Au cours du mois de février dernier, des chercheurs de l’UQTR et d’autres organisations ont passé quelques jours sur la surface gelée du lac Saint-Pierre, afin d’y récolter différentes données. Ces scientifiques espèrent ainsi en apprendre davantage sur les interactions entre la glace et la végétation aquatique, un sujet encore peu étudié. Ils souhaitent aussi améliorer les connaissances à propos de l’influence des relations plantes-glace sur les risques d’inondation.
« Depuis 2012, je travaille notamment sur les herbiers du lac Saint-Pierre. Je me suis rendu compte qu’il y a très peu de connaissances sur les effets que peut avoir la glace sur les plantes aquatiques, par exemple en érodant le fond ou en faisant obstacle à la lumière solaire. Pour explorer ce volet, nous avons formé une équipe de chercheurs de différentes disciplines et lancé le projet Mon pays c’est l’hiver, grâce auquel nous avons pu mener des travaux sur la glace du lac Saint-Pierre », explique le professeur en écologie aquatique Andrea Bertolo de l’UQTR.
Le chercheur et son équipe veulent connaître, entre autres, les liens entre la phénologie de la glace – c’est-à-dire ses phases d’apparition et de disparition au fil des saisons – et le cycle de vie annuel des plantes. « En raison de la hausse des températures due aux changements climatiques, des débâcles se produisent aussi de plus en plus souvent pendant l’hiver. Nous voulons en étudier l’impact sur l’écosystème aquatique et les risques d’inondation », souligne le professeur Bertolo.
Des données nombreuses et variées
Pour mener à bien le projet Mon pays c’est l’hiver, Andrea Bertolo bénéficie de la collaboration d’experts de la glace et de la télédétection. Il s’agit des professeurs Christophe Kinnard et Alexandre Roy (sciences de l’environnement, UQTR), des professeurs Erwan Gloaguen (géophysique) et Monique Bernier (télédétection) de l’Institut national de la recherche scientifique et du chercheur Benoît Montpetit (Environnement et Changement climatique Canada).
« Le secteur que nous avons étudié sur la glace du lac Saint-Pierre se situe dans la zone sud-ouest du plan d’eau, à proximité de l’embouchure de la rivière Saint-François. Nous avons établi plusieurs points d’échantillonnage, où nous avons mesuré l’épaisseur de la glace grâce à un géoradar. Nous avons aussi prélevé des carottes de neige et de glace pour mesurer leurs caractéristiques. Plusieurs trous ont également été percés pour nous permettre d’utiliser une caméra vidéo sous la banquise, afin de vérifier la présence de végétation sous la glace », rapporte Andrea Bertolo.
L’épaisseur de la glace – variant de 40 à 55 centimètres – n’a pas empêché les chercheurs de prendre des images sous l’eau. « Ce n’est pas facile d’opérer une caméra sous la glace parce qu’il nous faut de la luminosité, indique le professeur Bertolo. La glace bloque la lumière du soleil, mais c’est surtout la neige qui fait écran. Heureusement, il y avait très peu ou pas du tout de neige dans le secteur étudié. Et l’eau était claire et peu turbulente. Nous avons donc pu distinguer sous l’eau des traces de plantes aquatiques. Certaines présentaient même des résidus encore assez verts. »
L’équipe de scientifiques comptait également sur la présence de collaborateurs du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, soit Rémy Pouliot, Philippe Brodeur et Martin Laporte. Ce dernier a prélevé des échantillons d’eau afin d’en extraire l’ADN environnemental. Les traces d’ADN ainsi récoltées serviront à valider la présence de différentes espèces de plantes et de poissons dans l’environnement du lac Saint-Pierre.
Faire appel aux citoyens
D’autres volets de recherche se greffent également au projet Mon pays c’est l’hiver. La professeur Julie Ruiz (sciences de l’environnement, UQTR), en compagnie de l’étudiante Gabrielle Crête (maîtrise en sciences de l’environnement, UQTR), s’intéresse tout particulièrement aux connaissances et représentations des acteurs gravitant autour du lac Saint-Pierre, en ce qui concerne la glace, les plantes aquatiques et les risques d’inondation.
La cueillette de ces renseignements s’effectue grâce à des enquêtes auprès des riverains, des utilisateurs du lac (pêcheurs, pourvoyeurs) et des intervenants de diverses organisations (associations, organismes gouvernementaux ou environnementaux, etc.). « Partant de ces acteurs, nous espérons pouvoir dégager des hypothèses qui orienteront ensuite nos recherches. Par exemple, certaines personnes se demandent si le bris préventif de la glace, pour permettre la navigation hivernale, n’a pas un effet sur les plantes aquatiques », mentionne le professeur Bertolo.
Un autre chercheur de l’UQTR, le professeur François de Grandpré (études en loisir, culture et tourisme), travaille pour sa part à développer une collaboration avec les citoyens riverains, pour faire un suivi communautaire de la phénologie de la glace, des plantes aquatiques et des niveaux d’eau du lac Saint-Pierre.
