Tout au long de l’année, des séries de portraits mettront en lumière les gens qui ont consacré leur temps, leurs énergies et leur audace au service de l’UQTR et, plus largement, à la cause de l’enseignement supérieur en Mauricie-Aire Sud, comme l’on désignait à l’époque le Centre-du-Québec. Cette deuxième série est consacrée à des pionniers qui sont venus de loin pour enrichir la communauté professorale et régionale.
« En décembre 1968, en combinant la masse intellective du Centre des études universitaires et celle de l’École Normale Maurice-L.-Duplessis, la future université allait pouvoir compter sur cent professeurs (possédant au moins dix-huit ans de formation) [1] ». Pour compléter ce contingent, des figures de l’extérieur choisissent cette nouvelle université pour quitter leur pays de faire carrière à Trois-Rivières. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques professeurs venus de loin pour enrichir la communauté universitaire. Certains d’entre eux étaient déjà impliqués durant la période du C.E.U.
Alexis Klimov (1937-2006)
Né à Liège de parents russes venus y poursuivre des études universitaires, Alexis Klimov fut confronté très jeune aux horreurs de la Deuxième Guerre mondiale. Ville industrielle, Liège fut entièrement détruite. Le jeune Alexis connut la peur, la privation et la méchanceté des hommes. C’est ce qui le poussera d’ailleurs à faire des études en philosophie.
Il rêvait d’une carrière professorale, mais en ces temps-là, en Belgique, être professeur d’université était le couronnement d’une carrière, ce qui était pratiquement impossible avant d’atteindre l’âge de 40 ans. Un jour, il reçut une lettre d’un ami qui avait émigré à Montréal et qui lui apprenait qu’une université allait être créée à Trois-Rivières. Alexis Klimov s’est empressé de communiquer avec Gilles Boulet, posa sa candidature et fut aussitôt embauché.
C’est ainsi qu’en octobre 1964, il s’est établi avec son épouse à Trois-Rivières. D’abord professeur au C.E.U., il est devenu ensuite professeur de philosophie dans la toute nouvelle UQTR jusqu’à sa prise de retraite en 1997. Il a fondé en 1965 le Cercle de philosophie qu’il anima pendant 35 ans tous les lundis, et où ont été invités plus de 500 conférenciers venus du monde entier.
Il a collaboré à plusieurs revues littéraires, a publié de nombreux ouvrages dont Éloge de l’homme inutile, De l’abîme et Terrorisme et beauté. Formidable conteur, il savait captiver son auditoire. Ses cours se terminaient souvent très tard le soir et de nombreux auditeurs libres venaient l’écouter.
Le professeur Klimov est décédé le 5 février 2006. L’annonce de son décès a laissé, dans le milieu culturel trifluvien, de nombreuses personnes en deuil. Il a laissé à l’UQTR l’image et le souvenir d’un pionnier : il fut le premier professeur de renommée internationale à adopter notre université. Le salon de la Bibliothèque Roy-Denommé porte son nom et il figure aux côtés du recteur-fondateur Gilles Boulet sur un vitrail imaginé par Jean Beaulieu, au Parc portuaire.
René Ribes (1920-2003)
Né en 1920 à Maury dans les Pyrénées-Orientales, René Ribes s’intéresse à l’archéologie dès son jeune âge. Ses premières prospections de sites archéologiques commencent chez lui en 1941 avec des fouilles dans la grotte de Montou dans le cadre de l’entente spéléologique du Roussillon. En 1953, son intérêt se porte vers le gisement néolithique de la grotte de Bedeilhac à Ariège, toujours dans les Pyrénées.
