À peine deux ans après une première chronique consacrée au sujet, l’actualité nous amène à continuer l’étude du lien qu’entretiennent les marques avec les têtes couronnées de ce monde. Cette chronique, vous l’avez compris, ne portera que sur la famille royale britannique.
Comme tout consommateur, la famille royale britannique a des préférences en termes de marques. En septembre 2022, un total de 745 marques sont approuvées par celle-ci, que ce soit des vêtements (Burberry ou Barbour), des entreprises de construction (ce qui s’explique aisément étant donné l’étendue du parc immobilier), de l’horticulture, du thé et des produits d’épicerie fine (Fortnum and Mason), ou encore des céréales, pour ne citer que ces quelques exemples. Et oui, comme de nombreux britanniques, la famille royale mange des céréales, a une préférence pour la marque Kellogg, et se fait livrer grâce à Geneviève, le camion emblématique qui « faisait le trajet de [l’] usine au palais »[1].
Que va-t-il donc advenir de ces marques à la suite du décès de sa Majesté la Reine Élisabeth II ? Les marques préférées de sa Majesté la Reine verront leur accréditation suspendue. Par exemple, la Reine appréciait le vermouth de la marque Dubonnet. Il se pourrait que cette marque, sans aucun lien avec la qualité du produit, ne figure plus parmi les marques accréditées, si aucun autre membre ne donne son aval pour continuer de l’écrire sur la liste d’épicerie.
Mais les autres marques continueront d’être utilisées car il arrive que plusieurs têtes couronnées les apprécient. Pour l’épicerie fine Fortnum & Mason, sa Majesté la Reine Élisabeth II, tout comme le Prince de Galles, avait donné son aval. La maison restera donc fournisseur de la famille royale et le nouveau Roi Charles III devrait renouveler ce « Royal Warrant ». Quant au nouveau Prince de Galles, William, il pourrait faire un choix bien indépendant, donnant ainsi son aval ou restant indifférent.
Figurer sur la liste royale : du bon marketing pour les marques ?
Il faut savoir que chaque mois, une cinquantaine de fournisseurs disparaissent de cette prestigieuse liste et le même nombre s’y ajoute[2]. Mais quel est l’impact de figurer dans la liste des fournisseurs de la couronne britannique? Sur le plan marketing, cela peut engendrer plusieurs aspects positifs.
Sur le plan du positionnement, et avec le temps, certaines marques ont connu un repositionnement à la hausse. Autrement dit, leur clientèle s’est embourgeoisée. C’est par exemple le cas de Barbour, qui fabrique entre autres des vestes cirées – ces vestes en coton, enduites d’une substance graisseuse, rendant le vêtement imperméable. Initialement, ce manteau était porté par les agriculteurs, les chasseurs ou les pêcheurs, bref des personnes vivant dehors en raison de leurs métiers ou passe-temps. Le vêtement a aussi un aspect pratique avec de nombreuses poches, dont certaines peuvent contenir des cartouches ou une grand proche arrière transversale, servant de gibecière ou pour porter un fusil. L’adoption de ce vêtement puis de la marque par la famille royale, lors des fins de semaine à la campagne ou lors de vacances dans l’une des propriétés de la monarchie, pousse les têtes couronnées anglaises à choisir des vêtements plus confortables et pratiques que les tenues d’apparat…et leur conférer des lettres de noblesse. Certains produits sont ainsi passés d’un statut de « vêtement professionnel » à « vêtement noble ». Ensuite, par imitation, la bourgeoisie puis la classe moyenne se sont appropriées le produit.
Il y a donc un effet « marketing des célébrités ». Traditionnellement, certaines marques paient des célébrités du monde des arts, de la culture, du « show-business », du sport, etc. pour porter leurs marques. Normalement, il faut choisir une célébrité qui possède des valeurs proches de celles de l’entreprise et qui oeuvre dans un domaine congruent avec la marque, ou du moins, qui jouit d’une forte notoriété et d’un fort capitale de sympathie. Pensez aux marques que vous connaissez, par exemple les sportifs soutenus par Nike sont talentueux et des figures de proue dans leur discipline. Les gens qui aiment ces sportifs suivent leurs faits et geste et imitent leurs comportements, y compris sur le plan vestimentaire. C’est la célèbre théorie de l’endossement[3].
Pour la famille royale britannique, cet effet est similaire, à la différence que les marques ne paient pas la monarchie anglaise. Il est vrai que pour les petits britanniques, Tony le tigre a sans doute plus d’impact sur eux, ce qui les pousse à demander la marque Kellogg’s à leurs parents. Mais peut-être aussi que les parents des enfants qui ne mangent pas leur bol de céréales utilisent un subterfuge, celui de dire à leurs enfants que le Prince Georges de Cambridge (fils de William et de Kate) finit son bol tous les matins!
Par ailleurs, comme nous l’avions déjà écrit, ce « Royal Warrant est un véritable sceau permettant de réduire ce que l’on appelle le risque perçu, et modifie aussi de façon positive – si on admire la famille royale, bien évidemment – le produit ou son fournisseur. Certains considèrent que ce marketing royal, et qui ne coute absolument rien aux fournisseurs, a un effet important sur la notoriété de la marque, qui fait alors partie de l’ensemble évoqué dans la tête du consommateur, alors enclin à considérer cette marque lors d’un achat. »[4]
Enfin, les marques suivent les tendances, tant sur le plan de la mode que de la conception. Pour Wolsey, certains produits sont fabriqués avec du coton biologique, alors que d’autres revendiquent le « made in England », une valeur sûre pour la moitié des Anglais depuis le Brexit.
En deuil depuis le décès de la souveraine, de nombreux fournisseurs, bénéficiant du sceau royal (voir ci-dessous), lui rendent hommage.
Ce ne sont pas les seuls à lui rendre hommage puisque les entreprises anglaises, dont les fondateurs ont été anoblis par la Reine Élisabeth II, mettent en valeur d’émouvants messages, comme chez Virgin ou cette superbe photo souvenir de Franck Williams (fondateur et patron de l’écurie de Formule 1 éponyme), anobli le 1er janvier 1999.
Comme les reines et les rois, les marquent naissent, vivent et meurent. Si l’on connaît d’avance l’ordre de la succession de la Reine Élisabeth II, on ne connaît pas les marques qui resteront liées à la couronne britannique et celles qui disparaîtront. Quoi qu’il en soit, tout comme la Reine, elles auront marqué leur temps.
Références
[1] https://information.tv5monde.com/info/launer-twinings-barbour-les-marques-preferees-de-la-reine-perdent-son-sceau-471742
[2] Voir https://www.royalwarrant.org/content/frequently-asked-questions
[3] McCracken, G. (1989). Who is the celebrity endorser? Cultural foundations of the endorsement process. Journal of consumer research, 16(3), 310-321.