Il y avait jadis une émission en soirée sur Radio-Canada animée par l’anthropologue Serge Bouchard. Reconnaissable à sa voix d’une gravité singulière, l’animateur avait sa façon bien à lui de narrer les histoires de ces remarquables oubliés, dont certains incarnent des réalités présentes encore aujourd’hui, comme Marie de l’Incarnation, Simon Fraser, ou plus proche de l’UQTR, Michel Sarrazin.
Son intérêt pour les peuples autochtones ne s’est jamais démenti, que ce soit par le biais de son mémoire de maîtrise ou ses émissions de radio, dans lesquelles il les a fait connaître au grand public pour « préserver la mémoire de ceux dont on se fout collectivement ». Nombreux sont, en effet, ces immigrants européens, et ceux d’origines autochtones ou métisses, qui ont eu, à leur façon que ce soit, au cours d’un bref instant, durant leur vie ou pour la postérité, une incidence sur l’histoire du Canada.
De ces autochtones, trois sont marquants en Amérique du Nord, car ils ont laissé leur nom, à leur insu malheureusement, que portent aujourd’hui encore des marques célèbres. Au-delà du pillage, il faut noter l’hommage des marques à ces grands chefs, dont les noms trônent aujourd’hui au même niveau – du moins si l’on entend par-là la marque patronymique – que les Bombardier, Molson, Labatt, Simons et autres. Découvrons ainsi les personnages historiques et les marques dont ils sont l’inspiration.
Black Hawk
Black Hawk était un Sauk et descendant d’un autochtone de Montréal, né dans le Wisconsin vers 1767[1]. Reconnu dès son adolescence pour sa bravoure, il manifeste son mécontentement lorsque le gouvernement américain achète, à prix modique, des terres à sa tribu et se battra contre ce dernier pour réclamer les terres ancestrales, combat qu’il mènera avec acharnement jusqu’en 1832, date de sa reddition. Au cours de sa vie, il s’est aussi allié, avec d’autres guerriers, aux Anglais contre les Américains lors de la guerre de 1812. Arrêté, emprisonné, puis « trimballé à travers les États-Unis pour le montrer aux Américains, il jouit alors d’une grande popularité, au désespoir des politiciens blancs ». Tombé en déchéance, il se noie dans l’alcool et mourra en 1838.
Vers la fin des années 70, Sikorsky Aircraft, actuellement filiale de Lockeed Martin, lance un hélicoptère de combat, polyvalent selon les versions pour le sauvetage, le transport de troupes ou l’attaque, qui porte le nom de Black Hawk. Les amateurs de sport associent plus volontiers le nom de Black Hawk à une équipe de hockey sise à Chicago. Il est vrai que le nom et le logo ont été sujets à controverse ces dernières années, mais les dirigeants avaient conclu que l’entité visuelle et le nom étaient porteurs de significations positives et transmettaient « des exemples respectueux de la culture, de la tradition et de la contribution des Nations autochtones en offrant un programme pour un dialogue sincère avec les groupes autochtones locaux et nationaux »[2].
Pontiac
Pontiac était un chef politique et religieux, né vers 1710 et descendant de deux tribus, les Odawa (Ottawa) et les Ojibway. À l’instar des autres membres de la tribu des Odawa, Pontiac fait du commerce avec les Français. Il se démarque en 1755, alors que sa tribu alliée aux Français met en déroute les Anglais qui voulaient prendre le poste de traite de Duquesne. Ce fait de guerre permettra à Pontiac de prendre la tête de la résistance indienne devant l’envahisseur européen, mais à la suite des attaques vouées à l’échec, il doit capituler. Les nouvelles règles sur la traite des fourrures mises en place par le général Amherst ne lui permettent plus de vivre décemment et cela le condamne à signer un traité de paix[3]. Lors d’une rencontre avec des Européens, il est assommé puis assassiné par un membre de la tribu Peoria, relançant une guerre tribale, mais marquant le début d’une légende.
