La pandémie de COVID-19 amène avec elle une épreuve insoupçonnée : celle de vivre une sexualité saine en temps de confinement. Afin d’aider les gens à relever ce défi, Marie-Pier Vaillancourt-Morel, professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), a accepté de partager son avis sur différents aspects de cette situation extraordinaire.
Partout, c’est la même chose. Les restaurants et les bars sont déserts, les établissements d’enseignement sont fermés, et les différents lieux de travail se vident à vue d’œil. Les individus se retrouvent même coupés de leur propre cercle social. Pour les célibataires, ce contexte est propice à tout sauf aux nouvelles rencontres. Une situation plutôt inhabituelle pour les « tombeurs d’un soir ».
« La tendance à multiplier les conquêtes sexuelles peut simplement être le reflet d’un niveau de désir sexuel plus élevé. Les motivations à avoir des relations sexuelles sont nombreuses : la recherche de plaisir physique et d’excitation, l’expression de son amour, la réduction du stress, la gestion des émotions difficiles (incluant le stress et la solitude), etc. Les recherches suggèrent que les relations sexuelles d’un soir ou les fréquentations sont plus fortement associées à des motivations de recherche de plaisir. Mais quand ça devient compulsif ou excessif, elles sont plutôt associées à des motivations de gestion des émotions et des insécurités », explique Mme Vaillancourt-Morel.
« En période de confinement, les personnes vivant seules qui ont tendance à avoir plusieurs partenaires sexuelles pourraient avoir à gérer leur désir sexuel plus élevé autrement, ou encore être confrontées aux émotions qu’elles tentaient d’éviter par les relations sexuelles. Un désir sexuel plus élevé peut se gérer par des comportements sexuels solitaires. »
« Cependant, lorsque les comportements sexuels visaient déjà à gérer un sentiment de solitude ou des insécurités, l’isolement peut venir exacerber ces émotions négatives, et des méthodes alternatives de gestion des émotions devront être mises en place. Malheureusement, celles-ci ne seront pas nécessairement plus saines que les compulsions sexuelles. Par exemple, on peut penser aux comportements sexuels solitaires compulsifs, mais aussi à l’utilisation excessive d’alcool », ajoute-t-elle.
Et pour les couples ?
Du côté des personnes en couple, la situation peut également être complexe, surtout dans le cas de conjoints vivant à distance.
« En période d’isolement, les conjoints qui ne cohabitent pas ne pourront pas se voir physiquement. Ils doivent donc trouver des méthodes alternatives pour garder le lien intime. Ils pourraient même continuer à se découvrir sexuellement ensemble, mais à distance. Bien sûr, il faut prendre le temps de continuer à se parler régulièrement, et utiliser son imagination pour garder la flamme, parce qu’autrement, l’éloignement peut venir affecter la relation », insiste la professeure.
En ce sens, les conjoints qui sont forcés de vivre à distance peuvent continuer à vivre leur sexualité grâce à différents outils technologiques, ou encore se tourner vers différentes formes de sexualité solitaire (masturbation, jouets sexuels, sites pornographiques, réalité virtuelle, etc.). Or, quelle que soit l’approche privilégiée, Mme Vaillancourt-Morel croit que les couples ne doivent pas prendre les effets du confinement à la légère.
« Même pour les conjoints qui cohabitent, la pandémie est une période de stress importante en raison de la maladie, du stress financier, des enfants à la maison, du fait de vivre ensemble 24 heures sur 24, etc. Certaines publications sur les réseaux sociaux avancent l’idée que le confinement donne plus de temps aux couples pour s’adonner à des activités sexuelles. Cependant, il ne faut pas négliger l’impact des stresseurs mentionnés précédemment. »
« En fait, des chiffres préliminaires de la Chine suggèrent que lors de la levée du confinement, le taux de divorce a augmenté significativement. Les études montrent que le stress est un facteur souvent nuisible pour le couple, et la constante proximité et disponibilité du partenaire est aussi néfaste pour le désir sexuel. Prendre le temps de se parler et de se supporter pourrait ainsi aider à éviter les conflits. Prendre des moments séparés, même si c’est dans la même maison, pourrait aussi aider à rallumer le désir envers l’autre », souligne-t-elle.
Le numérique impose-t-il son rythme ?
Avec du temps à meubler à la maison comme jamais auparavant, on peut se demander si beaucoup de personnes ont succombé à l’appel des sites pornographiques. S’il est encore tôt pour se prononcer sur la question, Mme Vaillancourt-Morel a toutefois déjà une piste de réponse.
« Les seules données sur l’utilisation de la pornographie pendant la pandémie dont nous disposons jusqu’à maintenant sont celles des sites pornographiques eux-mêmes. Les données de Pornhub montrent que le trafic a augmenté d’environ 18,5 % depuis le début de la pandémie, et que ce dernier ne cesse d’augmenter. Bien sûr, il faut nuancer ces chiffres, puisque les administrateurs du site ont aussi rendu l’accès à leur matériel gratuit mondialement. Il se pourrait donc que les consommateurs de pornographie aient simplement migré vers ce site, et qu’ils s’y connectent plus souvent étant donné le temps libre supplémentaire dont ils disposent », remarque-t-elle.
Du côté de ceux pour qui la sexualité se passe invariablement en personne, la professeure note enfin que l’appel des applications de rencontres demeure important malgré les circonstances.
« Les outils comme Tinder sont venus faciliter les rencontres, que celles-ci soient amicales, amoureuses ou sexuelles. Elles ont donc en quelque sorte changé les dynamiques sexuelles, puisqu’elles facilitent l’accès à un plus grand nombre de partenaires. En contexte de pandémie, les applications de rencontre continuent d’œuvrer ; or, les rencontres en personne étant interdites, l’occasion est belle pour apprendre à se connaître davantage avant de se voir. Prenez le temps d’apprendre à connaître l’autre, posez-lui des questions sur sa vie, racontez-lui votre quotidien en isolement, et prenez le temps de voir si votre vision du couple est similaire. Cela vous permettra de briser l’isolement tout en apprenant possiblement à connaître une personne qui pourrait vous convenir romantiquement », conclut Mme Vaillancourt-Morel.