En juillet dernier, Amedeo Sghinolfi a passé quelques semaines dans le Grand Nord québécois afin d’y mener des travaux scientifiques. Postdoctorant en sciences de l’environnement à l’UQTR, le chercheur a participé sur place à un projet visant à évaluer l’impact des changements climatiques sur le patrimoine culturel du Nunavik. L’étudiant avait pour mandat de tester l’efficacité de différents outils de télédétection pour la récolte d’images, la cartographie et le repérage de sites archéologiques autochtones.
« Les changements climatiques affectent grandement l’environnement dans le nord du Québec. L’érosion côtière en bordure de mer et l’apparition croissante d’arbustes risquent notamment de faire disparaître certains sites archéologiques, où se trouvent des vestiges d’anciens campements ou d’habitations autochtones. C’est pourquoi il est important de recenser, de cartographier et de photographier ces sites avant qu’ils ne disparaissent, afin de conserver des traces de ce patrimoine », explique Amedeo Sghinolfi, qui est titulaire d’un doctorat en archéologie.
L’étudiant a effectué ses travaux au Nunavik sous la supervision du professeur Alexandre Roy du Département des sciences de l’environnement de l’UQTR, un spécialiste de la télédétection en milieu nordique. « Alexandre et moi nous sommes d’abord rendus au Nunavik en février 2023 en compagnie d’autres chercheurs, afin de préparer notre expédition estivale sur ce territoire. Nous y avons rencontré des gens des communautés autochtones et de différentes institutions locales, pour leur faire part de notre projet et nous assurer qu’ils étaient d’accord avec nos démarches », rapporte Amedeo Sghinolfi.
Recueillir des données sur le terrain grâce à des drones
En juillet 2023, Amedeo Sghinolfi est retourné au Nunavik en compagnie du professeur Alexandre Roy et d’une étudiante stagiaire du baccalauréat en géographie environnementale de l’UQTR, Laurence Machabée. Pendant tout le mois, l’équipe a effectué des relevés de télédétection dans deux régions du Nunavik, à l’aide de drones équipés de différents capteurs.
« Nous avons passé la majeure partie de notre temps dans les environs de Kangiqsualujjuaq, une municipalité située sur la rive est de la rivière George. Nous avons pu y travailler sur huit sites archéologiques inuits qui étaient déjà connus grâce à des recherches menées antérieurement. Une douzaine de scientifiques de différents domaines d’expertise, en provenance d’universités québécoises et de la France, participaient aux travaux. Nous avons aussi passé une journée le long de la rivière Caniapiscau, sur un territoire habité par les Naskapis, pour prendre des relevés sur trois sites archéologiques en collaboration avec la biologiste Isabeau Pratte de l’Administration régionale Kativik », précise Amedeo Sghinolfi.
Les drones utilisés par le chercheur comportaient des capteurs permettant de prendre des photographies à différentes altitudes (10 à 120 mètres au-dessus du sol), en vue de réaliser des modèles numériques et en 3D des sites archéologiques. Des capteurs de télédétection par laser (lidar) ont aussi été employés, afin de vérifier s’ils permettaient de repérer des structures archéologiques à travers la végétation (mousse, buissons, arbres).
« Sur les sites archéologiques, nous avons pu observer des traces de campements autochtones. Elles apparaissent surtout sous la forme de structures circulaires au sol, faites de monticules de terre ou de pierres. Ces aménagements servaient autrefois de bases pour y monter des tentes. En territoire Inuit, il y avait également des vestiges de maisons semi-souterraines, creusées plus profondément dans le sol », de décrire Amedeo Sghinolfi.
Travailler en contexte de nordicité
Pour se rendre sur les différents sites archéologiques, le chercheur et ses collègues devaient se déplacer parfois en hélicoptère, parfois en bateau. Certains sites plus facilement accessibles pouvaient aussi être rejoints par camion. Pour ces déplacements, les scientifiques ont bénéficié de l’aide d’employés de Parcs Nunavik, qui les protégeaient également des ours polaires.
« Bien qu’un ours polaire ait attaqué des personnes autour de Kangiqsualujjuaq pendant notre séjour, nous n’en avons vu aucun sur les sites archéologiques. Nous étions tout de même rassurés que des gardes armés nous accompagnent. Par contre, nous avons vu des ours noirs à quelques reprises. Mais les animaux que j’ai trouvés les plus dérangeants, c’était surtout les moustiques », note le postdoctorant avec un sourire.
