Les professeurs Étienne St-Jean et Marc Duhamel de l’École de gestion de l’UQTR, tous deux chercheurs à l’Institut de recherche sur les PME (INRPME), ont constaté que dans son ensemble, le Québec démontre toujours une activité entrepreneuriale très dynamique selon l’analyse des résultats tirés de l’enquête 2017 du Global Entrepreneurship Monitor (GEM). Ainsi, en 2017 on observe une forte progression de l’entrepreneuriat émergent au Québec, en particulier chez le groupe des 35 à 44 ans. De plus, puisque le sentiment de compétence perçue et l’intention d’entreprendre sont également à la hausse, l’activité entrepreneuriale au Québec devrait continuer de progresser au cours des prochaines années.
L’entrepreneuriat hybride préoccupe les chercheurs de l’INRPME
En dépit de ce cinquième bilan largement favorable, les professeurs St-Jean et Duhamel ont constaté que la situation de l’entrepreneuriat hybride, soit la proportion des entrepreneurs ayant choisi de garder un emploi salarié tout en dirigeant leur entreprise, était préoccupante au Québec. En effet, l’entrepreneuriat hybride est beaucoup plus présent au Québec que dans le reste du Canada et dans les autres pays comparables ayant participé à l’enquête du GEM en 2017.
Cette situation s’expliquerait « en partie, par un resserrement plus prononcé du marché du travail québécois. À cause de la rareté de la main d’œuvre, les hausses de la rémunération et des avantages consentis aux salariés pourraient éventuellement nuire à l’activité entrepreneuriale au Québec et réduire le potentiel de développement économique des régions à moyen et à long terme », explique Marc Duhamel, professeur d’économique du Département de finance et économique de l’UQTR.
Chez les nouveaux entrepreneurs du Québec, seulement 19,6 % vont se consacrer exclusivement à leur projet d’affaires alors que cette proportion est de 35,6 % dans le reste du Canada (RDC) et même de 61,2 % pour la moyenne des pays dont l’économie est tirée par l’innovation. Le constat est similaire pour les entrepreneurs établis, où seulement 35 % des personnes se consacrent à leur projet comparativement à 57,9 % dans le RDC ou à 71,6 % dans les pays comparables. « Puisqu’il s’agit d’un phénomène relativement peu étudié, on comprend encore mal les effets que peuvent avoir des taux si élevés d’entrepreneuriat hybride sur la performance des entreprises d’une économie comme le Québec. Chose certaine, le résultat est préoccupant. Nous allons approfondir la question dans de futurs projets de recherche », mentionne Étienne St-Jean, professeur titulaire de management à l’École de gestion de l’UQTR.
L’enquête du GEM
Nous vous invitons à consulter le rapport complet de la Situation de l’activité entrepreneuriale québécoise 2017
L’enquête du GEM constitue la plus grande étude comparative portant sur le dynamisme entrepreneurial dans le monde. Jusqu’à aujourd’hui, près d’une centaine d’équipes nationales se sont investies à mesurer l’activité entrepreneuriale aux quatre coins du globe. Depuis 2013, le volet québécois de cette enquête est présenté par des chercheurs de l’UQTR à l’INRPME.
Le rapport sur la Situation de l’activité entrepreneuriale québécoise (2017) a pu être produit grâce à la collaboration de l’équipe canadienne du GEM et au soutien financier du ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation (MESI) du Québec. Un total de 36 experts s’est aussi exprimé au sujet des conditions-cadres de l’entrepreneuriat au Québec.
Faits saillants
Entrepreneurs naissants en hausse. Le nombre d’entrepreneurs naissants atteint cette année un sommet à 11,3 % de la population adulte québécoise depuis les quatre dernières années, tout comme l’ensemble des entrepreneurs émergents (16,7 %), situant le Québec au 3e rang des économies comparables. « Les citoyens qui avaient l’intention de démarrer une entreprise en 2014 semblent avoir amorcé des démarches cette année », fait remarquer Étienne St-Jean.
Augmentation des fermetures sans reprise des activités. Bien que le Québec est l’une des régions dans le monde où les entreprises poursuivent le plus leurs activités suite au départ du fondateur, la proportion des entreprises qui ferment définitivement les portes a considérablement augmenté en 2017, plaçant la province au premier rang parmi les économies comparables. « Tout laisse croire que l’augmentation des taux de démarrage observés au cours des dernières années peut s’accompagner, dans les années qui suivent, de taux de fermeture plus importants. Ce constat soulève d’épineuses questions touchant, non seulement la pérennité des nouvelles entreprises démarrées au Québec, mais aussi la capacité du repreneuriat à récupérer un nombre grandissant d’entreprises de fondateurs qui partent à la retraite », remarque Marc Duhamel.
L’essor des investisseurs informels est constaté en 2017. Le Québec se place encore au 1e rang de toutes les économies comparables à cet égard. « Depuis 2013, nous avons observé que les investisseurs informels, tels les anges d’affaires, les investisseurs transigeant via le socio-financement ou même le soutien direct d’individus à des projets entrepreneuriaux, étaient en progression, passant de 4,1 % en 2013 à 11,3 % en 2017 », observe Étienne St-Jean.
L’entrepreneuriat féminin est en progression mais demeure moins marqué que celui des hommes. Au cours des trois dernières années, l’activité entrepreneuriale émergente des hommes place le Québec au 3e rang (19,2 %) derrière le reste du Canada et l’Estonie et celle des femmes au 3e rang (10,9 %) également alors que le reste du Canada occupe le 1er rang. « Une note encourageante toutefois : dans le groupe des entrepreneurs émergents, les femmes du Québec ont une ambition à faire croître leur entreprise à un niveau quasiment identique à celui des hommes, contrairement au reste du Canada, où l’écart est de 15,4 % », fait remarquer Étienne St-Jean.
L’entrepreneuriat jeunesse toujours dynamique. L’activité entrepreneuriale émergente des 18-24 ans (compilation 2015-2017) situe le Québec au 2e rang des économies comparables tandis que celle des 25-34 ans le situe au 3e rang. « Les jeunes du Québec ont une forte propension à démarrer une entreprise. En plus, ils sont plus enclins à passer à l’action comparativement au reste du Canada et aux autres économies comparables », observe le professeur St-Jean.
Opinion des experts du Québec. Les experts dans le domaine de l’entrepreneuriat au Québec ont une opinion plutôt favorable au niveau des conditions-cadres de l’entrepreneuriat, à savoir les infrastructures commerciales/de services, les infrastructures physiques, l’accès au financement, les normes socioculturelles et les programmes gouvernementaux (ordre décroissant). Par contre, leur opinion est plutôt négative en ce qui concerne la formation en entrepreneuriat, les politiques gouvernementales, l’ouverture des marchés et les transferts technologiques et de recherche et développement (R&D) (ordre décroissant).
« Ce résultat pourrait en surprendre certains. Mais il faut se rappeler que ce sondage auprès des experts précède d’environ un an le dévoilement du Plan d’action gouvernemental en entrepreneuriat 2017-2022 par le Gouvernement du Québec annoncé en mars 2018. Il sera intéressant de constater l’effet de ce plan sur les opinions des experts l’an prochain avec le dévoilement du prochain rapport sur la situation de l’activité entrepreneuriale au Québec en 2019 », conclut Marc Duhamel.