Imaginez un paysage recouvert d’une épaisse couche de neige et de glace, laquelle est bien solide, autant sur les lacs et les rivières que la mer. C’est à ce moment de l’année que l’accès aux territoires de chasse et pêche est privilégié pour les Inuit, qui voyagent principalement en motoneige. Pourtant, ce paysage se modifie à un rythme alarmant, dans cette région où les changements environnementaux sont quatre fois plus intenses qu’ailleurs.
Comment sont vécus certains de ces changements par les communautés nordiques lors de leurs déplacements ? C’est à l’aide de la cartographie participative, avec l’appui d’entrevues qualitatives, que nous avons documenté les observations de plusieurs membres de la communauté de Kangiqsualujjuaq au Nunavik pour répondre à ce questionnement.
Cet article – Courant d’idées – est rédigé par Anne-Laure Morin, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Depuis 2016, la communauté de Kangiqsualujjuaq, située à l’embouchure de la rivière George dans la baie d’Ungava au Nunavik, mène un suivi environnemental communautaire appelé Imalirjiit (Ceux qui étudient l’eau) en partenariat avec la professeure Esther Lévesque et sa coordinatrice de recherche José Gérin-Lajoie du Département des sciences de l’environnement. En tant que candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement, je me suis intéressée à l’utilisation du territoire hivernal de cette communauté en adoptant des approches participatives.
Le projet a d’abord été présenté aux autorités locales, tout en réfléchissant à sa portée, ses buts et aux besoins locaux. Ce travail préparatoire est essentiel pour récolter des données de manière collaborative et favoriser la co-construction de la recherche.
Cartographier les usages
Avant de se lancer à faire des ateliers, une étape fondamentale était de collecter et de valoriser les données d’utilisation du territoire déjà existantes. Par la suite, en décembre 2023, une dizaine de membres de la communauté, considérés comme actifs sur le territoire, ont été invités à la station de recherche du Centre d’études nordiques, située au village de Kangiqsualujjuaq. À l’aide de cartes topographiques et d’anciennes cartes des routes hivernales, ils ont annoté et commenté les principaux sentiers hivernaux, les zones dangereuses, les lieux de collecte de nourriture traditionnelle, tout en partageant leurs observations des changements climatiques. Dans ces échanges, une interprète a joué un rôle central dans les communications qui étaient majoritairement en inuktitut. L’utilisation des cartes a facilité les entretiens et révélé des aspects importants pour les participants.
Les défis climatiques
« Il y avait auparavant de la neige en septembre », se rappelle un membre de la communauté. Pourtant, à notre visite en décembre, l’épaisseur de neige n’était pas encore suffisante pour la motoneige. De même, on constate un retard de deux mois dans la formation de la glace. Cette dernière est nécessaire pour les déplacements et les activités de subsistance. La pêche sur glace notamment demeure une activité vitale et grandement appréciée par l’ensemble des personnes interrogées.
Cette situation incite les gens à être vigilants. « Il faut être plus prudent, car cela ne gèle plus comme avant », remarque un Inuk. Nombreux sont ceux qui témoignent également ne plus être en mesure de se fier aux indicateurs météorologiques traditionnels : « Nous ne pouvons plus prédire la météo », déplore un participant.
Face à cette réalité, la nécessité d’accéder à des données climatiques fiables a été identifiée pendant les entretiens. Comme l’a souligné un participant menant des opérations de sauvetage (SAR) « [les informations sur la glace et le vent] devraient faire partie des informations publiques, parce que nous luttons contre les changements climatiques (…). »
Se déplacer
Le choix du mode de transport est aussi modifié. Un participant à l’étude a témoigné de cette réalité, en racontant comment il a délaissé sa motoneige au profit de son bateau pour chasser l’oie des neiges au printemps dernier. Les changements de la glace ont rendu son bateau plus sécuritaire que sa motoneige pour la fin de la saison.
La préparation est primordiale pour assurer sa sécurité, d’où la nécessité de maintenir ses machines et outils en bon état. À certains endroits stratégiques, du carburant est entreposé en prévision de pannes : « Si les chasseurs manquent d’essence […], nous partageons. S’ils en ont les moyens, ils rendront ce qu’ils ont utilisé. Cela fait partie de notre mode de vie », indiquait un participant. Cependant, à ces équipements indispensables sont associés des coûts très importants pour les ménages, ce qui limite l’accès au territoire : « J’irais sur le territoire chaque fin de semaine si j’en avais les moyens », nous confiait un participant à la recherche.
Pour le futur
L’approche participative a permis de documenter des connaissances locales précieuses sur les déplacements et l’hiver. Les retours des participants soulignent l’importance d’implanter des solutions durables dans le temps pour faire face aux défis climatiques. Ces approches pourraient consister en l’installation de caméras pour surveiller le territoire en temps réel ou l’utilisation d’applications numériques pour suivre l’évolution de la glace.