Dans la foulée de la mobilisation mondiale pour le climat, l’occasion était trop belle pour proposer quelques « arrêts sur images » et esquisser à grands traits certains souvenirs de l’évolution d’un secteur qui fait partie de l’UQTR depuis son ouverture : l’écologie et les sciences de l’environnement.
Très tôt dans l’histoire de l’UQTR, les professeurs de biologie ont été préoccupés par les enjeux environnementaux. Localement, la construction d’une centrale nucléaire sur l’autre rive du St-Laurent a sans doute contribué à la naissance d’un groupe de recherche placé sous la responsabilité du professeur Guy Vaillancourt, dont la figure est indissociable de la naissance, puis de l’évolution du domaine des sciences de l’environnement à l’UQTR, et d’un groupe de recherche accrédité par l’Université en 1975, Thermopol.
En 1979, le conseil d’administration autorise le changement d’appellation du Groupe de recherche Thermopol pour celui de Groupe de recherche sur les écosystèmes aquatiques (GREA).
En 2009, suite aux travaux de la Commission spéciale multipartite, le domaine est une fois de plus identifié comme porteur pour l’avenir et la création du Centre de recherche sur les bassins versants et l’écologie aquatique (issu du GREA) figure parmi les grands projets retenus par l’Université.
La suite de l’histoire, vous la connaissez, elle flotte sur nos eaux régionales. L’une des trois premières chaires de recherche du Canada attribuées à l’UQTR fut accordée en 2001 au professeur Pierre Magnan, diplômé de l’UQTR, et portait sur l’écologie des eaux douces. La Fondation canadienne pour l’innovation a également financé notre bateau-laboratoire institutionnel, le Lampsilis, dont sœur Estelle Lacoursière est la marraine.
Nous reproduisons ici un article sur les travaux du groupe Thermopol, paru dans Réseau : le magazine de l’Université du Québec en septembre 1977 (Vol. 9, nº 1).
Thermopol : une équipe de l’UQTR tente d’évaluer l’impact du complexe nucléaire Gentilly
Vers le milieu de la dernière décennie débutait la construction d’une centrale nucléaire à Gentilly, ce prototype portait le nom de CANDU-BLW 250. Cette usine entra en fonction en 1971. La construction d’une seconde centrale débuta en 1974, cette seconde unité de 600 MG ne devait pas limiter là le complexe nucléaire de Gentilly. Une usine d’eau lourde devait s’y greffer par la suite. La crainte de catastrophe écologique due à ce type de centrale amena de nombreux groupes de chercheurs tant canadiens que québécois à se pencher sur les problèmes que peut entraîner un complexe nucléaire du type de Gentilly.
Dès 1969, un groupe de professeurs de la section de biologie du département de chimie-biologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières se réunirent et formèrent le groupe Thermopol afin d’étudier les effets des rejets thermiques dans le secteur de Gentilly. Selon M. Guy Vaillancourt du groupe Thermopol, il est nécessaire afin d’évaluer l’impact des installations thermiques sur l’environnement, d’effectuer trois types de recherches sur la vitalité des diverses espèces :
- effectuer un inventaire aussi complet que possible de la flore et de la faune résidant au voisinage du point de rejet ainsi que des principales caractéristiques du mode de vie des espèces animales. Cet inventaire est complété par un examen des utilisations du milieu par l’homme ;
- définir l’importance du réchauffement qui est étroitement lié, d’une part, aux facteurs écologiques (hydrologie, topographie, etc.) et, d’autre part, aux facteurs technologiques ;
- retenir la situation critique en fonction des données écologiques (inventaire, distribution et sensibilité des espèces) et des données socioéconomiques (pêche, loisirs).
Voici, toujours selon M. Vaillancourt, les résultats de ces recherches.
Les inventaires
La première étape des travaux a consisté à établir les inventaires des ressources faunistiques et floristiques de ce milieu avant la mise en opération de Gentilly I. Les composants de la faune malacologique [mollusques], de la flore riparienne [qui se trouve sur les rives] ainsi que de la faune icthyenne [poissons] furent répertoriés. Une attention particulière fut portée aux mollusques, car ces organismes constituent des outils idéaux pour tester les conditions de l’environnement ; en effet, à cause de leur comportement poïkilotherme [à sang froid], peu de mobilité, ils peuvent et ils doivent subir les changements anomaux de la température de l’eau. La cartographie de la végétation riparienne a été faite dès 1970 et la relation entre les plantes aquatiques et les Gastéropodes (classe de mollusques) fut également étudiée.
L’étude du réchauffement
Les résultats de cette étude démontrent que le fonctionnement moyen du réacteur, inférieur à 92MW thermique, n’affecte pas la température de l’eau. Cependant, lorsque le réacteur atteint une puissance thermique de l’ordre de 480MW, l’augmentation de température dans le cône de déjection est de 3,5°C ; elle est près de 10°C lorsque le réacteur opère à puissance maximum. Une photographie aérienne et infra-rouge a démontré que la température normale du milieu au début d’août est d’environ 19°C. La masse d’eau chauffée atteint une température de 29°C dans la zone aval du canal de renvoie. Un examen de la répartition de la masse d’eau chaude démontre qu’à une distance de 2 067 m en aval, la température redevient égale à celle du milieu ambiant. Ce retour à des conditions normales n’est cependant pas graduel. Il a été également possible de constater qu’un front froid créé par la sortie de la rivière Gentilly fait dévier la masse d’eau chauffée vers le large où elle se mélange graduellement à l’eau froide du chenal. La répartition verticale de la masse d’eau chaude est uniforme dans cette région à cause de la faible profondeur.
