Lorsque vous apportez votre prescription en pharmacie, vous donne-t-on des médicaments originaux ou leur version générique ? Aux yeux des autorités de santé, comme Santé Canada, cela ne fait aucune différence. Or, pour la professeure Jacinthe Leclerc, du Département des sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), ces deux types de médicaments ne sont pas si équivalents.
Sur le site Web de Santé Canada, on peut lire que « les fabricants de médicaments génériques doivent démontrer que le[s] médicament[s] proposé[s] [ont] la même efficacité que le[s] médicament[s] d’origine ». Dans plusieurs études de séries chronologiques conduites à l’Institut national de santé publique du Québec, Mme Leclerc démontre pourtant que les médicaments génériques semblent être associés à de plus grands risques pour la santé des patients.
« Dans le cadre de ma thèse de doctorat, nous avons publié en 2017 notre première étude avec des données sur près de 137 000 patients québécois. Ceux-ci prenaient du losartan (Cozaar®), du valsartan (Diovan®) ou du candésartan (Atacand®), des médicaments pour réguler la tension artérielle et pour contrôler l’insuffisance cardiaque. Nous avons remarqué qu’il y avait une augmentation de 8 à 14 % du nombre d’hospitalisations et de visites à l’urgence dans la population qui était passée aux médicaments génériques par rapport à celle qui prenait toujours les médicaments originaux », indique-t-elle dans un article paru sur Néo UQTR en octobre 2017.
« Ensuite, nous avons réalisé une autre étude avec 280 000 patients québécois qui prenaient de la warfarine (Coumadin®), un anticoagulant disponible sur le marché depuis assez longtemps. Nous avons observé les données par tranche de 6 mois sur une période de 20 ans. Nos résultats indiquent une augmentation de 10 % des visites à l’hôpital pour la population qui est passée au médicament générique par rapport à celle qui prenait toujours le médicament original », ajoute la professeure.
« Enfin, nous avons publié récemment une troisième étude, portant cette fois sur le clopidogrel (Plavix®), un médicament qui prévient la formation de caillots dans le sang. Nous avons suivi 89 525 patients sur une période maximale de 3 ans. Cette fois, les visites à l’urgence et les hospitalisations grimpaient de 20 % chez les personnes qui étaient passées au générique, comparativement à celles qui sont restées sur l’original. L’effet était donc encore plus grand », renchérit Mme Leclerc.
Il semblerait donc que dans la population québécoise atteinte de maladies cardiovasculaires, lorsque les médicaments génériques arrivent sur le marché, les gens qui les utilisent pourraient se retrouver plus souvent à l’hôpital.
Expliquer la tendance
Bien que les résultats obtenus par l’équipe de Mme Leclerc semblent sans équivoque, les chercheurs n’ont pas été capables de savoir ce qui expliquait ce phénomène avec les résultats à leur disposition. Qu’à cela ne tienne, la professeure a déjà avancé quelques hypothèses qu’elle compte bien vérifier.
« En tant qu’infirmière clinicienne, lorsque certains de mes patients passaient de l’original au générique, ils se retrouvaient à l’hôpital avec des symptômes de surdosage ou de sous-dosage. Il faut savoir que dans un médicament, il y a un ingrédient actif, et il y a plusieurs ingrédients inactifs. Quand les médicaments génériques arrivent sur le marché, ils copient l’ingrédient actif, donc celui qui agit sur le problème de santé visé par le médicament, mais les ingrédients inactifs peuvent différer complètement », explique-t-elle.
Là où le bât blesse, c’est que les ingrédients inactifs peuvent influencer l’ampleur des effets du médicament. Et malgré les tests, Santé Canada ne s’aperçoit pas toujours des risques.
« Pour tester les médicaments génériques avant leur mise en marché, on forme un petit groupe composé de 12 à 50 sujets en bonne santé, on leur administre une dose du médicament générique, et on leur prélève une série d’échantillons sanguins pour quantifier l’ingrédient actif. En d’autres termes, on examine l’effet d’une seule dose de médicament sur un petit nombre de personnes, qui n’ont pas le profil des patients visés, et ce, généralement en moins de 24 heures. Pourtant, c’est là-dessus que Santé Canada se base pour autoriser la mise en marché », prévient Mme Leclerc.
Le test effectué par les fabricants de médicaments génériques permet de comparer la biodisponibilité (la proportion de médicament qui se retrouve dans le sang des patients) du médicament générique avec celle du médicament original. Or, Santé Canada tolère une différence relative de 20 % sur cette proportion. C’est donc dire que lorsqu’un patient passe d’un générique à l’autre, cette marge pourrait théoriquement atteindre 40 %.
À la lumière des études qu’elle a menées, la professeure estime que Santé Canada devrait possiblement resserrer ses normes, par exemple en abaissant la marge de biodisponibilité autorisée à 10 %. Elle précise cependant que les études qu’elle a menées n’apportent pas à elles seules suffisamment de preuves pour conduire à une modification des normes.
« Il faudra valider les données dans d’autres champs thérapeutiques. Certains champs, comme la neurologie et la psychiatrie, ont bien documenté cette tendance (problèmes de santé associés à la substitution aux médicaments génériques). De notre côté, nous l’avons surtout fait en cardiologie », souligne Mme Leclerc.
Améliorer les choses
Si les résultats obtenus par la professeure sont quelque peu inquiétants, il devient de plus en plus difficile pour les patients d’obtenir des médicaments originaux, et ce, pour plusieurs raisons principalement financières (désir de réaliser des économies, ristournes de la part des fabricants de génériques, appels d’offres remportés par les fabricants de génériques, etc.). C’est particulièrement le cas pour les assurés du régime public d’assurance médicaments.
« À partir de 65 ans, la plupart des Québécois sont assurés par le régime public d’assurance médicaments. Depuis la réforme Barrette, le gouvernement a rendu obligatoire la substitution aux médicaments génériques pour toute la population québécoise dans le but d’économiser 40 millions $ par année. Si les patients veulent rester sur l’original, il faut qu’ils payent la différence. Or, celle-ci est parfois importante : le coût d’un original peut aller jusqu’à cinq fois le prix d’un générique », signale Mme Leclerc.
De leur côté, les assurances privées sont plus enclines à rembourser les médicaments originaux. La professeure croit cependant que cette disposition tend à disparaître.
« Quand le générique est suffisamment bien établi, les assureurs cessent de couvrir l’original pour économiser. Donc, même si le patient a les moyens de payer la différence pour avoir un original, tout le monde finit par passer au générique après quelques années. L’autre problème, c’est que tout le monde ne sait pas nécessairement quelle version du médicament il prend », avertit Mme Leclerc.
La professeure révèle en outre qu’au sein de l’industrie, on croyait que certains médicaments génériques étaient meilleurs que d’autres, étant des copies exactes de l’original (« pseudogénériques »). Or, à la suite du scandale des antihypertenseurs contaminés l’an passé, cette croyance a été démentie. Dans une publication du Canadian Journal of Cardiology en 2018, et interviewée pour la revue Chemistry World, Mme Leclerc expose que le problème est encore plus grand qu’on le croyait.
« Ma recommandation aux cliniciens, c’est d’observer le patient lorsqu’il passe au générique pour s’assurer qu’il n’ait pas besoin d’ajustement de dosage. Ça pourrait prévenir bien des problèmes », conclut la professeure.