À l’école primaire, les élèves qui assemblent des blocs de construction le font soit pour jouer, soit pour apprendre les rudiments des mathématiques. À l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), certains chercheurs s’adonnent également à l’élaboration de structures constituées de cubes. Le but de l’exercice est cependant tout autre.
En tant qu’expert de la combinatoire, le professeur Alain Goupil, du Département de mathématiques et d’informatique, étudie les objets mathématiques finis. Il s’intéresse notamment à leurs propriétés géométriques, leurs configurations, leurs combinaisons, leur dénombrement et leur manipulation. Au cours des deux dernières années, ses recherches l’ont amené à se focaliser sur les polycubes.
« En gros, un polycube est un amalgame de petits cubes qui répond à certaines conditions. Mon équipe et moi-même avons développé une nouvelle famille de polycubes, sur laquelle nous nous posions certaines questions. Nous avons été capables de répondre à certaines de ces questions », indique M. Goupil.
Le professeur explique qu’au départ, lui et ses collaborateurs s’intéressaient aux polycubes arbres, dont la structure ne comprend pas de cycle. Pour illustrer son propos, il prend l’exemple d’un arbre, au sens habituel du terme, dont les branches ne vont jamais s’insérer ailleurs dans le tronc ou sur une autre branche. Profitant du parallèle avec les arbres végétaux, M. Goupil lève également le voile sur le but des recherches entreprises par son équipe.
« Un polycube arbre, ça a aussi des feuilles. Les feuilles correspondent aux cubes qui ont une seule attache, un seul lien avec le reste. L’objectif que nous nous étions fixé, c’était de déterminer quel moyen était le plus efficace pour construire un polycube arbre avec un maximum de feuilles », expose-t-il.
Combattre son réflexe
Intuitivement, M. Goupil et ses collaborateurs ont tenté de démontrer que la structure la plus efficace pour y parvenir était celle de la Figure 1. Or, en six mois de travail, les chercheurs ont été incapables de démontrer mathématiquement ce qu’ils avançaient. Puis, un bon matin, un étudiant à la maîtrise, Julien de Carufel, est arrivé avec la solution.
« Il nous a dit qu’il avait trouvé la structure de la Figure 2, et que celle-ci comportait plus de feuilles que notre structure initiale. Pour valider cette affirmation, nous avons simplement fait le ratio du nombre de feuilles sur le nombre total de cellules. Dans la Figure 1, 28 des 42 cellules sont des feuilles. Dans la Figure 2, le ratio est de 28 sur 41. La différence n’est que d’une unité au dénominateur, mais cela donne tout de même une fraction plus grande, même s’il s’agit d’un objet géométriquement très différent. Cette nouvelle structure est donc devenue notre nouvelle conjecture », raconte-t-il.
Afin de faire la preuve que la nouvelle structure était bien la plus efficace, Alexandre Blondin Massé, un collaborateur de M. Goupil, a écrit un programme informatique capable de générer toutes les branches pouvant potentiellement appartenir à un arbre ayant plus de feuilles. Grâce aux outils technologiques dont ils disposaient, les chercheurs ont réussi à formuler une démonstration par contradiction.
« Nous nous sommes aperçus que la structure de la Figure 2 était autoreproductible. Nous étions donc capables de construire un objet aussi gros que nous le voulions, tout en respectant le ratio 28 sur 41. En augmentant progressivement la profondeur des branches, le programme a démontré qu’il n’y avait aucune branche capable de battre notre ratio à partir de la profondeur 11, démontrant ainsi l’impossibilité de l’existence d’un polycube arbre ayant plus de feuilles. Il s’agissait donc hors de tout doute de la structure optimale », dénote le professeur.
Forts de l’enthousiasme provoqué par leur découverte, le professeur et son équipe ont participé à plusieurs congrès mathématiques au cours de l’été, dont le congrès de mathématiques GASCom 2018, qui a eu lieu du 18 au 20 juin dernier à Athènes, en Grèce. Ils y ont notamment présenté leurs plus récents travaux sur les polycubes arbres pleinement feuillus.
De nouvelles possibilités… en chimie !
En raison de leur caractère innovant, les recherches menées par l’équipe du professeur Goupil ont suscité un vif intérêt auprès de chercheurs d’autres disciplines. L’implication d’experts de différents horizons pourrait même avoir comme conséquence la génération de résultats concrets, notamment en chimie moléculaire.
« Nous croyons que la structure que nous avons développée pourrait devenir une molécule chimique. Nous avons déjà commencé à soumettre des projets à des chimistes qui seraient capables de construire une telle molécule. Nous pourrions alors déterminer quelles seraient ses propriétés », lance-t-il.
Pour expliquer comment cette transposition serait possible, M. Goupil révèle que la Figure 1 et la Figure 2 sont liées aux réseaux de la Figure 3.
« En chimie, il existe un réseau appelé « réseau diamant », qui est représenté à gauche de la Figure 3. Il correspond au réseau formé par l’arrangement des atomes de carbone dans un diamant. Le réseau que l’on retrouve à droite de la Figure 3 a été construit à partir de la structure que nous avons développée avec les polycubes arbres (Figure 2). Ce réseau est particulier, parce que d’un point de vue mathématique, il s’apparente au réseau diamant sans lui être isomorphe », commente-t-il.
Dans un avenir proche, l’équipe du professeur Goupil prévoit investiguer les réseaux apparentés aux polycubes arbres pleinement feuillus, leurs différentes extensions dans d’autres contextes et leurs applications possibles.