Au cours de la récente pandémie de COVID-19, les Québécois ont pris conscience de la nécessité d’accroître leur autonomie alimentaire et de cultiver davantage de fruits et légumes localement, surtout en période hivernale. En lien avec ce constat, le professeur en biologie végétale Tagnon Missihoun de l’UQTR a lancé un projet visant à étudier l’effet d’un apport additionnel en lumière infrarouge sur la production en serre du poivron rouge. Les excellents résultats obtenus par le chercheur et son équipe, en matière de rendement et de qualité des fruits, offrent de nouvelles avenues prometteuses aux producteurs en serre de la province.
« Pour notre expérimentation, nous avons éclairé des plants de poivrons avec des suppléments de lumière dans le spectre de l’infrarouge. Grâce à ce traitement, les plants ont produit jusqu’à 74 % plus de fruits, en termes de kilogrammes récoltés. Le poids individuel des poivrons frais a aussi connu un gain allant jusqu’à 25 %. La qualité des fruits s’est également bonifiée avec une teneur en sucres de 3 à 6 % plus élevée. Les poivrons contenaient aussi jusqu’à 58 % plus de composés phénoliques, lesquels ont des effets antioxydants et bénéfiques pour la santé », rapporte Tagnon Missihoun.
Ces résultats remarquables ont été obtenus sur deux sites expérimentaux différents : une serre commerciale située en Montérégie, ainsi qu’une chambre de culture logée dans un laboratoire du pavillon Pierre-Boucher de l’UQTR.
« Ce sont les Serres Lefort, aujourd’hui appelées Gen V, qui nous ont accueillis dans leurs installations de Sainte-Clotilde pour la partie de nos travaux se déroulant en contexte réel de production agricole. Gen V nous a libéré un espace où nous avons pu suivre la croissance d’environ 200 plants de poivrons rouges de variété Margrethe sous différents éclairages d’infrarouge, d’octobre 2022 à mars 2023 », précise le professeur Missihoun.
Des lampes DEL pour contrôler les paramètres lumineux
Les plants de poivrons rouges cultivés chez Gen V ont été divisés en trois groupes, afin de leur fournir différentes quantités de lumière « rouge lointain », un type de rayonnement se situant dans l’infrarouge. Certains plants, désignés comme « groupe contrôle », ont reçu une proportion de 5 % de rouge lointain dans leur éclairage, un taux comparable à celui présent dans la lumière solaire. Les deux autres groupes se sont vu administrer respectivement 10 % et 15 % de rouge lointain.
« Pour faire varier les taux d’infrarouge, nous ne pouvions utiliser l’éclairage artificiel en place chez Gen V. Cette dernière, comme la plupart des serres commerciales, utilise des lampes à vapeur de sodium haute pression qui ne permettent pas de modifier la quantité d’infrarouge et n’offrent qu’une quantité négligeable de ce type de lumière. Nous avons donc dû installer dans notre portion de serre des lampes à diodes électroluminescentes, ou DEL, qui fournissent un éclairage semblable à celui du soleil et dont il est possible de moduler le niveau d’infrarouge. Ces lampes nous ont été fournies par Sollum Technologies, une entreprise québécoise qui s’est associée à notre projet et nous a accompagnés pour l’installation et la gestion des DEL, autant en serre que dans notre chambre de culture, à l’UQTR », signale Tagnon Missihoun.
Pendant qu’une portion des travaux scientifiques se déroulait chez Gen V – le temps d’une saison froide –, le professeur Missihoun a démarré le même type d’expérimentation à échelle plus réduite, en chambre de culture à l’UQTR. Un espace a été spécialement aménagé pour bâtir trois sections fermées offrant différents éclairages infrarouges (5 %, 10 % et 15 %) et pouvant accueillir chacune une vingtaine de plants de poivrons.
« Une fois nos travaux terminés dans la serre commerciale, nous avons poursuivi nos recherches dans notre chambre de culture. Nous avons fait pousser des plants de poivrons à différentes reprises sous nos trois éclairages, pour nous assurer de la validité et de la reproductivité de nos observations. Le travail en laboratoire nous permettait aussi de mieux contrôler certains paramètres comme la qualité de la lumière, l’humidité ou la température. Nos expériences sur la lumière infrarouge et les plants de poivrons sont d’ailleurs toujours en cours dans la chambre de culture, laquelle est utilisée par les membres du Groupe de recherche en biologie végétale de l’UQTR, dont je fais partie », souligne Tagnon Missihoun.