Avec l’aide de l’étudiant à la maîtrise Wendy Landay (études en loisir, culture et tourisme), le professeur de Grandpré a mis en place un réseau de collaboration citoyenne. Ce dernier utilise entre autres des caméras prenant régulièrement des images de l’évolution de la banquise. Le chercheur mise aussi sur la participation d’amateurs de pêche blanche pour compléter les observations. Une variation du système utilisé pour la banquise permettra également de suivre l’évolution des niveaux d’eau et de la formation d’herbiers aquatiques, à partir de terrains privés.
Le professeur de Grandpré s’affaire aussi au développement d’un site Web où les personnes fréquentant le lac pourront elles-mêmes enregistrer leurs observations sur les trois phénomènes à l’étude (glace, plantes aquatiques, niveaux d’eau) tout au long de l’année. L’objectif de cette démarche est d’instaurer une forme de science citoyenne au lac Saint-Pierre.
Améliorer l’utilisation des images satellites
« Suivant ce que me disent mes collègues spécialistes de la glace, il est relativement facile de savoir quand la glace du lac Saint-Pierre apparaît, disparaît ou se fracture grâce aux images satellites. Mais ce qui est difficile, c’est d’estimer l’épaisseur de la glace à partir d’un satellite. L’un de nos objectifs est donc d’utiliser les mesures d’épaisseur que nous avons prises sur le lac, ainsi que les données fournies par les citoyens, pour les mettre en corrélation avec les images satellites de la glace aux mêmes dates. Nous espérons ainsi en arriver à pouvoir utiliser les données satellites pour estimer l’épaisseur de la glace et suivre son évolution dans le temps », indique Andrea Bertolo.
Les travaux liés à l’épaisseur de la glace seront confiés notamment à l’étudiant à la maîtrise Dave Mongrain (sciences de l’environnement, UQTR), qui est dirigé par les professeurs Christophe Kinnard et Erwan Gloaguen.
Poursuite des recherches pendant l’été
Après ses travaux hivernaux sur la glace du lac Saint-Pierre, le professeur Bertolo prévoit retourner sur le plan d’eau l’été prochain, cette fois-ci en chaloupe. À la période d’abondance de la végétation (juillet-août), le chercheur naviguera sur le lac pour y recenser les plantes aquatiques.
« Nous utiliserons un écosondeur, un type de sonar sous-marin qui nous permet de détecter la présence des plantes, leur hauteur et leur superficie. Nous emploierons aussi une caméra vidéo sous-marine pour prendre des images de la végétation. Nous dresserons ainsi une cartographie des plantes du lac, ce que nous avions déjà fait l’été dernier », précise-t-il.
Le professeur Bertolo souhaite ajouter ses données à celles du chercheur Jean Morin d’Environnement Canada, qui a réalisé plusieurs cartographies des plantes aquatiques du lac Saint-Pierre dans le passé. « Notre objectif, c’est d’essayer de reconstituer l’évolution dans le temps des herbiers du lac Saint-Pierre, explique Andrea Bertolo. Nos travaux suggèrent que les plantes sont en déclin depuis les années 1990, et que cette régression serait responsable en partie du déclin de la perchaude. »
Avec les travaux hivernaux, le chercheur espère aussi connaître le rôle de la glace sur le déclin des plantes aquatiques du lac. « Nous ne pensons pas que la glace soit responsable de cette baisse. Mais le déclin de la végétation est fortement lié à l’augmentation de la turbidité de l’eau. Est-ce qu’il y a aussi un lien avec la glace? Cela fait partie des questions à explorer », mentionne-t-il.
Au mois de mai prochain, l’étudiant Rodrigo Felipe Bedim Godoy (doctorat en sciences de l’environnement) se joindra à l’équipe du professeur Bertolo. Il participera aux recherches estivales et sera également chargé de mettre en commun les données obtenues pendant l’hiver et l’été, afin de faire progresser les travaux sur les relations entre la glace et les plantes. Ses recherches s’effectueront sous la direction des professeurs Bertolo et Kinnard.
Un projet intégrateur
Financé par le Réseau Inondations InterSectoriel du Québec (RIISQ) et le Réseau Québec Maritime (RQM), le projet Mon pays c’est l’hiver a notamment permis au professeur Bertolo et à plusieurs de ses collègues de se rendre pour une première fois sur la glace du lac Saint-Pierre pour y mener des travaux de recherche.
« Je suis très content des données que nous avons pu recueillir, malgré certaines contraintes liées à la température. Et je suis aussi ravi que ce projet permette la mise en commun d’expertises autant du domaine de l’écologie que de la géographie ou des sciences sociales. Tout comme plusieurs de mes collègues en sciences de l’environnement, je suis membre du Centre de recherche sur les interactions bassins versants – écosystèmes aquatiques de l’UQTR, appelé aussi le RIVE. À l’intérieur de cette unité, nous valorisons tout particulièrement les projets intersectoriels tels que Mon pays c’est l’hiver, car ils nous permettent de travailler avec une belle synergie, ce qui est très intéressant », d’ajouter le professeur Bertolo.
Voyez ici d’autres images des travaux de recherche menés sur le lac Saint-Pierre par les scientifiques du projet Mon pays c’est l’hiver (photos : Gabrielle Crête) :