Pontiac a été une marque mythique du géant américain de Détroit. Mais avant d’appartenir à ce manufacturier, elle avait été créée en 1909 par Oakland Motor Co. L’origine du nom est liée à ce célèbre chef indien, mais aussi à la ville américaine de Pontiac, fondée vers 1818, et actuelle banlieue de Détroit[4]. Ce n’est qu’en 1926 que Pontiac devient officiellement une marque du groupe General Motors (GM)[5]. À la fois populaire, bien connue et appréciée du grand public, Pontiac est aussi une marque qui s’est démarquée dans le sport automobile (Grand Prix) ou les voitures légendaires (GTO et Firebird comme celle du célèbre film K2000). Elle est retirée par choix stratégique de GM en 2009[6], la marque étant déficitaire[7].
Tecumseh
Tecumseh est sans doute un peu moins connu que les chefs précédents, mais il n’en demeure pas moins qu’il mérite tout autant de respect. Chef Chaouanon, une tribu nomade en raison de manque de terre, Tecumseh est né dans l’Ohio. Au cours de sa vie, il s’est aussi opposé aux cessions des terres des autres tribus que le gouvernement américain mettait en opposition pour créer des dissensions entre les nations indiennes. À l’instar de Black Hawk, il s’allie aux Anglais contre les Américains au cours de la guerre de 1812. Il trouvera la mort quelques mois plus tard, sans que sa dépouille ne soit retrouvée. L’histoire dit que sa tribu s’est jointe par la suite à celle de Black Hawk[8].
Tecumseh Product Company est une entreprise américaine, fondée en 1934, qui œuvre dans la fabrication de petits moteurs (pour tondeuses, souffleuses, compresseurs) et d’unités de réfrigération et de climatisation.[9] Outre le nom repris de ce chef indien éponyme, son logo est une tête d’indien (un peu comme le logo de Ma-Jik Canada, mais de couleur bleue).
La personnalité de marque : pour donner des qualités humaines
Dans les trois cas, ces chefs autochtones se sont battus pour une cause juste et noble : celle de reconquérir leur terroir, vendu à bas prix ou conquis par les nations européennes. Dans les trois cas, on peut noter leur fierté et leur détermination, ainsi que le service rendu pour aider leur peuple.
Sur le plan marketing, l’idée sous-jacente de la personnalité de marque est de donner à celle-ci des qualités humaines. On cherche à faire en sorte qu’il y ait adéquation entre la personnalité du consommateur et celle qu’on attribue à la marque, cette dernière « est considérée par le consommateur comme un partenaire dans un échange durable »[10].
Dans son échelle de personnalité de la marque, Jennifer Aaker[11] a défini 42 traits de personnalité « répartis au sein de 15 facettes et 5 facteurs de personnalité de la marque : sincérité, dynamisme, compétence, sophistication et rudesse. »[12]. Pas étonnant alors qu’il y ait congruence entre ces marques américaines et les chefs autochtones, dont on a emprunté – pour la postérité – les noms, car les marques, comme les personnes sont ici honnêtes (sincérité), audacieuses (dynamisme), dignes de confiance (compétence), charmantes (sophistication) et solides (rudesse).
Références
[1] Repris de : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1001267/de-remarquables-oublies-black-hawk
[2] https://www.lapresse.ca/sports/hockey/2020-07-07/les-blackhawks-de-chicago-ne-changeront-pas-de-nom.php
[3] https://www.britannica.com/biography/Pontiac-Ottawa-chief
[4] https://www.thetruthaboutcars.com/2010/03/an-illustrated-history-of-pontiac-part-i-birth-to-1970/
[5] https://www.guideautoweb.com/articles/9522/la-marque-pontiac-n-est-plus/
[6] https://annuelauto.ca/3-janvier-1926-introduction-de-la-marque-pontiac/
[7] https://gmauthority.com/blog/gm/pontiac/why-did-gm-discontinue-pontiac/
[8] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1001543/de-remarquables-oublies-tecumseh
[9] https://www.tecumseh.com/en/na/
[10] https://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/echelle-personnalite-marque-241494.htm
[11] Aaker J.L., “Dimensions of brand personality”, Journal of Marketing Research, vol. 34, n° 3,1997, p. 347-356.
[12] Ferrandi, J., Merunka, D. & Valette-Florence, P. (2003). La personnalité de la marque : bilan et perspectives. Revue française de gestion, no145, p. 145-162. https://doi.org/10.3166/rfg.145.145-162