Les récentes avancées dans le traitement du sida donnent espoir aux chercheurs quant à la découverte de nouvelles avenues pour réduire la propagation de cette épidémie, qui a tué jusqu’à maintenant plus de 25 millions de personnes dans le monde. L’équipe de recherche du Laboratoire de rétrovirologie de l’UQTR, dirigée par le professeur Lionel Berthoux du Département de biologie médicale, participe à l’effort international en travaillant sur une nouvelle stratégie prometteuse qui consiste à modifier directement les cellules des patients atteints afin de les rendre plus résistantes au VIH.
Les dernières années ont vu une percée majeure dans la lutte contre le sida : déclaré séropositif en 1995, l’Américain Timothy Brown, surnommé «le patient de Berlin», devient la première personne infectée par le VIH apparemment guérie de façon démontrable. Apprenant en 2006 qu’il est atteint de leucémie, M. Brown consulte l’hématologue Gero Hütter de l’hôpital universitaire de la Charité à Berlin, qui lui propose de procéder à une greffe de la moelle osseuse; depuis, le patient n’a plus montré de signes d’infection.
Comme dans toute greffe de moelle osseuse, on commence par détruire les cellules du système immunitaire du patient pour ensuite lui greffer de «nouvelles» cellules provenant d’un donneur. Dans le cas de Timothy Brown, il s’avère que la moelle osseuse du donneur contenait des cellules naturellement résistantes au VIH, une immunité dont bénéficie seulement 0,3% de la population mondiale et qui découle d’une mutation touchant le récepteur CCR5, par lequel le virus infecte les lymphocytes CD4 du sang.
Cette avancée est d’un grand intérêt pour Lionel Berthoux, spécialiste en rétrovirologie cellulaire et moléculaire à l’UQTR. «Cela signifie qu’on peut traiter le sida en ciblant les cellules du patient plutôt que le virus lui-même. Une des stratégies que nous explorons consiste à modifier le génome des patients infectés de façon à rendre leurs cellules résistantes au VIH», soutient le chercheur, dont les travaux sont financés en majeure partie par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).
Modifier le génome
La modification du génome est possible grâce à de nouvelles technologies qui sont en voie de révolutionner l’étude des gènes ainsi que leur manipulation à des fins thérapeutiques. C’est dans cette perspective que l’équipe du professeur Berthoux développe des gènes qui pourront être utilisés en thérapie génique (c.-à-d. soigner une maladie avec un gène).
L’un de ces gènes prometteurs se nomme TRIM5alpha. Il s’agit d’une protéine de la famille de gènes TRIM, qui fait partie d’un système de défense appelé «l’immunité innée». «Le gène TRIM5? s’exprime naturellement dans nos cellules, mais n’a aucun effet contre le VIH. Toutefois, en y introduisant deux petites mutations, on lui confère des propriétés d’inhibition du VIH», précise le chercheur de l’UQTR.
Il poursuit: «La version mutée du gêne TRIM5? n’existe pas dans la nature; nous l’avons littéralement créée ici, dans notre laboratoire. Ultimement, la nouvelle “version” de TRIM5? pourrait être utilisée en thérapie génique, probablement en combinaison avec d’autres gènes.» Cette découverte, effectuée en collaboration avec Quang Toan Pham et Amélie Bouchard, respectivement étudiant et diplômée à la maîtrise en biologie cellulaire et moléculaire de l’UQTR, fait l’objet d’un brevet approuvé par le gouvernement américain.
Mélodie Plourde, assistante de recherche œuvrant auprès du professeur Berthoux, compte parmi les personnes qui travaillent sur l’utilisation de ces nouvelles technologies visant à modifier le génome en remplaçant un fragment d’ADN humain par un autre conçu en laboratoire. «Pour introduire les mutations dans TRIM5?, qui est notre cible dans le génome, nous devons opérer une coupure dans l’ADN grâce à deux enzymes [des sous-types de protéines ayant une fonction catalytique]. Ensuite, nous devons transporter l’ADN du gène TRIM5? muté jusqu’à la cellule, où il va pouvoir remplacer l’ADN coupé. Pour y arriver, nous utilisons un vecteur adénoviral, c’est-à-dire un virus duquel ont été enlevés les gènes de pathogénicité, qui franchit toutes les barrières de la cellule pour finalement générer une mutation dans le génome», résume Mme Plourde. Notons que cette étape du projet est réalisée en collaboration avec Dr Rénald Tremblay, du Conseil national de recherches du Canada, à Montréal.
L’apport important des étudiants
Lionel Berthoux se dit par ailleurs heureux d’être entouré d’étudiants motivés et passionnés, qui s’approprient leur projet de recherche et proposent de nouvelles expériences : «Actuellement, mes étudiants explorent les interactions fonctionnelles entre TRIM5? et d’autres protéines cellulaires. Chacun travaille sur une protéine cellulaire différente, ce qui nous permettra de déterminer lesquelles sont importantes pour l’activité de TRIM5?.»
Essais cliniques
En plus de ses recherches fondamentales, le chercheur mise sur des collaborations canadiennes et internationales afin de développer des applications concrètes à partir des gènes conçus dans son laboratoire. «Après avoir créé une mutation du gène TRIM5?, il faut mener des essais cliniques pour déterminer s’il peut être utilisé à l’intérieur d’un traitement pour le VIH. Par exemple, nous avons engagé une collaboration avec le laboratoire de John Rossi et Ulrike Jung, un très important groupe de recherche californien. Avec leur aide, nous travaillons à démontrer que ce gène est actif contre les différentes souches du VIH, qu’il est inoffensif et n’interfère pas avec des fonctions cellulaires», explique Lionel Berthoux, en précisant que les résultats de cette étude seront bientôt publiés.