Il arrive au Québec en 1961. Gilles Boulet, alors directeur du C.E.U., le recrute et lui demande, en 1963, de fonder le Musée d’archéologie, rattaché au Centre. Débute alors une longue et fructueuse carrière de recherche de sites archéologiques en Mauricie : découverte des sites de Red Mill en 1963, puis des fouilles aux lacs Brochet et Mékinac en 1964, découvertes des sites Beaumier et Bourassa à Trois-Rivières, ainsi que du camp St-Dominique à Pointe-du-Lac de 1965 à 1967, relevés de sites amérindiens dans le Parc national de la Mauricie en 1971, des reconnaissances dans la région du lac Némiskachi en Haute-Mauricie et découvertes des sites du pont Laviolette à Ste-Angèle-de-Laval et Monique dans le parc industriel de Bécancour en 1972-1973, et des reconnaissances archéologiques dans la région du lac Kempt et de la Manouane ainsi qu’aux lacs Mékinac et Kiskissink en plus de celles du lac Taureau et de la Réserve faunique du Saint-Maurice entre 1975 et 1988.
C’est plus de 300 sites archéologiques qui ont ainsi été découverts. René Ribes prend sa retraite de l’UQTR en 1992 pour s’associer de près à la démarche visant à mettre sur pied le futur Musée des arts et traditions populaires du Québec [actuel Musée Pop] qui ouvre ses portes en juin 1996. Il y apporte sa vaste expérience en y présentant des animations d’archéologie expérimentale.
Être de sensibilité, de simplicité et d’une grande générosité, il aura été un pionnier de l’aventure universitaire en Mauricie et un des premiers Européens à y faire carrière. La Mauricie, sa terre d’adoption qu’il a creusée de ses mains pendant près de quarante ans pour y découvrir la présence humaine, aura également été sa dernière demeure [2].
André Bougaïeff
Il est le seul membre de la communauté universitaire à célébrer cette année cinquante ans de carrière au sein de l’UQTR. Il fait partie des pionniers : son entrée en fonction, d’abord comme chargé de cours en 1969, coïncide en effet avec l’acte de naissance de l’Université. En ce sens, il est un témoin et un acteur privilégié non seulement de l’histoire, mais aussi du développement de l’UQTR. Il a eu la gentillesse de partager avec nous son tout premier contrat d’embauche.
Après des études de maîtrise à l’Université de Lille et de doctorat à l’Université Laval, André Bougaïeff entame sa carrière professorale à un moment charnière d’une part, dans l’histoire universitaire et intellectuelle du Québec et de l’autre, dans son propre domaine, la linguistique. Ces années de développement foisonnant de cours et de programmes universitaires ont été suivies de l’émergence rapide de l’informatique. La convergence de ces événements fait d’ailleurs figure de fil d’Ariane dans cette carrière consacrée à la promotion du français et à la valorisation de la qualité de la langue, et ce, à la fois par l’enseignement, le développement d’outils pédagogiques et de nombreuses contributions qui mettent de l’avant la langue et la culture québécoises.
Il est professeur titulaire de langue et de linguistique françaises au Département de lettres et communication sociale depuis 1971. Témoin et acteur de l’histoire de notre université, le professeur André Bougaïeff se fait surnommer amicalement le « grimoire vivant » ; il a permis à plus de 20 000 étudiants et apprenants de mieux comprendre, de s’approprier et d’aimer la langue de Molière.
Il fait partie de ces bâtisseurs dont on imagine l’ampleur des efforts déployés dans un contexte où tout était à penser et à construire : cours, programmes, matériel pédagogique, vie départementale et académique, etc. Sa préoccupation et son intérêt pour la qualité du français l’ont d’ailleurs amené à participer au développement de l’Université : la direction lui confiait le mandat en 1978 de mener une enquête sur la qualité du français écrit des étudiants, dont les résultats et les recommandations ont donné lieu à une série d’activités de remise à niveau de la qualité de la langue : test de français pour les nouveaux étudiants, développement de nouveaux cours de rattrapage ou de mise au point adaptés aux besoins des étudiants, laboratoires d’aide à l’écriture, etc. Ces activités ont d’ailleurs encore cours aujourd’hui, sous des formes variées.
L’UQTR a reconnu l’importance de sa contribution en lui attribuant en 2014 une Médaille, distinction honorifique attribuée pour souligner le caractère remarquable de sa carrière et ses réalisations. L’un de ses plus récents projets porte sur un site web dédié à l’histoire des journaux de Trois-Rivières et de la Mauricie de 1817 à 1987.