Des résultats menant vers l’amélioration des méthodes de production
Tout au long de l’expérimentation, autant en serre qu’en chambre de culture, des données ont été recueillies sur le processus de photosynthèse des plants de poivrons. Un suivi agronomique a aussi été effectué régulièrement pour mesurer la taille des plants, compter les fruits récoltés et peser ces derniers. Des échantillons de poivrons ont ensuite été analysés en laboratoire, pour en connaître la composition chimique.
« Les résultats obtenus en serre et en chambre de culture étaient relativement similaires. En gros, la photosynthèse des plants de poivrons n’a pas trop changé dans les groupes à 10 % et 15 % d’infrarouge, en comparaison avec le groupe contrôle à 5 %. Mais ce qui s’est modifié, c’est la hauteur des plants. Plus l’apport en infrarouge était grand, plus les plants étaient hauts. Quant au rendement en fruits, il était plus élevé chez les poivrons éclairés avec 10 % de rouge lointain, par rapport à ceux recevant 5 % ou 15 % de cette lumière. Ce résultat montre qu’un taux de 10 % est déjà suffisant pour obtenir plus de kilogrammes de fruits. Quant à l’augmentation du poids individuel des poivrons et de la teneur en sucre et en composés phénoliques, elle se reflétait autant chez les groupes à 10 % qu’à 15 % de rouge lointain », note le professeur Missihoun.
Au fil des travaux, le chercheur a également constaté que les gains obtenus pouvaient varier, en fonction du moment où le supplément de rouge lointain était ajouté à l’éclairage des plants de poivrons. De plus, les données obtenues ont montré qu’un supplément de lumière rouge lointain augmentait le temps de maturation des plants de poivrons de 5 à 9 jours. Plus le taux d’infrarouge était élevé, plus cela retardait la récolte des fruits.
« Si le temps de maturation s’étire, le producteur devra éclairer plus longtemps les plants de poivrons, ce qui peut entraîner des frais supplémentaires, constate le professeur Missihoun. Mais en même temps, l’éclairage avec des lampes DEL est moins coûteux en énergie et permet d’obtenir un rendement accru en fruits. Il faut donc considérer l’ensemble de ces aspects pour choisir le meilleur taux de lumière infrarouge qui permettra à la fois d’optimiser le rendement et de minimiser les coûts. »
Utiliser des lampes DEL comme source d’éclairage en serre comporte également un autre défi. Ce type de luminaire dégage peu de chaleur, comparativement aux lampes à vapeur de sodium haute pression traditionnellement utilisées par les producteurs. « En remplaçant l’éclairage actuel dans les serres par des lampes DEL, il y aura un manque de chaleur à combler pendant la période hivernale. Il nous faut donc nous pencher sur cette difficulté, ce que nous faisons actuellement dans nos recherches », d’ajouter le professeur Missihoun, qui œuvre au sein du Département de chimie, biochimie et physique de l’UQTR.
Un travail d’équipe, en échange avec le milieu
Pour mener à bien son projet scientifique, Tagnon Missihoun s’est entouré de collaborateurs. L’étudiant Georges Yannick Fangue Yapseu et l’étudiante Awa Marina Mouliom Ntapnze, tous deux doctorants en biologie cellulaire et moléculaire à l’UQTR, participent activement aux travaux de recherche.
« Le professeur Vincent Maire du Département des sciences de l’environnement de l’UQTR et la professeure Martine Dorais du Département de phytologie de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval se sont aussi associés au projet, mentionne Tagnon Missihoun. Nous avons également obtenu une subvention du programme Innov’Action du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, le MAPAQ. Nous travaillons aussi en collaboration avec les Producteurs en serre du Québec et la Zone Agtech, laquelle s’intéresse aux technologies agricoles innovantes. »
En août 2023, le professeur Missihoun a participé à une réunion de producteurs en serre québécois, afin de leur livrer ses résultats scientifiques sur les effets de l’éclairage infrarouge. Il prépare également un rapport sur ses travaux de recherche pour le MAPAQ. « En collaboration avec la Zone Agtech, nous prévoyons aussi organiser d’autres activités de transfert de connaissances vers les producteurs en serre. Nos échanges avec eux nous permettent non seulement de les informer sur nos avancées, mais également de recevoir leurs commentaires et de rester à l’affût des nouveautés dans le domaine de la culture en serre », indique-t-il.