Au fil d’un magasinage sur le Web, vous trouvez votre parfum préféré vendu à prix vraiment modique. Vous êtes tenté de profiter de cette aubaine. Mais derrière cette offre attrayante pourrait se cacher un fraudeur qui vous livrera un parfum contrefait de piètre qualité, possiblement néfaste pour votre santé. Ce type d’escroquerie, en progression dans le monde, intéresse tout particulièrement Pier-Louis Dumont, doctorant en science forensique à l’UQTR. L’étudiant y a consacré ses recherches au cours des dernières années, afin de contribuer à l’amélioration des enquêtes policières sur la contrefaçon des parfums.
C’est pendant ses études à la maîtrise en chimie à l’UQTR – après avoir terminé son baccalauréat en chimie avec profil criminalistique – que Pier-Louis Dumont a commencé ses travaux sur les parfums contrefaits. « À l’époque, se rappelle-t-il, j’ai eu la possibilité de réaliser mon projet de maîtrise en collaboration avec la section de chimie du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale de Montréal. Cette dernière m’a proposé d’étudier la contrefaçon de parfums, un sujet qui rejoint plusieurs concepts propres à la science forensique. »
Des produits susceptibles de nuire à la santé
Pour ses travaux de recherche, Pier-Louis Dumont a eu accès à des parfums contrefaits obtenus lors de deux saisies policières réalisées au Québec. En tout, il disposait de 156 échantillons de produits contrefaits se répartissant entre 65 sortes différentes de parfums, liés à 29 grandes marques.
Partant de cette matière première, le chercheur a voulu d’abord analyser des parfums contrefaits et des parfums authentiques, afin de comparer leur composition chimique et d’étudier les caractéristiques permettant d’établir s’il y a présence ou non de contrefaçon. Cette analyse a eu lieu dans les locaux du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale (LSJML), où les parfums contrefaits devaient demeurer pour des raisons légales. Du côté des parfums authentiques, une vingtaine de spécimens (20 sortes différentes, réparties dans 5 grandes marques) ont été analysés.
« La composition chimique d’un parfum et de ses fragrances est extrêmement complexe, précise Pier-Louis Dumont. Chez les parfums authentiques, je détectais entre 100 à 120 molécules différentes. Mais du côté des parfums contrefaits, ce nombre chutait considérablement avec seulement 40 à 60 molécules. Ce résultat suggère que les fraudeurs utilisent un minimum de composés olfactifs pour produire leur parfum. Il y avait aussi certaines molécules qui étaient présentes dans mes parfums contrefaits, mais absentes chez les parfums authentiques. »
Le chercheur a notamment constaté que du méthanol se trouvait dans les parfums contrefaits, alors que le solvant utilisé dans les parfums authentiques était plutôt de l’éthanol. « Le méthanol est un produit possiblement moins dispendieux mais à la longue, il peut causer une irritation cutanée. Et s’il traverse la peau et entre dans le système sanguin, il peut devenir toxique. Et puisque les parfums contrefaits ont une odeur moins persistante – ce que j’ai pu constater lors de mes travaux –, l’usager risque d’en appliquer plus souvent et de s’exposer ainsi à un risque accru lié à l’utilisation du méthanol », souligne Pier-Louis Dumont.
Chez les spécimens de parfums contrefaits, l’étudiant a aussi trouvé des molécules reconnues comme potentiellement allergènes, peu employées dans l’industrie de la parfumerie en raison des restrictions sévères concernant leur utilisation. De plus, les parfums de contrefaçon présentaient des substances employées anciennement en parfumerie, mais dont l’usage a été abandonné aujourd’hui en faveur de produits plus durables et moins toxiques.
« On peut penser qu’un parfum contrefait, c’est banal, et l’on n’y fait pas vraiment attention. Pourtant, il s’agit d’un produit que nous appliquons directement sur nous, sur notre peau, et qui peut avoir un impact sur notre santé. Malheureusement, les parfums contrefaits sont facilement accessibles pour les consommateurs, surtout avec l’augmentation du commerce en ligne. Et il y a encore peu d’études qui se consacrent à la contrefaçon du parfum et des cosmétiques », commente Pier-Louis Dumont, qui réalise ses travaux sous la direction du professeur Maxime Bérubé, titulaire de la Chaire de recherche UQTR en forensique numérique, ainsi que sous la supervision de Caroline Mireault, chimiste au LSJML et diplômée de l’UQTR.
