Quelles émotions avez-vous ressenties lorsque la Covid-19 a chamboulé votre quotidien comme celui de millions de Québécois ? Comme la majorité des individus, vous avez probablement ressenti à la fois la peur et un sentiment de sécurité, deux émotions pourtant contradictoires. « Les mois de mars et avril furent émotionnellement intenses. D’abord, la peur et l’anxiété face à la pandémie et aux nouveaux comportements à adopter ont été deux émotions assez généralisées, mais qui ont aussi été contrebalancées par la solidarité et le sentiment de sécurité à la suite de la réponse de la société face à la crise », lance Yanick Leblanc-Sirois, chercheur postdoctoral au Département de psychologie de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Celui-ci mène actuellement un projet, qui s’inscrit dans les travaux du groupe de recherche CogNAC (Cognition, Neurosciences, Affect et Comportement) de l’UQTR. La recherche vise à étudier les liens entre la pandémie, le raisonnement et les émotions, de même qu’à voir si les gens raisonnent de manière différente face à la COVID-19, un sujet émotif, que par rapport à d’autres thèmes d’actualité plus émotionnellement neutres.
L’étude, dont les données sont recueillies par voie de questionnaires, se déroule en trois phases : la première, déjà terminée, a permis de mettre en lumière les réactions émotionnelles des individus dans les deux semaines après que le gouvernement du Québec ait déclaré l’état d’urgence sanitaire. Un second questionnaire a été envoyé aux mêmes participants à la fin du mois d’avril pour voir comment les émotions changent avec la situation – c’est-à-dire une fois passé le choc initial. Enfin, un troisième questionnaire sera envoyé un peu plus tard, lorsque la situation sera davantage stabilisée.
Du choc au mode de vie
Sans surprise, de l’aveu même de Yanick, l’émotion la plus liée aux comportements d’adaptation au tout début de la crise fut la peur. « Les résultats du premier questionnaire démontrent que les répondants ayant un niveau de peur moyen ou élevé suivent plus les directives élémentaires recommandées par les autorités de la santé publique : lavage fréquent des mains, éviter de se toucher le visage, distanciation sociale », explique le jeune chercheur.
« De plus, poursuit-il, une minorité de répondants ont également adopté un ou des comportements qui sont considérés comme inefficaces, par exemple boire de l’eau chaude ou acheter une grande quantité de papier hygiénique. Ces comportements non efficaces sont plus fréquents chez les participants qui ressentent un niveau élevé de peur et d’anxiété. »
Paradoxalement, le sentiment de sécurité est également apparu parmi les émotions vécues par les participants. À cet effet, le message du gouvernement, qui appelait à la solidarité des Québécois pour combattre la pandémie et sauver des vies, a peut-être joué dans ce sentiment de sécurité. Cela aurait donc eu comme effet de balancer la peur.
Une fois le choc passé, la situation de crise devient un mode de vie, ce qu’on se plaît désormais à appeler « la nouvelle normalité ». « Le deuxième questionnaire a été envoyé aux participants à la fin avril, durant le pic de contamination au Québec et alors que le gouvernement commençait à parler de déconfinement. Les premières analyses de données démontrent que les individus ont moins peur et qu’ils s’habituent à la situation. L’adoption des nouveaux comportements, par exemple la distanciation sociale, s’inscrit dans le temps et ceux-ci deviennent alors des automatismes », soutient Yanick.
Habitudes de raisonnement
Un autre aspect mesuré par Yanick est relié aux habitudes de raisonnement, qui influencent la réponse des individus face à une crise. On pourrait les classer en deux grandes catégories : certaines personnes ont tendance à raisonner de manière rapide, intuitive et un peu automatique, ce qui peut mener à des erreurs de raisonnement; d’autres raisonnent plus lentement et systématiquement, en y mettant un effort d’analyse.
« Nous avons mesuré ces types de raisonnement chez nos participants pour les mettre en lien avec les comportements qu’ils ont adoptés au début de l’urgence sanitaire. Nous nous attendions à ce que les individus qui raisonnent de façon plus systématique adoptent davantage les comportements prescrits par la santé publique que les individus qui raisonnent rapidement, de façon plus intuitive. Toutefois, ce n’est pas ce que nous avons observé. Les individus ont généralement adopté les comportements nécessaires pour faire face à la pandémie, peu importe leur tendance à raisonner », résume-t-il.
Toutefois, certains indicateurs démontrent que les émotions vécues peuvent influencer le raisonnement dans le contexte de la Covid-19. « Par exemple, les répondants sont portés à dire qu’une personne qui tousse a probablement la Covid-19, même s’ils savent que la plupart des gens ne l’ont pas. Cette tendance est d’ailleurs liée au niveau de peur ressenti par l’individu », affirme Yanick Leblanc-Sirois.