Tapan Kumar Bose (1939-2008)
Le professeur Bose a obtenu son doctorat de l’Université de Louvain en Belgique en 1965. Après un séjour au Laboratoire Kammerlingh Onnes Laboratory de l’Université de Leiden aux Pays-Bas et à l’Université Brown aux États-Unis, il joint l’UQTR en 1969.
Professeur au Département de physique, il fonde le Groupe de recherche sur les diélectriques en 1980 qui est succédé par l’Institut de recherche sur l’hydrogène en 1994, maintenant reconnu internationalement comme un centre d’excellence de recherche en hydrogène. Directeur du département de physique de 1972 à 1975, directeur du comité des études avancées de 1979 à 1983, il a dirigé de nombreuses thèses, dont celle de l’actuel directeur de l’IRH, monsieur Richard Chahine. En 1982, il crée le Groupe de recherche sur les diélectriques. Chercheur dans les domaines de l’électromagnétisme et de la thermodynamique, il est à l’origine de l’IRH, mais également d’un nombre impressionnant de recherches menées en collaboration avec de nombreuses industries (Northern Telecom, Gaz Métropolitain, Gaz de France, Air Liquide, etc.) et organismes gouvernementaux.
En 1973, il organise l’une des plus prestigieuses conférences scientifiques dans l’histoire de l’UQTR : « Optics and Lasers », événement qui regroupait deux lauréats du prix Nobel, les professeurs Alfred Kastler et Gerhard Herzberg. Alfred Kastler avait d’ailleurs donné une série de cours aux étudiants de physique, durant le trimestre d’automne.
Tapan K. Bose figure parmi les chercheurs les plus respectés de la communauté scientifique et il a contribué de façon magistrale au rayonnement de l’UQTR au Canada et à l’étranger. Il fut président de l’Association canadienne de l’hydrogène de 1993 à 2007 et du comité technique ISO TC/197 sur les technologies de l’hydrogène de 1993 à 2002. En 1995, il devient membre du comité aviseur HyTag auprès du gouvernement du Canada sur les technologies de l’hydrogène. Il est élu membre du bureau de direction du National Hydrogen Association aux États-Unis en 2000, et devint membre du comité consultatif sur la division Pile à combustible du Conseil national de recherche du Canada à Vancouver en 2001. Infatigable défenseur de l’hydrogène et des sources alternatives d’énergie pour pallier aux changements climatiques, il a conscientisé les gouvernements, l’industrie et le public à cette problématique fondamentale.
Le professeur Bose a contribué de façon magistrale au rayonnement de l’UQTR au Canada et à l’étranger. Il fut président de l’Association canadienne de l’hydrogène et président de ISO/TC 197 pour les technologies de l’hydrogène de 1994 à 2002. Il a été membre du Hydrogen Technical Advisory Group de Ressources naturelles du Canada, membre du conseil d’administration du National Hydrogen Association des États-Unis de 2000 à 2004 et membre du Comité aviseur du Fuel Cell Innovation Institute du Conseil national de recherches du Canada.
Infatigable défenseur de l’hydrogène et des sources alternatives d’énergie pour pallier les changements climatiques, il a conscientisé les gouvernements, l’industrie et le public à cette problématique fondamentale. Il formulait le souhait que la Mauricie soit reconnue comme « Vallée de l’hydrogène ».
Ses contributions ont été reconnues à plusieurs reprises. Il a été récipiendaire de la Médaille du Gouverneur général du Canada pour services rendus à l’occasion du 125e anniversaire de la Confédération. En 1994, l’UQTR lui décernait la Médaille du mérite universitaire pour son implication dans la mise en place des programmes de sciences, lors de la création de l’UQTR, pour la qualité exceptionnelle et reconnue de ses recherches, pour sa production scientifique imposante, sa participation à la notoriété internationale de l’UQTR et son implication indispensable dans la création de l’IRH dont le pavillon porte son nom depuis 2005. Il fut admis au Cercle d’excellence de l’Université du Québec et nommé professeur émérite en 2005.
Il est décédé en 2008.
