Nous sommes tous affectés de près ou de loin par la crise climatique, chacun à des degrés différents selon les endroits où nous vivons. « Bien qu’elle concerne l’ensemble de la population mondiale, tous ne sont pas égaux face à ses conséquences. En effet, la crise climatique contribue à exacerber des situations d’injustice que vivent les personnes davantage vulnérables dans la société, incluant dans les pays dits développés comme le Canada », lance d’emblée Valérie Lafond, étudiante au doctorat en philosophie – concentration en éthique appliquée – à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Dans ce contexte, la vulnérabilité est liée aux caractéristiques d’une personne ou d’un groupe qui ont une influence sur sa disposition à anticiper, faire face, résister et se remettre de l’impact d’une catastrophe naturelle, lesquelles seront de plus en plus présentes avec l’intensification de la crise climatique. Les facteurs de vulnérabilité incluent notamment l’âge, les capacités, la classe sociale, le genre et l’ethnie, et ceux-ci découlent des systèmes d’oppression qui influencent les opportunités de certaines personnes et populations.
Migration climatique : un statut non reconnu
La migration climatique, qui pousse des populations à quitter leur domicile de façon temporaire ou permanente, n’est pas reconnue comme un statut légal. En ce sens, le droit international ne prévoit pas un statut spécifique de réfugié climatique, ce qui peut compliquer l’accès aux protections juridiques et à l’aide humanitaire.
« Les personnes qui fuient leur région à cause des catastrophes naturelles ou des conditions de vie devenues invivables ne bénéficient pas d’un statut de réfugié climatique. Ainsi l’injustice devient encore plus flagrante par le manque d’accès à l’aide internationale et à l’accueil dans d’autres pays qui, bien souvent, sont eux-mêmes parmi les principaux responsables de la crise climatique à cause des émissions de gaz à effet de serre et de l’exploitation démesurée des ressources naturelles dans les régions vulnérables », précise Valérie.
La migration climatique interne
Bien que le Canada ne soit pas considéré comme un pays vulnérable au même titre que plusieurs de l’hémisphère sud, sa population n’est pas à l’abri des effets du changement climatique. Les vagues de chaleur, les incendies de forêt et les inondations sont des phénomènes qui affectent de plus en plus les habitants.
Les migrations internes, souvent perçues comme des épisodes ponctuels et temporaires, deviennent une nouvelle normalité. Par exemple, au cours de l’été 2023, des incendies de forêt ont ravagé plusieurs régions québécoises, forçant des milliers de personnes à évacuer leur domicile.
« On pourrait penser qu’un pays comme le Canada, avec sa stabilité économique et son discours sur l’égalité, aborde de manière plus équitable la gestion de la migration climatique, mais des injustices peuvent toujours survenir en raison des biais et des présupposés inconscients », avance la jeune chercheuse, avant d’ajouter : « Et c’est pourquoi j’ai choisi, dans mon projet de doctorat, de décrire les expériences vécues par des personnes migrantes en contexte de crise climatique, de clarifier l’impact des injustices structurelles sur leur vulnérabilité et d’identifier des pistes de solutions pour contrer les éventuelles injustices nommées. »
Ergothérapeute de formation, Valérie s’est intéressée à l’écoresponsabilité dans la pratique professionnelle selon une perspective éthique dans le cadre de son projet de maîtrise supervisée par la professeure Marie-Josée Drolet. « Pour être honnête, j’ai tellement aimé travailler avec elle qu’en terminant ma maîtrise, je voulais poursuivre au doctorat en éthique appliquée pour me permettre d’adopter une vision holistique des injustices climatiques », soutient celle dont le projet de thèse est dirigé par les professeures Marie-Josée Drolet et Marie-Michèle Lord du Département d’ergothérapie de l’UQTR.
Quelle forme prend l’injustice climatique au Canada ?
Loin des images de caravanes de migrants qui fuient des conditions de vie déplorables, le visage de l’injustice climatique au Canada revêt un voile plus subtil. Prenons l’exemple d’un incendie de forêt où l’on suppose que, lors de l’ordre d’évacuation, tout le monde ait accès à un véhicule pour fuir ; or, une personne à mobilité réduite, une autre qui est isolée ou une qui est en situation d’itinérance peut être confrontée à plusieurs obstacles lorsqu’il s’agit de quitter une zone rapidement.
Ce type de situations rend certaines populations beaucoup plus vulnérables, comme les personnes âgées, celles en situation de handicap ou vivant dans des conditions socioéconomiques difficiles. De plus, les communautés racisées, qui résident parfois dans des zones précaires ou moins bien desservies, peuvent être exposées à des risques plus élevés en cas de catastrophe naturelle.
Des inégalités apparaissent aussi dans la répartition des ressources pour faire face aux conséquences de la crise climatique. « Il s’agit de formes de discrimination perpétuées de manière non intentionnelle par le système. Ce sont des biais ou des omissions qui se glissent dans les lois, les politiques, les protocoles, les programmes d’aide financière, etc., et qui viennent affecter davantage un groupe plutôt qu’un autre. La lutte contre ces injustices climatiques ne peut donc pas se limiter à une simple réduction des émissions de gaz à effet de serre ; elle doit aussi inclure une refonte de la gouvernance pour mieux répondre aux besoins des populations les plus vulnérables », affirme la jeune femme.
Documenter l’expérience des migrants climatiques
Selon Valérie, pour s’attaquer efficacement aux injustices climatiques, il est essentiel d’adopter une approche qui tienne compte des expériences des personnes directement affectées : « Trop souvent, les décisions politiques sont prises sans consulter les communautés touchées, qu’il s’agisse de migrants climatiques internationaux ou de populations locales déplacées à la suite des catastrophes », croit-elle.
« Les gouvernants ont beau réfléchir à des solutions et des stratégies, mais est-ce que ça convient aux personnes affectées qui peuvent vivre ces injustices ? Quelles solutions aimeraient-elles qui soient mises en place pour contrer ces injustices ? », questionne la doctorante en philosophie, avant de conclure : « Les personnes qui vivent le phénomène ont une expérience concrète à partager. Ces données empiriques pourraient orienter des solutions plus justes et équitables. En intégrant la voix des personnes marginalisées, on pourrait améliorer les politiques publiques et les adapter aux réalités concrètes des communautés les plus touchées. »