Fournir des renseignements utiles aux forces policières
Poussant plus loin ses recherches, l’étudiant a voulu vérifier s’il était possible d’obtenir des informations sur les méthodes de production des parfums contrefaits, à partir de ses échantillons.
« En étudiant la composition chimique des parfums contrefaits, j’ai constaté qu’il existait une similarité entre eux et que plusieurs partageaient un même profil chimique, que ce soit à l’intérieur d’une même marque ou à travers l’ensemble des différentes marques. Ce résultat suggère que les parfums contrefaits à l’étude proviendraient d’une source de production commune », rapporte Pier-Louis Dumont.
À l’aide d’un logiciel spécialisé, l’étudiant a ensuite réalisé une analyse de réseaux permettant de faire ressortir visuellement la force des liens entre les parfums. La figure obtenue a aussi confirmé que plusieurs parfums contrefaits étaient très proches chimiquement et partageaient des caractéristiques semblables.
« Ces renseignements tirés du profilage chimique des parfums peuvent intéresser les forces policières qui enquêtent sur la contrefaçon. La présence de similarités chimiques entre les parfums contrefaits suggère l’existence d’un même producteur pour les vendeurs. Ces derniers ne seraient donc pas la cible la plus intéressante pour perturber les actions criminelles de la contrefaçon. Les actions policières auraient plutôt avantage à viser l’organisation qui se cache derrière les vendeurs et les approvisionne en parfums frauduleux. Toutefois, si cette organisation n’est pas localisée ici, au pays, comme c’est souvent le cas, cela peut compliquer les enquêtes », mentionne Pier-Louis Dumont.
Développer une nouvelle méthode de profilage
Au cours des derniers mois, Pier-Louis Dumont a entamé ses études doctorales en science forensique. Il poursuit ses recherches sur les parfums contrefaits, s’intéressant tout particulièrement à ceux vendus sur Internet.
« Je prévois commencer mes travaux avec des plateformes de vente en ligne présentes sur les réseaux sociaux. Je veux m’y procurer des parfums contrefaits afin de pouvoir analyser leur composition chimique. Je colligerai aussi des données sur l’aspect physique et visuel de ces parfums, notamment en ce qui concerne l’emballage, la présentation graphique et le contenant. Je récolterai également des renseignements sur les annonces vendant des parfums contrefaits », indique-t-il.
Avec l’ensemble de ces caractéristiques, le doctorant dressera des profils cibles de fraudeurs, ce qui permettra de faire progresser les enquêtes sur la contrefaçon, de mieux détecter les réseaux de production et de distribution des parfums contrefaits et de bonifier les connaissances sur les modes opératoires utilisés par les criminels pour la vente en ligne.
« Grâce à mes travaux, je souhaite développer une nouvelle méthode de profilage dans le domaine du renseignement forensique, intégrant à la fois les traces numériques, chimiques et physiques d’un phénomène criminel. Outre la contrefaçon des parfums, cette approche pourrait éventuellement être appliquée à d’autres formes de criminalité touchant la vente de produits volés ou illicites », explique l’étudiant.
S’il dispose des ressources nécessaires, Pier-Louis Dumont espère élargir ses recherches à d’autres produits cosmétiques contrefaits, en plus des parfums. « Avec le temps, je voudrais également suivre les tendances dans le domaine de la contrefaçon, pour aider les forces policières à adapter leurs moyens de prévention et de répression de ce type de criminalité », ajoute-t-il.
Notons que Pier-Louis Dumont s’est rendu en Australie en novembre dernier, afin d’y présenter ses travaux à l’occasion d’une réunion de l’Association internationale des sciences forensiques. En avril 2023, il a également remporté le Prix intersectorialité du 29e Concours d’affiches scientifiques de l’UQTR, pour sa présentation intitulée La trace chimique au service du renseignement forensique : un exemple par le profilage de parfums contrefaits.