux neurones lorsque le cerveau ne peut plus bien gérer cette balance énergétique », mentionne Alexandre Fisette, qui a reçu une subvention de 100 000 $ octroyée par Brain Canada pour mener ce projet de recherche.
Avec son équipe, celui-ci souhaite accéder à une meilleure compréhension des circuits homéostatiques chargés de maintenir le poids corporel et comment ils sont affectés par l’obésité prolongée. Le professeur de l’UQTR précise : « Nous proposons d’évaluer les modifications de la fonction des neurones de satiété. Nous suggérons qu’une partie des neurones de satiété surstimulés sur une longue période disparaissent ou n’ont plus la même tâche; en d’autres termes, qu’ils vivent une crise d’identité. »
Pour y arriver, l’équipe de chercheurs reproduira, chez un modèle animal, une situation d’obésité humaine. « On va donner à des souris l’équivalent de la nourriture obésogène qu’on retrouve en grande quantité dans notre société de consommation, c’est-à-dire bas de gamme, riche en gras et en sucre simple, faible en fibres, etc. Elles vont devenir obèses et de cette façon, nous allons pouvoir regarder ce qui se passe dans leur cerveau et observer le comportement des neurones de satiété. Est-ce qu’elles ont un nouveau rôle? Est-ce qu’on est capable de les secourir et, ultimement, de renverser le processus? C’est ce que nous allons découvrir! », soutient Alexandre Fisette.