Cet article – Courant d’idées – est rédigé par Raymond Corriveau professeur associé au Département de lettres et communication sociale de l’UQTR.
Ce n’est jamais une mauvaise idée de connaître ses origines. J’ai donc pensé vous transmettre l’histoire non écrite de la naissance de la communication sociale. Pour bien comprendre, vous devrez faire un voyage dans le temps et vous rapporter aux années 60. Un prêtre fort actif au Séminaire Sainte-Marie de Shawinigan, Gilles Boulet, originaire de l’illustre famille de Saint-Tite, avait un grand rêve. Voyant sans doute une ville comme Sherbrooke se doter d’une université, il voulait qu’une institution similaire s’installe à Trois-Rivières, afin de stimuler toute la Mauricie. C’est en 1969 que l’abbé Boulet verra son rêve se concrétiser grâce à la naissance du réseau des Universités du Québec.
Au début des années 70, période où le changement devenait la norme, un nouveau programme voyait le jour sous l’impulsion des professeurs Rivard et Bourget, c’était la génagogie. Ce domaine d’étude se consacrait à l’animation des groupes restreints. Cette orientation n’était pas sans pertinence, puisqu’une société tout entière devait apprendre à travailler ensemble afin de vivre un élan social et un développement socioculturel qui prendra le nom de la Révolution tranquille. Si, pendant plusieurs années, cette demande sociale avait justifié une telle approche, les exigences universitaires allaient bientôt s’imposer. Je pense ici à un cadre théorique reconnu par les pairs, aux publications scientifiques, aux études supérieures, etc.
Assises scientifiques
Rivard fut dégagé pendant une année afin de fournir les assises scientifiques au programme. Ce n’était pas une chose facile à faire, car plusieurs domaines de la psychologie louvoyaient avec certains aspects théoriques de l’animation des groupes. Établir une discipline scientifique distincte était quasi impossible. Il y avait bien ce type de Toronto, Marshall McLuhan, qui arrivait avec des idées neuves sur les médias, mais comment intégrer cela à l’animation des groupes ? Pendant des décennies, le programme de génagogie a donc cheminé sur une certaine ambiguïté épistémologique.
Après avoir œuvré à la Télé-Université, à la fin des années 80, j’ai décidé d’accepter la proposition du vice-recteur aux études et à la recherche, Paul-André Quintin. Il avait une vision claire de ma tâche, qui consistait à faire évoluer la génagogie en une discipline scientifique reconnue. La chose ne fut pas si simple. Mme Bourget avait déjà établi un territoire et ne voyait pas d’un bon œil toute forme de changement, quel qu’il soit. Les autres collègues enseignants voulaient bien voir les choses changer, mais n’ayant aucune formation en communication, ils ne voulaient pas non plus scier la branche sur laquelle ils étaient assis. Le temps fit donc son œuvre et, malgré une résistance bien organisée par Mme Bourget qui savait comment animer les groupes, l’idée d’un nouveau programme fut finalement approuvée.
Le lien social
Après deux tentatives infructueuses, c’est finalement ma proposition de communication sociale, articulée autour de la notion du lien social, qui fut enfin acceptée. Rappelons-nous que la question du lien social avait déjà secoué plusieurs sociétés, notamment en raison de la montée de l’individualisme, étiquette du postmodernisme et de l’apparition de ruptures sociales, telles que l’itinérance, par exemple. La dimension sociale était aussi importante, puisqu’elle permettait de continuer à profiter de l’expertise des collègues déjà en place. Il faut le mentionner, sans la précieuse collaboration de Michel Poisson, Luc Girard et Daniel Boisvert, le programme de communication sociale n’aurait jamais pu exister.
