Une île avec une nature sauvage, sans arbre et bercée par les rayons du soleil de minuit, ça vous dit ? C’est là où vont des membres de la communauté scientifique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) pour comprendre les effets des changements climatiques en Arctique. Ils étudient différentes composantes (sols, végétation, etc.) de la vallée de Qarlikturvik sur l’île Bylot au Nunavut (Canada). Ces informations sont utiles à la fois aux scientifiques et aux Inuit de Mittimatalik, la communauté située au nord de l’île Baffin qui est aux premières loges de ce phénomène mondial.
Cet article – Courant d’idées – est rédigé par Virginie Favreau, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Telle une oie migratrice, le scientifique bylotien se pose pour récolter des données avant de s’envoler de nouveau vers le Sud pour tout analyser en faisant une brève escale dans la communauté inuite de Mittimatalik (Pond Inlet). Bien que la science soit souvent perçue comme étant hermétique, des efforts sont déployés par les scientifiques de l’UQTR afin de rendre cette dernière plus accessible pour les Inuit. Vulgariser la science, une part essentielle du travail d’un scientifique comprenant son lot de défis.
La science nordique, un lien à tisser
Pour les chercheuses et chercheurs, se déplacer vers les régions arctiques implique non seulement de faire la science, mais aussi de tisser un lien de confiance avec les membres de la communauté. Un processus nécessaire pour lequel il faut consacrer du temps puisque les recherches ont lieu sur le territoire ancestral de ces communautés. Le mot-clé important à retenir ici : partager.
Entretenir le lien de confiance avec les communautés peut prendre de multiples formes, comme d’expliquer et de montrer ce qui est fait lors de la récolte d’échantillons, ou encore de faire participer les membres de la communauté dans les suivis environnementaux. De plus en plus, on retrouve aussi, au cœur même des projets de recherche, l’intégration du ScIQ, un concept novateur qui combine la science et le savoir traditionnel local inuit nommé Qaujimajatuqangit inuit (IQ) au Nunavut. Le ScIQ permet la cocréation et donne la latitude aux Inuit d’occuper la place qu’ils souhaitent prendre au cours de ce processus. Un processus pour lequel les échanges vont autant dans un sens que de l’autre.
Le partage des résultats de recherche est également un moyen de contribuer au maintien de ce lien, en montrant aux communautés inuites qu’il y existe une suite aux visites des scientifiques. Pour les chercheurs de l’UQTR, une façon de présenter les résultats de recherche à la communauté de Mittimatalik est sous forme d’affiches vulgarisées. Ces affiches peuvent être présentées par les étudiantes et étudiants lors de leur séjour dans le hameau, pour ensuite être exposées à la COOP ou au Nattinak Visitor’s Centre, favorisant ainsi les échanges entre scientifiques et Inuits.
Raconter la science, un défi de taille !
Ayant déjà revêtu mon costume d’oie migratrice durant un peu plus d’un mois pendant deux étés consécutifs, j’ai pris conscience qu’il existe des contraintes à la vulgarisation en milieu nordique dans un contexte universitaire. Un aspect, rappelez-vous, pourtant important pour créer ou préserver le lien de confiance avec la communauté inuite. Autant pour les étudiants aux cycles supérieurs que les chercheurs, il peut être difficile d’établir cette connexion avec les membres de la communauté puisque chacun, Inuit comme scientifique, possède ses propres intérêts et exigences particulières à satisfaire.
Pour les étudiantes et étudiants à la maîtrise, par exemple, une des contraintes rencontrées est la durée des études qui s’étale sur deux années. Souvent, ceux-ci se rendent dans la communauté pour la première fois vers la moitié de leur parcours académique sans aucun résultat à présenter. Normal, puisqu’il faut récolter et analyser des données avant d’avoir des résultats. En deux ans, les occasions de visiter et d’échanger avec les membres de la communauté sont plutôt rares et se limitent à un seul séjour de 2 à 4 jours.
Le fait qu’il y ait près de 3 000 km séparant Trois-Rivières et Mittimatalik et que des coûts importants sont engendrés pour se rendre au site d’étude, les chances d’établir un lien de confiance avec la communauté et de vulgariser les résultats de recherche sont plutôt restreintes. Par exemple, le prix des billets d’avion peut facilement excéder les 3 500 $ pour un aller-retour ! Dans ces situations, il devient important de saisir les opportunités pour échanger avec la communauté, car un retour n’est pas toujours possible. Il existe toutefois des subventions ou des bourses comme le Fonds d’initiatives nordiques (gouvernement du Québec) et la Bourse du Fondateur (CEN) qui permettent de soutenir la recherche et la diffusion dans le Nord.
Vulgariser implique également de communiquer clairement à son auditoire. Ainsi, la langue utilisée en contexte de vulgarisation peut être une barrière importante dans la transmission des informations, d’où la pertinence de faire traduire les documents présentés à ces communautés ou d’être accompagné par une interprète.
Les sciences nordiques en transformation
Les différentes contraintes énoncées précédemment ne représentent qu’une partie des aléas rencontrés au moment de faire la science et de vulgariser nos résultats en régions éloignées comme l’Arctique. C’est en prenant conscience et en nommant ces difficultés qu’il est possible d’en tirer des apprentissages et de faire évoluer les méthodes scientifiques vers une vision plus inclusive en recherche. Les chercheurs ne peuvent plus se contenter de prendre que des données et ensuite partir sans rien partager avec la communauté, une méthode communément appelée science « hélicoptère ». Une vision plus inclusive permettrait plutôt au scientifique d’être vu comme un acteur de soutien à la recherche par les communautés inuites et non pas comme une oie migratrice s’éclipsant dès que la saison se termine. Une vision qui, finalement, laisse place aux voix du Nord.