Ilona Gruda
Ilona Flutsztejn-Gruda est née à Varsovie, en Pologne, en 1930. En 1939, sa famille migre vers l’est pour fuir la Deuxième Guerre mondiale. Elle revient ensuite dans son pays natal et y poursuit des études supérieures en chimie pour compléter un doctorat en 1966 à l’Université de Varsovie. En 1968, elle quitte la Pologne avec son mari, le professeur retraité Julian Gruda et ses trois enfants. Elle fera carrière à l’UQTR durant 23 ans et prendra sa retraite en mai 1992. Elle a enseigné dans le domaine de la chimie organique et de la chimie médicinale ; ses travaux portaient sur la synthèse et l’étude du mécanisme d’action des substances actives physiologiquement.
En 1994, l’UQTR lui octroyait le titre de professeure émérite en raison de « l’excellence de son enseignement et la qualité de ses recherches dès les premières heures de l’Université, pour son implication dans la création de nouveaux programmes en chimie-biologie, pour la renommée internationale de ses travaux en chimie pharmacologique ainsi que pour la qualité remarquable de son profil d’universitaire avertie[5] ».
Elle est auteure et a fait notamment paraître un livre pour la jeunesse, Quand les enfants jouaient à la guerre (Actes Sud, 2006).
Julian Gruda sera la premier biochimiste professeur de l’UQTR, dont il prendra sa retraite en juin 1997. Il a créé en 1993 le concours d’affiches scientifiques. Le prix « Coup de cœur du public » porte maintenant son nom. Julian et Ilona sont les parents des journalistes Agnès Gruda et Alexandra Szacka et de la traductrice et auteure Joanna Gruda
Joseph Chicha (1918-1989)
Il a eu une carrière de professeur à Beyrouth, au Liban, avant d’entamer sa carrière au Département d’administration et d’économique, plus précisément dans la section Administration en 1970. Joseph Chicha a assumé plusieurs responsabilités de direction au cours de sa carrière : chef de la section administration (1971-1972), directeur du module d’administration (1974-1975) et directeur du Département d’administration et d’économique (1975-1979).
Sa figure est indissociable à l’un des fleurons institutionnels en recherche, l’institut de recherche sur les PME qu’il a contribué à fonder avec le professeur Pierre-André Julien. Il s’intéressait aux stratégies des PME et à leur adaptation au changement. Les séminaires de l’École de gestion portent son nom.
En 1995, l’UQTR lui a décerné l’éméritat à titre posthume, pour souligner « son engagement, dès sa création, dans le développement du Département d’administration et d’économique ; pour sa contribution majeure au développement multidisciplinaire et structuré des études et de la recherche sur les PME ainsi que pour son leadership dans la création et le développement de la maîtrise en gestion des PME[3] ».
Il est décédé en 1989, alors qu’il venait d’annoncer son départ à la retraite. Son collègue Pierre-André Julien avait signé en octobre 1989 un article paru dans la revue Entête dont nous reproduisons ici un très court extrait : « Joseph était un enthousiaste à tous crins de la vie et du potentiel de l’homme, malgré la facilité de celui-ci à faire des bêtises. Il était un homme de gauche toujours prêt à critiquer les iniquités de notre système économique. Il pouvait jurer contre la médiocrité et l’égoïsme, mais tout de suite après il s’enflammait devant les possibilités des jeunes et les défis de l’existence. Il en bousculait plusieurs, les choquait parfois, mais les obligeait à constamment se dépasser[4] ».
Références
[1] Louis-Edmond Hamelin, Les chemins de l’Université. Trois-Rivières et sa région, de 1930 à 1985, Trois-Rivières, Université du Québec à Trois-Rivières, p. 77.
[2] Tiré en partie du journal institutionnel Entête, vol. 2, nº 29, 2003.
[3] Extrait du procès-verbal de la 381e réunion du CA de l’UQTR, résolution 381-CA-3296.
[4] Pierre-André Julien, « Joseph Chicha : un visionnaire et un passionné », Entête, lundi 30 octobre 1989.
[5] Extrait du procès-verbal de la 360e réunion du CA de l’UQTR, résolution 360-CA-3024.