La douleur chronique, cette douleur persistante qui ne disparaît pas après le processus normal de guérison, affecte environ 20 % de la population adulte au Canada. « Quand on y pense, c’est une personne sur cinq ! », lance d’emblée Mathieu Piché, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). En vue de soulager les personnes qui en souffrent, celui-ci investigue une nouvelle approche prometteuse permettant de changer la perception de la douleur en introduisant du matériel génétique à l’intérieur des neurones de certaines régions clé du cerveau.
« Les avancées dans le domaine du génie génétique nous permettent de mieux étudier les mécanismes cérébraux de la douleur chronique et de développer des approches innovantes pour la soulager. En effet, il existe un lien étroit entre la douleur chronique et les fonctions du système nerveux. On croit qu’il y a un mécanisme sous-jacent à la douleur chronique dans le cerveau, commun à plusieurs syndromes douloureux chroniques », explique le professeur Piché, titulaire de la Chaire de recherche en chiropratique FCQ et membre du groupe de recherche CogNAC de l’UQTR.
Impact de la douleur chronique sur le cerveau
« Chez une personne qui ressent de la douleur chronique, on observe des modifications à la fois de la fonction et de la structure du cerveau. Certaines structures fonctionnent trop, comme l’amygdale et le cortex cingulaire antérieur, ce qui a comme effet de renforcer le message de douleur. L’activité des neurones s’en trouve augmenté et l’aspect émotif, c’est-à-dire le désagrément de la douleur, prend le dessus », précise le chercheur de l’UQTR, qui travaille en collaboration le professeur Fusao Kato de Jikei University et la docteure Harumi Hotta duTokyo Metropolitan Institute of Gerontology.
Diminuer ou renverser le message de douleur est difficile, et c’est sur cet aspect que les chercheurs travaillent. Ils s’intéressent particulièrement à l’amygdale, une petite structure du cerveau qui serait un pivot par son implication dans la douleur et les émotions. « Ce qu’on a observé dans nos travaux récents, c’est que l’amygdale serait un des centres critiques de la chronicité de la douleur. En renversant son activité, on pense qu’on pourrait éliminer la douleur chronique et l’hypersensibilité à la douleur », soutient Mathieu Piché.
Vers de nouveaux traitements
L’objectif que poursuivent les chercheurs vise donc à modifier la fonction de l’amygdale et, pour ce faire, ils ont développé un récepteur dont la fonction consiste à bloquer la douleur. Ce nouveau récepteur, qui est produit par du matériel génétique introduit dans les neurones de l’amygdale, n’existe pas naturellement dans le système nerveux.
Les chercheurs ont ensuite mis au point une substance pharmacologique synthétisée qui, lorsqu’injectée, active spécifiquement ces nouveaux récepteurs. C’est l’activation de ces récepteurs qui bloquerait le signal de la douleur.
À la différence des médicaments sur le marché, qui ont des répercussions à plusieurs endroits du cerveau – d’où les effets secondaires – cette substance pharmacologique active uniquement le nouveau récepteur, ce qui éviterait les effets secondaires.
Des résultats préliminaires
Une fois ce mécanisme génétique pensé, l’étape suivante consistait à démontrer qu’il peut fonctionner. « Les expériences préliminaires, durant lesquels nous avons procédé à des tests comportementaux chez des rats, démontrent que lorsqu’on injecte la substance pharmacologique qui agit sur le récepteur que l’on a créé, cela renverse l’hypersensibilité à la douleur. Le message de douleur est donc bloqué », indique le chercheur.
Précisant davantage les résultats, Mathieu Piché poursuit : « Toutefois, la douleur revient chez l’animal et il faut lui réinjecter la substance pharmacologique pour maintenir l’effet anti-douleur. À terme, on espère qu’après une certaine période de traitement, on pourra avoir modifié la fonction de l’amygdale et que la douleur aura complètement disparu. » C’est d’ailleurs le projet que prévoit réaliser le professeur lors d’un séjour de 7 mois au Japon, en 2019.
Si pour le moment ces expériences sont réalisées chez de modèles animaux, des méthodes semblables sont à la base de thérapies géniques présentement utilisées chez l’humain. L’approche est donc d’un grand intérêt.
Recherches en chiropratique
Mathieu Piché, qui mène ses recherches également dans le domaine de la chiropratique, comprend bien que ses collègues praticiens reçoivent dans leur bureau ces patients avec des douleurs musculosquelettiques chroniques.
« Il y a également un processus d’amplification de la douleur dans la moelle épinière : les synapses se renforcent et le signal de la douleur qui se rend au cerveau est augmenté », soutient le chercheur. Il y a donc une plus grande transmission de signaux de douleur entre la moelle épinière et d’autres structures du cerveau, comme l’amygdale, qui génèrent ainsi une croissance de la perception de douleur.
« Dans la perspective de démontrer les mécanismes de certaines interventions chiropratiques sur la douleur, nous tentons de mettre en évidence des biomarqueurs de leurs effets analgésiques, incluant une modification de l’activité de la moelle épinière et du cerveau, telle que mesurée par des méthodes d’électrophysiologie », affirme le professeur Piché.