Qui ne se souvient pas d’avoir ouvert une bande dessinée de Lucky Luke et de s’être émerveillé, après un bon rire, de l’intelligence avec laquelle le créateur belge Morris a su parodier l’imaginaire du Far West américain. Cette œuvre va, dès le milieu des années 1940, inspirer une nouvelle génération de dessinateurs à qui l’on doit des titres ou des séries ayant marqué l’univers bédéesque, avec des personnages tels que Spirou, Ray Banana ou Jack Palmer.
« Le succès de certaines de ces œuvres peut sans doute s’expliquer par le fait qu’elles s’organisent autour d’une réflexion sur les tics et les limites des genres – western, polar, science-fiction, etc. – et qu’elles se présentent sur un mode railleur. Dans la parodie, les auteurs visent à exagérer de manière satirique les traits marquants d’un genre, d’une œuvre ou d’un personnage», écrit le regretté professeur Pierre Huard (1961-2010) du Département de lettres et communication sociale de l’UQTR. L’édition posthume de sa thèse, intitulée La parodie dans la bande dessinée franco-belge (Presses de l’Université du Québec), porte un regard sur l’évolution et le jeu métadiscursif de la parodie dans la bande dessinée, appréhendée en tant que média, et dans une perspective communicationnelle à son rapport avec le social.
Ainsi, Pierre Huard a travaillé sur un corpus de dix œuvres de bande dessinée dites « franco-belges » publiées entre 1952 et 1994 et jugées exemplaires par la critique spécialisée. Celles-ci sont mises en relation avec un autre ensemble d’œuvres dont les traits sont à la fois imités et déformés, ce en quoi consiste la parodie.
« À la suite de l’analyse qualitative, nous avons constaté un phénomène de parodies de bande dessinée de genre, comprises dans la logique de l’autoréférentialité, particulièrement à partir des années 1970. La bande dessinée ne réfère désormais qu’à elle-même par l’emprunt de figures antérieures et par la mise en scène d’un imaginaire connu. La bande dessinée commence donc à se moquer d’elle-même, ce qui contribue à sa légitimité en tant que neuvième art, au risque de devenir plus élitiste », constate Pierre Huard.