L’utilité des outils de télédétection
Dans les mois suivant son séjour au Nunavik, Amedeo Sghinolfi a utilisé des logiciels pour traiter les nombreuses données recueillies avec les drones et leurs capteurs. « Nos résultats montrent que les relevés obtenus par ces instruments sont effectivement utiles pour identifier et cartographier des sites archéologiques en milieu nordique. En combinant les données obtenues, nous obtenons aussi des images complètes et tridimensionnelles de ces sites et de leurs caractéristiques. Ces images peuvent être préservées numériquement, favorisant ainsi la conservation du patrimoine culturel autochtone », fait-il remarquer.
Grâce aux données recueillies, Amedeo Sghinolfi a pu également déterminer quel type d’indice ou de marqueur doit être recherché sur des images prises par des drones, pour repérer des structures au sol révélant la présence de vestiges archéologiques. « Les outils de détection que nous avons utilisés peuvent donc nous fournir des indications de la présence d’éléments archéologiques, ce qui s’avérera fort utile pour la recherche de sites patrimoniaux autochtones encore inconnus », explique-t-il.
En comparant ses images avec des photos prises par d’autres chercheurs dans les années 80, le postdoctorant a aussi constaté à quel point la végétation avait progressé sur les sites archéologiques, en raison des changements climatiques. À l’époque, les éléments historiques étaient plus visibles et la végétation, beaucoup plus rare. « Malgré la croissance des plantes, le capteur lidar que nous avons utilisé est quand même arrivé à repérer des structures archéologiques à travers la végétation, lorsque celle-ci n’était pas trop épaisse », constate le chercheur.
Une expérience scientifique et humaine gratifiante
Amedeo Sghinolfi a partagé les résultats de ses travaux et ses données avec l’Administration régionale Kativik. Il fera aussi connaître ses recherches par le biais d’une publication scientifique. « Je trouve important de rendre mes résultats disponibles et accessibles, surtout aux gens du Nunavik à qui reviennent ces informations. J’espère que mon travail sera utile aux communautés nordiques et contribuera à une meilleure compréhension de leur passé et de l’histoire de l’occupation de leur territoire », ajoute le chercheur.
Originaire de l’Italie, Amedeo Sghinolfi se dit reconnaissant d’avoir pu se rendre au Nunavik – un rare privilège – et d’avoir découvert une région nordique du Canada, un pays dont il souhaite devenir bientôt résident permanent. « J’ai appris beaucoup sur l’histoire et l’archéologie du Nunavik lors de mon séjour. À Kangiqsualujjuaq, où nous avons pu profiter des installations d’une station de recherche du Centre d’études nordiques, j’ai aussi aimé côtoyer d’autres scientifiques possédant des expertises variées. Ce fut également une très belle expérience de travailler en collaboration avec les gens du Grand Nord », souligne-t-il.
De nouveaux projets au Nunavik et au Pérou
S’il est possible d’obtenir les subventions nécessaires, Amedeo Sghinolfi espère retourner au Nunavik en 2025, pour la poursuite de ses travaux en télédétection avec le professeur Alexandre Roy.
« Nous aimerions étendre nos recherches sur de plus vastes territoires et utiliser nos instruments pour trouver des sites archéologiques inconnus. Nous voulons aussi collaborer encore davantage avec les gens des communautés locales, notamment pour qu’ils nous indiquent les endroits les plus susceptibles de présenter des sites archéologiques. Nous nous intéressons également aux secteurs où il y a eu dernièrement des incendies de forêt, car la végétation y est moins abondante, ce qui facilite le repérage de vestiges archéologiques à l’aide de drones. Si possible, nous aimerions publier ensuite nos résultats sur un site Web afin de rendre disponibles au plus grand nombre les renseignements obtenus », espère Amedeo Sghinolfi.
Le chercheur occupe actuellement un poste de professeur adjoint au Département d’anthropologie de la Western University (London, Ontario), où il a obtenu son doctorat en 2021. Pendant ses études dans cet établissement, Amedeo Sghinolfi a mené des recherches archéologiques au Pérou, un endroit qui l’intéresse tout particulièrement. Il souhaite retourner prochainement dans ce pays afin d’y réaliser d’autres travaux. Sur place, il compte bien mettre à profit sa nouvelle expertise en télédétection acquise au Nunavik.