Une seconde photographie aérienne, prise à l’automne, donne la température ambiante du milieu à la fin du mois d’octobre, soit environ 5,5°C. La température de l’eau au point de rejet est de 15°C. Cette masse d’eau se refroidit graduellement. Les températures atteignent 14 et 12°C dans la zone aval du canal de renvoie et de 12 à 10°C sur le segment compris entre la rivière Gentilly et la grande baie de Gentilly. Finalement, la température redevient égale à celle du milieu ambiant. Un fait important à signaler est que l’écart initial entre la température de l’affluent chauffé et celle du milieu ambiant au cours de l’automne est de 10°C, c’est-à-dire le même qu’au cours de l’été. Toutefois, une déperdition de chaleur plus rapide en automne est liée à une température de l’air plus basse en cette saison.
Situation critique
M. Vaillancourt décrit ainsi la situation. Pendant la période de fonctionnement du réacteur (opération supérieure à 50 % de puissance neutronique), soit à compter du mois de mai 1972, il fut possible d’observer une mortalité très élevée chez les Gastéropodes vivant dans la zone réceptrice de l’eau chaude ainsi que la désertion dans ce secteur des animaux plus mobiles. Un an après fut notée une diminution sensible du nombre de plantes aquatiques dans la région tributaire du cône de caléfaction. En résumé, une élévation de température de l’ordre de 10°C durant l’été occasionne des bouleversements sérieux dans la biocénose de la zone affectée [ensemble des êtres vivants dans un espace écologique donné] .
À la suite des résultats obtenus à cette étape de leurs travaux, le groupe a axé ses études sur la biologie des différentes espèces de mollusques ; ceci devait permettre de saisir l’effet du rejet thermique sur leur comportement. Dans un premier temps, ils étudièrent les variations d’abondance de la faune malacologique dans ce secteur sur des échantillons recueillis avant la mise en opération du réacteur ; de plus, on étudia les échantillons provenant de zones similaires recueillis pendant la phase pré opérationnelle. Les chercheurs purent observer que les Gastéropodes sont plus abondants que les Lamellebanches dans la zone des herbiers. Chez les Gastéropodes, leur abondance varie en fonction de la distance du rivage à l’intérieur d’un même herbier. Ces fluctuations d’abondance pourraient résulter de la compétition entre les espèces dominantes, soient : Bythinia tentaculata (Linné), Ammicola lomosa (Say), Valvata tricarinata (Say) et Valvata piscinalis (Müller) (Vaillancourt et Couture, 1972).
L’étude de Bythinia tentaculata (Vaillancourt et Couture, 1974) montre que cette espèce, de la mi-mai au mois de septembre, migre de la zone profonde (3 mètres) vers les zones de profondeur variant de 1 à 1,5 mètre et retourne à la zone profonde au cours de l’automne. Leur comportement naturel les pousse à se rencontrer l’été dans la zone sujette au rejet thermique alors que la température de l’eau peut atteindre 29°C, lors du fonctionnement de la centrale.
Pour mieux évaluer les effets thermiques, le groupe effectue une revue de la littérature axée essentiellement sur la croissance, la reproduction, la migration et le parasitisme chez les Gastéropodes rencontrés dans nos eaux (Vaillancourt et Couture, 1975). De façon générale, il ressort que, lorsque la température atteint 25°C, la physiologie des organismes est affectée et qu’un choc thermique d’à peine quelques degrés s’avère parfois néfaste pour ceux-ci.
Le groupe de recherche Thermopol s’entend pour dire à la suite de nombreux travaux que le rejet d’eau chaude par la centrale Gentilly I n’a affecté directement qu’une très petite zone ; l’augmentation de la température peut atteindre jusqu’à 10°C. La surface totale affectée est approximativement de 381 000 mètres carrés et il s’agit d’une zone peu profonde, en moyenne de 1,06 mètre. La masse chauffée se confine à la rive sud du fleuve en raison de la différence de densité des masses d’eau. Aucun effet secondaire résultat d’une augmentation de température sur les caractéristiques physico-chimiques de l’eau n’a été observé.
L’étude détaillée des variations d’abondance dans la faune malacologique dans le cône de déjection a mis en évidence une disparition totale de ces organismes. Il suffit de quatre mises d’opérations à plus de 50 % de puissance neutronique pour annihiler la faune malacologique. M. Vaillancourt termine la rétrospective des travaux du groupe Thermopol en recommandant que lors de l’addition de nouvelles unités au complexe nucléaire Gentilly, il faudra se montrer prudent quant aux choix de leur emplacement et de leur mode de rejet de l’eau.
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