Former des citoyens curieux, critiques et ouverts sur le monde, voilà l’ambition qui anime de nombreux enseignants en sciences humaines et sociales (SHS) au secondaire. Mais entre la vision inspirante portée par le programme de formation de l’école québécoise et les défis bien concrets du quotidien scolaire, la route est parfois sinueuse – spécialement lorsqu’on débute dans la profession. C’est ce que montre notre plus récente publication (Therriault, Araújo-Oliveira et Boucher, 2025) qui s’est intéressée à la manière dont de jeunes enseignants du secondaire traduisent leurs croyances pédagogiques en pratiques d’enseignement tangibles.
Cet article – Courant d’idées – est rédigé par Anderson Araújo-Oliveira, professeur titulaire au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), et Geneviève Therriault, professeure titulaire à l’Unité départementale des sciences de l’éducation de Rimouski, à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR).

Geneviève Therriault, professeure titulaire à l’Unité départementale des sciences de l’éducation de Rimouski, à l’Université du Québec à Rimouski.

Anderson Araújo-Oliveira, professeur titulaire au Département des sciences de l’éducation de l’UQTR.
En SHS, enseigner ne consiste pas à faire mémoriser des dates ou des cartes. C’est plutôt inviter les élèves à comprendre comment les sociétés évoluent, comment les humains occupent et transforment les territoires, et surtout, à réfléchir à leur propre rôle de citoyen. Le programme de formation de l’école québécoise place d’ailleurs la formation de la pensée critique et la compréhension du monde social au cœur de sa mission. L’histoire aide à relier le passé et le présent; la géographie, à lire les interactions entre les sociétés et leur environnement; et l’éducation à la citoyenneté, à développer une conscience éclairée et engagée. Mais dans la pratique, comment concilier ces idéaux avec les exigences du quotidien ? C’est la question que nous avons explorée à travers les portraits de Léo et Alain (prénoms fictifs), deux enseignants en début de carrière exerçant en milieu rural.
Entre convictions et contraintes
Tous deux partagent la même vision : les savoirs en SHS sont des constructions vivantes, à questionner plutôt qu’à réciter. Ils veulent susciter la curiosité, encourager le débat, et amener leurs élèves à penser autrement. Pourtant, leurs pratiques révèlent une réalité plus nuancée. Le manque de temps, la pression de couvrir tout le programme et la lourdeur des tâches les forcent souvent à se rabattre sur des manuels ou des exercices répétés. Léo, mieux établi dans son école, tente de dynamiser ses cours en intégrant des discussions et des liens avec l’actualité. Alain, plus précaire, doit se partager entre plusieurs établissements scolaires, ce qui limite sa capacité à innover. Ces contraintes rappellent combien les premières années d’enseignement constituent une période charnière, où l’identité professionnelle se construit souvent dans un contexte d’isolement et de surcharge.
Un engagement fort malgré les obstacles
Malgré tout, ni Léo ni Alain ne manquent d’enthousiasme. Le premier veut adapter ses approches à la réalité de ses élèves adolescents; le second cherche à montrer que les apprentissages historiques et géographiques ont un sens concret dans la vie quotidienne. Leur créativité, leur réflexion et leur désir d’amélioration témoignent d’une forte motivation à enseigner autrement – pour peu qu’ils disposent de soutien et de temps pour le faire. Les chercheurs soulignent que cet écart entre croyances et pratiques n’est pas un signe d’incohérence, mais plutôt la conséquence d’un système qui laisse peu d’espace à la recherche, à l’expérimentation et à la collaboration.
Accompagner les débutants pour soutenir la mission citoyenne de l’école
Depuis plusieurs années, la recherche en éducation met en évidence l’importance de l’accompagnement des enseignants débutants pour renforcer la qualité de l’enseignement et favoriser la persévérance en carrière. Les dispositifs de mentorat, les communautés de pratique ou encore les formations continues ciblées permettent de briser l’isolement et d’offrir un cadre de réflexion sur la pratique. Mais les chercheurs rappellent qu’un véritable changement passe aussi par des mesures structurelles : stabiliser les postes, alléger la charge de travail, valoriser les approches novatrices et donner du temps pour concevoir des activités éducatives interdisciplinaires et signifiantes. Autant de leviers concrets pour permettre aux jeunes enseignants de rapprocher leurs convictions de leurs pratiques.
Redonner du sens à l’enseignement des SHS
Ce que montre notre étude, c’est que les enseignants débutants ne manquent ni d’idées ni d’engagement, mais plutôt de conditions favorables pour les mettre en œuvre. Soutenir ces acteurs, c’est soutenir directement les élèves et la mission citoyenne de l’école québécoise. Car enseigner les sciences humaines et sociales, c’est bien plus que transmettre un programme, c’est aider les jeunes à comprendre le monde dans lequel ils vivent, à y prendre part de manière éclairée, et à se reconnaître comme citoyens capables d’agir. À travers les parcours de Léo et Alain, les chercheurs et auteurs de l’article lancent un message clair : pour que l’école forme des citoyens critiques et engagés, il faut aussi croire en la capacité des enseignants – et leur donner les moyens d’y parvenir.
Référence de la recherche
Therriault, G., Araújo-Oliveira, A. et Boucher, S. (2025). L’articulation entre conceptions et pratiques d’enseignement en sciences humaines et sociales au secondaire : le cas de deux enseignants en insertion professionnelle. Formation et profession, 33(1), 1-15. https://dx.doi.org/10.18162/fp.2025.923

