L’achat local est une valeur assez répandue chez les propriétaires de microbrasseries du Québec. Motivés par un indéfectible sentiment d’appartenance à leur communauté, les producteurs d’ici privilégient quand ils le peuvent les fournisseurs de leur région. À la Grange Pardue de Ham-Nord, la dimension locale se révèle avoir des racines encore plus profondes. Là-bas, tout part de la terre. Et pas n’importe quelle terre !
Philippe Langlois est diplômé du baccalauréat en loisir, culture et tourisme de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Il est aujourd’hui copropriétaire de la Grange Pardue, où il est responsable du salon de dégustation, des événements et du marketing. Se disant lui aussi sensible à la question de l’approvisionnement local, il estime que son établissement se distingue par l’intégration de l’agriculture au processus de brassage.
« Nous ne sommes pas seulement une microbrasserie, nous sommes une ferme brassicole. Nous faisons pousser notre orge sur une vingtaine d’acres, et nous avons environ 1 000 plants de houblon. Nous cultivons aussi notre propre levure. Ce sont donc nos ingrédients qui se retrouvent dans la bière que nous brassons. C’est une bière du terroir, qui dégage nos arômes, et qui est 100 % locale », indique M. Langlois.
La terre sur laquelle la Grange est érigée est située dans un tournant de la route 216. Avec une vue imprenable sur les Appalaches, l’emplacement offre un panorama sur la partie sud-est de la MRC d’Arthabaska.
« Nous voulions mettre le paysage régional en valeur. La Grange est située sur un site magnifique, avec une vue sur le mont Ham et le village de Ham-Nord. Nous ne voulions pas seulement avoir une brasserie, nous voulions avoir un milieu où les gens viennent se retrouver. De nature, c’est un lieu récréotouristique : nous attirons du monde en moto, en vélo, en décapotable, à cheval, en hélicoptère, etc. Sauf qu’ils ne viennent pas seulement pour manger ou prendre un verre ; ils viennent pour se rassembler, se réunir. C’est ça la différence », précise M. Langlois.
Comme l’ensemble des activités brassicoles se déroule sur le site de la Grange Pardue, ses propriétaires ont également saisi l’occasion de faire un peu de pédagogie.
« Nous voulons que les gens vivent une expérience brassicole de qualité. Ils peuvent voir ce que nous faisons pousser, mais nous voulons aussi qu’ils y touchent et qu’ils y goûtent. C’est important pour nous d’offrir un volet interprétatif, et d’expliquer le processus de fabrication de la terre jusqu’au verre. Nous ne nous contentons pas de cultiver de la bière, nous voulons aussi éduquer notre clientèle, et offrir un service à la clientèle axé sur la bière », ajoute-t-il.
Le rêve au bout du chemin
Plus jeune, M. Langlois rêvait déjà de posséder une brasserie. Pourtant, les études qu’il entreprend au cégep semblent le destiner à un tout autre avenir.
« Vers la fin de ma formation collégiale, je me dirigeais vers une carrière d’archéologue. Or, je me suis rapidement rendu compte que ce qui m’intéressait, c’était de rassembler des gens, d’organiser des événements et de mettre ma région en valeur. À un moment donné, l’un de mes grands-oncles m’a parlé du baccalauréat en loisir, culture et tourisme. Il avait lui-même suivi la formation à l’époque où le programme débutait. Considérant mon intérêt pour le développement récréotouristique, j’ai finalement choisi de poursuivre dans cette voie », explique le copropriétaire de la Grange Pardue.
En marge de ses études, M. Langlois enchaîne les contrats en loisir. Il a ainsi l’opportunité de travailler pour la Ville de Trois-Rivières, le Festival international DANSEncore, la Corporation de l’Amphithéâtre de Trois-Rivières, la Maison Grandi-Ose et les Nuits Polaires. En 2007, après avoir obtenu son diplôme de l’UQTR, il continue d’enrichir son bagage d’expériences professionnelles dans le milieu trifluvien. Éventuellement, il décide de retourner dans sa région natale.
« Je viens du petit village de Chesterville au Centre-du-Québec. À un moment donné, j’ai eu la chance de me rapprocher de chez moi en obtenant un emploi au Service des loisirs de la Ville de Victoriaville. J’ai commencé comme coordonnateur des sports et loisirs, mais avec le temps, j’ai aussi occupé les fonctions de directeur adjoint et de directeur par intérim. Au total, j’ai été là-bas pendant sept ans », se souvient-il.
En parallèle, une opportunité vient ressusciter le vieux rêve de brasserie de M. Langlois. L’un de ses amis d’enfance, qui possède une terre à Ham-Nord, lui confie vouloir démarrer un projet agricole.
« Il ne voulait pas élever des vaches ni se lancer dans les grandes cultures, il voulait ouvrir une brasserie. Le projet a donc rapidement pris la forme d’une ferme brassicole. De mon côté, j’ai toujours un peu trempé là-dedans ; j’ai été gestionnaire de bar au Complexe sportif Alphonse-Desjardins et au mont Gleason. En 2017, nous avons commencé à rédiger notre plan d’affaires. Puis, en 2018, nous avons entrepris de monter la structure financière. Finalement, nous avons ouvert nos portes en septembre 2019 », raconte M. Langlois.
« Nous nous connaissons depuis 25 ans, et ça fait depuis le début de notre vie adulte que nous rêvons d’ouvrir une brasserie. Aujourd’hui, nous avons dépassé le rêve. Nous n’avons pas seulement un établissement à nous, nous développons des saveurs qui nous sont propres. Nos bières ont un goût unique, parce qu’elles sont faites à partir d’ingrédients de qualité que nous avons plantés nous-mêmes », soutient-il avec fierté.
Avant de conclure, le copropriétaire souligne que la Grange Pardue est une coopérative de travail. L’entreprise fonctionne selon les principes de l’économie sociale : elle veut avant tout générer des emplois de qualité, et mettre en valeur la communauté et les producteurs locaux. La gestion de la brasserie est démocratique (via un conseil d’administration), et bien que le modèle d’affaires doive avoir une viabilité économique dans le temps, le profit n’est pas sa raison d’être.