Est-ce que les humains continuent d’évoluer d’un point de vue biologique? Plusieurs répondront que non, affirmant que l’amélioration des conditions de vie a probablement interrompu la sélection naturelle chez l’Homo sapiens. Et pourtant, grâce à des données historiques en provenance de l’île aux Coudres, des chercheurs québécois, dont le professeur Emmanuel Milot de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), démontrent que l’évolution est toujours à l’œuvre chez les humains et pourrait même influencer leur démographie.
« En 2011, nous avons publié une première étude portant sur la population de l’île aux Coudres. Nous nous sommes intéressés à un trait particulier relié à la génétique, soit l’âge auquel les femmes accouchent de leur premier enfant. De 1800 à 1940, nous avons pu constater que cet âge est passé de 26 à 22 ans en moyenne, et ce, en quelques générations seulement », rapporte le professeur Milot.
Selon le chercheur, ce résultat aurait été favorisé par la sélection naturelle : les femmes se reproduisant plus tôt ayant une descendance plus nombreuse, la probabilité qu’elles transmettent leurs gènes – dont ceux favorisant un âge plus hâtif au premier accouchement – s’en trouvait augmentée. Peu à peu, l’âge des femmes lors d’une première naissance a donc diminué sur l’île. Il faut noter que des facteurs non génétiques auraient aussi contribué à cette baisse.
« Nos résultats ont permis de montrer que l’évolution biologique par sélection naturelle peut encore se produire chez l’humain, de façon plus rapide qu’on le pensait », constate le chercheur, dont l’étude a suscité beaucoup d’intérêt dans le monde scientifique, parce qu’étant la première à illustrer l’évolution biologique sur plusieurs générations d’une population humaine à l’époque contemporaine.
Influence sur la démographie
« À la suite de cette première étude, notre groupe de chercheurs s’est posé une autre question : quand une caractéristique humaine change par sélection naturelle, y a-t-il des conséquences sur la population? Pour répondre à cette interrogation, l’équipe s’est penchée sur les conséquences de la diminution de l’âge de la femme au premier accouchement sur la démographie de l’île aux Coudres », d’expliquer Emmanuel Milot.
Cette nouvelle étude a été réalisée en collaboration avec la professeure Fanie Pelletier (Université de Sherbrooke), qui a mené le projet. Cette recherche – dont les résultats ont été publiés dans Nature Communications – portait plus précisément sur les années 1772 à 1880, alors que la population de l’île aux Coudres connaissait une importante augmentation (près de 300 à plus de 700 personnes).
À partir d’approches statistiques de pointe, les chercheurs ont simulé ce qu’aurait été l’accroissement de la population si la sélection naturelle n’avait pas amené une diminution de l’âge de la mère à la naissance du premier enfant.
« Sans l’évolution de l’âge de la première reproduction, la population de l’île aux Coudres aurait été 12 % plus petite, pour la période étudiée. L’étude démontre donc qu’une partie de la croissance démographique peut être expliquée par des changements génétiques. Elle illustre aussi l’importance de l’évolution biologique sur les populations humaines, un aspect qui pourrait influencer nos projections démographiques », conclut le professeur Milot.
Pourquoi l’île aux Coudres?
La population de l’île aux Coudres est un sujet d’étude fort intéressant pour les généticiens, car elle a reçu moins d’apports extérieurs pendant une partie de son histoire, en raison de son isolement. De plus, les données historiques (naissances, décès, mariages, etc.) concernant la population, fidèlement consignées dans les registres de l’île, constituent une source de données précieuse pour les chercheurs.
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