C’est donc à l’automne 1997 que le programme a pris son envol. Ce fut tout sauf simple. Il fallait établir des équivalences pour les étudiants qui s’étaient inscrits dans l’ancien programme. L’équipe professorale a pris aussi un certain temps à se stabiliser. La venue de la professeure Lalancette et du professeur Katambwe a été un élément de consolidation important. Le décès prématuré de notre collègue et ami Pierre Huard en a marqué plus d’un. Mais, le danger le plus sévère quant à la pérennité du projet vint du milieu universitaire lui-même. En effet, dès le programme accepté, une Commission d’étude (Beaupré) a été mise sur pied pour évaluer la duplication des programmes universitaires afin d’en réduire le nombre. Si les universités à charte, comme l’Université Laval et l’Université de Montréal, ne se préoccupaient guère de la naissance de la communication sociale, l’Université du Québec à Montréal nous avait dans le collimateur.
Une première
La nouvelle vice-rectrice aux études de l’époque, la professeure De la Durantaye, m’avait mandaté pour défendre la communication sociale à cette commission. Disons-le d’emblée, elle fut une excellente conseillère. Les attaques du représentant de l’UQAM étaient sérieuses. La plus sévère portait sur la dimension « sociale » de la communication, à l’époque, c’était une première. La publication d’un dossier sur la communication est venue justifier notre acceptabilité, et ce, au-delà des frontières. Dans une synchronie aussi inespérée que judicieuse, Jean-François Dortier, de la revue internationale francophone Sciences Humaines, termine son introduction du dossier sur l’État des savoirs en communication en disant :
Au cœur du lien social…
Le philosophe Jurgen Habermas a publié un épais et difficile ouvrage, L’Agir communicationnel, dans lequel il veut montrer le rôle central que peut et doit jouer la communication dans les sociétés modernes. La communication est d’abord au cœur de toute relation sociale. Sans langage, sans communication, pas de vie en commun. De plus, c’est par l’argumentation, le dialogue, la négociation, que la démocratie peut vraiment vivre. La démocratie suppose enfin la libre circulation de l’information. S’il est vrai que la communication est au cœur du lien social, en comprendre les logiques revient à comprendre l’un des fondements des rapports humains et des sociétés contemporaines.
Dortier, J.-F. (1998). La communication : omniprésente, mais toujours imparfaite. Dans P. Cabin (Éd.), La communication: état des savoirs (p. 17). Éditions Sciences Humaines.
C’est donc sur une citation que le programme 8008 en communication sociale a pu sécuriser son existence.
Rigueur budgétaire
Avoir un programme est une chose, mais encore fallait-il le développer en période de rigueur budgétaire. C’est justement avec la communauté que les solutions furent trouvées. L’association avec les télévisions communautaires a permis non seulement de produire des émissions de télévision que l’Université ne pouvait financer, mais cela nous assurait d’une visibilité dans la communauté, puisque les émissions étaient diffusées sur leurs réseaux. C’est aussi grâce au Comité de solidarité de Trois-Rivières que, pendant plusieurs années, des étudiants du programme ont pu profiter de stages de formation à l’étranger. En fait, c’est l’ensemble du milieu trifluvien qui a appuyé notre développement, je pense ici à d’excellents enseignants, tels que André Guillemette ou encore à André Gabias, qui ont partagé leur expertise comme chargé de cours, pour ne nommer que ceux-là. Une manifestation de la symbiose du programme avec son milieu s’est aussi manifestée par l’accueil de nombreux étudiants en stage, en Mauricie comme un peu partout au Québec.
Je m’en voudrais de ne pas mentionner une initiative des professeurs Laplante et Perreault, qui ont mené une expérience de recyclage hors norme qui leur a valu plusieurs récompenses, dotant ainsi le programme d’une reconnaissance à l’échelle du Québec. Grâce au rattachement au Département de lettres, la communication sociale a pu se développer et étendre ses ailes aux cycles supérieurs. C’est un apport déterminant qui a rendu possible la venue des collègues Synda Ben Affana, France Aubin et Farah Bérubé. Le premier étudiant de communication sociale à faire partie du corps professoral n’est nul autre que Jason Luckerhoff. Les nouveaux membres du corps professoral continuent, quant à eux, à écrire l’histoire. Mais, il faut se rappeler que, sans les étudiants, il n’y a pas d’histoire à écrire.
Raymond Corriveau Ph. D.
Artisan de la première heure du programme de communication sociale.
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