Utiliser les nouvelles technologies pour traiter les troubles à usage de substances (TUS) reliés aux troubles du comportement alimentaire (TCA). Voilà l’une des idées novatrices du Loricorps, une unité de recherche spécialisée dans le traitement des TCA. Johana Monthuy-Blanc, directrice du Loricorps et professeure au Département des sciences de l’éducation de l’UQTR, explique comment son équipe pense y parvenir.
Le Loricorps a développé au fil des années une expertise en réalité virtuelle appliquée au domaine de la santé. Bien que ses recherches soient concentrées sur les TCA, l’équipe a relevé que souvent, ceux-ci sont associés aux TUS chez plusieurs usagers de son programme d’intervention. Pour cette raison, la professeure Monthuy-Blanc croit que les recherches entreprises par son unité peuvent s’avérer utiles pour combattre la toxicomanie.
Le programme du Loricorps mise sur les casques de réalité virtuelle et les applications Android pour intervenir auprès de la population présentant des TCA ou fortement à risque d’en souffrir. Ce procédé permet notamment d’explorer les perceptions de soi, comme les perturbations de l’image du corps propre aux TCA.
« Une personne présentant une faible estime d’elle-même et des difficultés à gérer ses émotions peut être tentée d’y remédier en adoptant des comportements dysfonctionnels comme le recours à certains psychotropes ou comportements alimentaires inappropriés. Si ces comportements procurent un bénéficie à court terme, ils peuvent rapidement mener à des troubles tels que les TCA et les TUS. Le rôle de l’équipe clinique associée à une équipe de recherche du Loricorps est d’éviter que la personne prenne cette trajectoire, parfois irréversible dans certains cas », lance la directrice.
Des enjeux similaires
Pour le commun des mortels, il n’est pas nécessairement évident d’établir le lien entre les TCA et la consommation de stupéfiants. Afin de mettre le parallèle en évidence, la professeure souligne que les deux troubles sont considérés par certaines équipes de recherche comme des dépendances.
« La notion de dépendance signifie que les personnes touchées sont malgré elles liées à cette problématique. Elles y trouvent un certain avantage, même si elles peuvent subir des conséquences qui vont mettre leur vie en jeu, ce qui complique le pronostic », explique Mme Monthuy-Blanc.
L’avantage en question repose sur la sensation de plaisir. Par exemple, le fait de jeûner peut se traduire par une sensation de toute-puissance et de satisfaction. De façon similaire, une crise de suralimentation va pour un très court moment apaiser une émotion négative. Dans les deux cas toutefois, au fil du temps, ces comportements vont amener des conséquences problématiques dans toutes les sphères de vie de la personne (isolement social, débalancement physique, etc.).
« Dans le cas des TCA, lorsqu’on ressent une émotion négative, on tente d’y remédier par des comportements dysfonctionnels et inappropriés. Cela va atténuer la souffrance, mais le soulagement sera de courte durée, parce qu’on va éprouver un sentiment de culpabilité, de dégoût et de honte. Ainsi, on ressent à nouveau des émotions négatives qui vont s’accentuer avec le temps, et qui vont mener à une souffrance chronique à l’image d’une douleur chronique », prévient la professeure.
« Dans la dépendance aux drogues, par exemple le cannabis, on retrouve le même système. La consommation va amener un effet enivrant, qui constitue un moyen d’éviter les problèmes. Mais comme l’explique le RISQ – le regroupement de Recherche et intervention sur les substances psychoactives – Québec –, cela va accentuer les problèmes », ajoute-t-elle.
Le bras dans le tordeur
Les TCA, tout comme les troubles à usage de substances, constituent des cercles vicieux desquels il est difficile de sortir. Pour saisir l’ensemble du processus, il est essentiel de comprendre comment certaines personnes se retrouvent coincées dans l’engrenage. À cet égard, Mme Monthuy-Blanc indique que les deux problématiques ont en commun de nombreux facteurs de risques.
D’abord, la professeure note qu’il existe des facteurs biologiques. Elle énonce qu’à la base, nous avons tous dans notre héritage génétique des prédispositions qui peuvent nous amener à présenter tel ou tel trouble mental.
Ensuite, Mme Monthuy-Blanc aborde le contexte socioculturel. Elle stipule que plus une société valorise les contradictions, plus elle est propice au développement des TCA et de la toxicomanie.
« Dans nos sociétés occidentales, nous sommes bombardés de messages antinomiques. Par exemple, la dictature de la minceur cohabite avec une production alimentaire industrielle qui encourage la surconsommation. De même, le cannabis est illégal, du moins pour l’instant, mais il est facile de s’en procurer. Le problème, c’est que ces contradictions doivent être résolues par l’individu, ce qui devient rapidement difficile à gérer pour les personnes qui sont prédisposées aux TCA et aux troubles à usage de substances », lance-t-elle.
Mme Monthuy-Blanc expose également que certains traits de personnalité, comme l’impulsivité, la perte de contrôle et la faible estime de soi, peuvent être des facteurs de risque menant aux TCA ou à la dépendance aux drogues. À ce sujet, elle ajoute que certaines personnes sont donc plus vulnérables à ces troubles que d’autres.
La voie du changement
Les TCA et la dépendance aux drogues sont des problèmes complexes. Il n’est donc pas surprenant que la solution le soit tout autant. La professeure affirme que les outils des intervenants sont nombreux : gestion des émotions, intégration sociale, etc. Cependant, une variable seule peut faire toute la différence.
« Lorsqu’un patient intègre le programme, nous évaluons sa motivation à changer. S’il n’est pas motivé, nous aurions beau utiliser toutes les approches et les outils dont nous disposons, son cas ne s’améliorera pas. Il faut être prêt à changer », conclut Mme Monthuy-Blanc.
UN MARIAGE DANGEREUX |
|
Sources :
Herzog, D.B., Franko, D.L., Dorer, D.J., Keel, P.K., Jackson, S. & Manzo, M.P. (2006). Drug abuse in women with eating disorders. International Journal of Eating Disorders. 39(5), 364-368.
Holderness, C.C., Brooks-Gunn, J. & Warren, M.P. (1994). Co-morbidity of eating disorders and substance abuse review of the literature. International Journal of Eating Disorders. 16(1), 1-34.
Monthuy-Blanc, J., Blier, C., Boily-Tremblay, J., Dubois, A., Trudel, M., Berger, J. & Daigneault, M. (2014). Guide à l’intention des intervenants sur la concomitance entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles liés à l’usage de substance. Québec, QC: Presses de l’Université du Québec.