À quoi servent les collecteurs d’eau de pluie installés sur le campus de Trois-Rivières ? En temps normal, tout le monde se serait posé la question. Or, avec l’enseignement à distance et le télétravail, seule une fraction de la communauté universitaire a vu apparaître ces dispositifs. Qu’à cela ne tienne, il est maintenant temps de satisfaire la curiosité des personnes qui arpentent les allées de l’établissement. Il s’agit d’une recherche menée par Isabelle Gosselin, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
« Mon projet consiste à récolter l’eau de pluie qui s’écoule des arbres. Normalement, 90 % de cette eau finit par rejoindre le sol, soit par percolation à travers les feuilles ou par ruissellement le long du tronc. Au cours de ce trajet, les gouttes de pluie accumulent de la matière organique dissoute (MOD) en lessivant les particules qui se retrouvent sur leur passage », indique-t-elle.
La MOD accumulée dans les gouttes de pluie joue un rôle important dans la biodiversité du sol. Elle sert notamment à nourrir la communauté bactérienne terrestre. L’analyse effectuée par Isabelle permettra donc d’évaluer la qualité des nutriments amenés au sol par les averses.
Une question de structure
À la base, l’eau de pluie en tant que telle ne contient pratiquement rien. C’est en passant sur les arbres que les gouttes d’eau accumulent de la matière organique. Or, la structure des arbres a une influence considérable sur la nature de la MOD contenue dans l’eau de pluie. L’architecture et la phénologie [les changements saisonniers] propres à chaque espèce donnent en effet des résultats très différents.
« En comparant mes échantillons, je me suis rendu compte que les conifères ne récoltent pas beaucoup d’eau. Les aiguilles doivent retenir les gouttes, qui s’évaporent sans doute avant d’atteindre le tronc ou le sol. De plus, le peu d’eau qui se retrouve dans mon collecteur a une couleur très foncée, en plus d’avoir une odeur prononcée. Elle semble donc contenir des composantes aromatiques, qui sont plus difficiles à décomposer pour les bactéries », constate Isabelle.
« Du côté des feuillus, les érables argentés ont une écorce très rugueuse, et malgré le fait qu’ils aient une grande couronne (ou canopée), ils n’amassent pas beaucoup de pluie. En comparaison, l’eau s’écoule plus facilement sur les chênes et les peupliers, qui ont une écorce lisse. Toutefois, il semble y avoir davantage de MOD dans les gouttes qui ont ruisselé sur de l’écorce rugueuse, en raison du temps de résidence », complète la jeune chercheuse.
Outre la texture de l’écorce, Isabelle précise aussi que la dimension de la canopée et l’angle des branches ont un impact sur l’écoulement de la pluie.
Un projet original
Dans son projet de maîtrise, Isabelle est supervisée par François Guillemette, professeur au Département des sciences de l’environnement et spécialiste en écologie aquatique. Elle est également codirigée par Vincent Maire, qui évolue au sein du même département, mais dont l’expertise concerne les végétaux. Ce tandem explique en grande partie l’approche peu orthodoxe adoptée par l’étudiante.
« La technique que j’utilise sert surtout à étudier les milieux aquatiques. C’est plutôt rare que des chercheurs l’emploient en milieu forestier. Néanmoins, en réalisant une hydrologie sylvicole, je peux en apprendre beaucoup sur les cycles de l’eau et du carbone en forêt. En fait, mon projet se concentre sur la première étape du périple de la MOD dans un bassin versant. Mon hypothèse, c’est que la MOD va être distribuée à la surface du sol de manière à créer des zones chaudes d’activité microbienne », explique-t-elle.
Si quelques expériences similaires à celle d’Isabelle ont été réalisées dans l’état de la Géorgie, c’est la première fois qu’une telle étude est réalisée en milieu boréal. Afin de s’assurer que ses résultats sont représentatifs, l’étudiante surveille également deux autres sites (l’un dans la forêt Montmorency, et l’autre dans le parc Chibougamau) grâce à une collaboration avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs.
« Je vais essayer de prendre mes mesures sur un an, afin d’avoir des données sur toutes les saisons. Évidemment, amasser l’eau issue de la fonte des neiges représente un défi supplémentaire, mais je pense y arriver. En ce qui concerne mes attentes, les études précédentes suggèrent que plus l’hiver est doux, plus le lessivage est intense. Cela pourrait représenter un enjeu pour la croissance et le développement des arbres », conclut Isabelle.