La pandémie de COVID-19 nous l’a malheureusement appris : il peut arriver que des services de santé, débordés par l’arrivée de trop nombreux malades, doivent se résoudre à ne soigner que les patients présentant les plus grandes probabilités de survie. Mais comment savoir quels individus sont les plus susceptibles de sortir vivants de leur combat contre un coronavirus? La réponse pourrait venir de l’intelligence artificielle, selon les travaux réalisés par l’étudiante sénégalaise Rokhaya Yade, qui termine actuellement sa maîtrise en mathématiques et informatique appliquées à l’UQTR.
La chercheuse s’intéresse tout particulièrement aux réseaux de neurones artificiels permettant la résolution de problèmes complexes. « Les scientifiques ont construit des réseaux informatiques à l’image de notre cerveau. Ces réseaux de neurones artificiels, qui s’inspirent des neurones biologiques, sont capables d’apprentissage et permettent à un ordinateur de développer une certaine forme d’intelligence. Un réseau de neurones sert, par exemple, à faire des prédictions ou des classifications », explique Rokhaya Yade.
Pour améliorer l’évaluation du risque de décès de patients atteints de la COVID-19, l’étudiante a décidé de créer un réseau artificiel de neurones dédié à cette fin. « J’ai travaillé à bâtir un réseau pouvant prédire la mortalité des individus ayant la COVID, en prenant en considération certains facteurs de comorbidité comme l’hypertension, le diabète, l’obésité et le fait de fumer », ajoute Rokhaya Yade, qui réalise ses travaux sous la direction de la professeure Nadia Ghazzali et la codirection du professeur Mhamed Mesfioui.
Construire et éduquer le réseau
Rokhaya Yade a créé son réseau de neurones à partir de réseaux déjà existants, précédemment développés par d’autres scientifiques. « Ces réseaux présentent une architecture classique qui inclut trois types de couches de neurones : les couches d’entrée, les couches cachées et les couches de sortie. Selon le projet que je voulais réaliser, j’ai choisi un certain nombre de couches et j’ai aussi déterminé les paramètres que je souhaitais voir analyser par le réseau », précise-t-elle.
Une fois créé, le réseau artificiel de neurones a dû faire son « apprentissage », pour développer sa capacité à prédire le risque de mortalité avec la meilleure précision possible. Il a fallu alors l’alimenter avec une grande quantité de données qui ont été analysées à l’aide d’un algorithme, afin de permettre au système d’améliorer de plus en plus son pouvoir prédictif.
Pour fournir une vaste quantité de données à son réseau artificiel de neurones, Rokhaya Yade s’est tournée vers une banque d’information d’accès public. « Une étude a été faite récemment sur la population mexicaine, avec le type de données que je recherchais, rapporte-t-elle. Les renseignements étaient téléchargeables directement sur le Web. J’ai donc travaillé avec cette base de données qui recensait 460 605 individus différents ayant reçu un diagnostic positif de COVID-19. Pour chacun, il était également possible de savoir si la personne était ou non hypertendue, diabétique, obèse ou fumeuse, et si elle était ou non décédée des suites de la COVID-19. »
À l’aide de ces données, l’étudiante a entraîné son réseau de neurones à prédire efficacement la survie ou la mortalité des gens étudiés. Elle a ensuite testé le pouvoir de prédiction du système, en lui présentant de nouveaux cas tirés d’une partie de la base de données non utilisée pendant la phase d’apprentissage. « J’ai obtenu un taux de bonne prédiction tournant autour de 89 %. Mon réseau de neurones arrive donc à prédire correctement à 89 % si quelqu’un va survivre ou mourir de la COVID-19, suivant les facteurs de comorbidité liés à cet individu », constate Rokhaya Yade.
Poursuivre le développement
Le taux de prédiction obtenu par l’étudiante est-il satisfaisant? « Pour l’instant oui, répond-elle. Mais je continue à réfléchir pour améliorer encore ce résultat, parce que la recherche, ça ne finit jamais. Peut-être qu’en changeant les paramètres utilisés, ou en modifiant le nombre de couches de neurones, je pourrais y arriver. Et si j’avais un plus grand nombre de données, ça m’aiderait aussi, car plus j’ai de données pour alimenter le système, plus celui-ci devient performant », indique Rokhaya Yade.
La chercheuse espère pouvoir perfectionner encore son outil lorsqu’elle poursuivra ses études au doctorat. Pour l’instant, son approche repose sur la classification bayésienne – basée sur un modèle de probabilités appelé théorème de Bayes – et sur les neurones artificiels. Mais elle s’intéresse déjà à d’autres avenues de recherche. « Il existe un autre type de réseau qui combine à la fois l’approche bayésienne et celle des neurones. C’est ce qu’on appelle les réseaux de neurones bayésiens. Je souhaiterais vérifier si ce type de réseaux me permettrait d’obtenir un meilleur taux de prédiction », mentionne-t-elle.
Rokhaya Yade croit également que le système qu’elle a développé pourrait éventuellement intéresser les gestionnaires des réseaux de santé. « C’est le type d’outil qui aiderait les services de santé à optimiser leurs ressources et à établir des priorités. Et si d’autres pandémies surviennent, il est aussi possible d’adapter le réseau de neurones afin qu’il fonctionne avec d’autres maladies que la COVID-19 », commente-t-elle.
Du Sénégal au Québec
L’intérêt de Rokhaya Yade pour la statistique et les mathématiques ne date pas d’hier. Après ses études secondaires au Sénégal, la chercheuse a obtenu un diplôme de technicienne supérieure de la statistique de l’École nationale de la statistique et de l’analyse économique de son pays. Elle a ensuite poursuivi sa formation à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, au Centre de recherche et de formation pour le développement économique et social, pour obtenir une licence (l’équivalent du baccalauréat québécois) en analyse statistique, économique et financière.
« Quand j’ai voulu poursuivre à la maîtrise, j’ai fait des demandes d’admission au Québec, où étudiaient déjà certains de mes amis sénégalais. Le fait que l’on parle français au Québec, tout comme au Sénégal, me convenait tout particulièrement pour des études à la maîtrise », raconte Rokhaya Yade.
Arrivée à l’UQTR à l’automne 2020, l’étudiante y a découvert une équipe de professeurs particulièrement dévoués. « J’ai grandement apprécié tout le soutien et l’accompagnement de mes encadreurs pour mes travaux de recherche. Mes professeurs m’ont bien aidée, autant du côté académique que pour un appui moral. Leur grande disponibilité et le fait qu’ils veillent à ce que les étudiants comprennent bien ce qui leur est enseigné sont des éléments fondamentaux qui m’ont marquée pendant mon parcours à l’UQTR. L’aspect humain et la générosité des professeurs, ainsi que leur appréciation visible des interrelations avec les étudiants, m’ont aussi beaucoup frappée. Ce sont des points très importants, surtout quand tu arrives d’un pays étranger », souligne-t-elle.
Provenant d’une contrée particulièrement chaude, Rokhaya Yade a dû s’adapter à l’hiver québécois, dont la froidure l’a surprise. « À mon arrivée, j’étais aussi incapable de comprendre l’accent québécois, se rappelle-t-elle. Mais aujourd’hui, je le comprends parfaitement. Pour mon intégration à la vie courante du Québec, j’ai bénéficié de l’aide de mes amis sénégalais qui étaient arrivés ici avant moi. Ils m’ont guidée et montré comment les choses fonctionnent ici. Mes professeurs ont aussi été très compréhensifs en me laissant le temps de m’adapter. Ils m’ont également octroyé des bourses d’études, un soutien financier que j’ai beaucoup apprécié. »