Si vous avez déjà oublié un sac de pommes de terre un peu trop longtemps dans votre garde-manger, vous avez probablement constaté que vos patates avaient pourri ou germé. Ce type de détérioration cause bien des ennuis aux producteurs de pommes de terre. Selon des statistiques canadiennes, ils perdent chaque année jusqu’à 10 % de leur récolte pendant la période d’entreposage, en raison notamment de la pourriture ou d’une germination hâtive. Étudiante à la maîtrise en biologie cellulaire et moléculaire à l’UQTR, Michelle Boivin a travaillé à la recherche d’une solution naturelle à ces problèmes. Et c’est l’épinette noire qui lui a fourni la réponse!
« Au début de ma maîtrise, je me suis jointe à un projet collaboratif réunissant plusieurs centres de recherche et des acteurs de l’industrie, pour le développement de produits de source naturelle pouvant enrayer les maladies et la germination des pommes de terre dans les entrepôts. Nous nous sommes tournés vers les résidus de l’industrie forestière pour nos recherches, parce que nous savions déjà qu’ils présentaient des propriétés biologiques intéressantes pour lutter contre les microbes et les maladies. Après des mois de travail et de nombreux tests, nous avons découvert que les résidus forestiers d’épinette noire offrent d’excellentes solutions », explique Michelle, dont les travaux sont codirigés par les professeurs Isabel Desgagné-Penix et Simon Barnabé, du Département de chimie, biochimie et physique de l’UQTR.
Un défi à relever
Entre le moment de la récolte annuelle des pommes de terre et celui de la distribution aux épiceries ou aux usines de transformation, les producteurs doivent conserver leurs patates en entrepôt, et ce, de quelques semaines à plusieurs mois. Pendant cette période, il leur faut empêcher la pomme de terre de germer, parce que cela affecte la biochimie et la qualité du légume. Ils doivent aussi lutter contre deux types de maladies : la pourriture sèche – qui se développe au centre de la patate – et la pourriture molle, qui liquéfie le tubercule et génère une odeur nauséabonde.
« Il existe déjà un produit pour limiter la germination : le chlorprophame. Toutefois, c’est un produit de synthèse chimique qui soulève de nombreuses questions quant à sa toxicité pour l’humain et l’environnement. Il a d’ailleurs été banni récemment par l’Union européenne et le sera éventuellement au Canada. Il faut donc lui trouver une alternative. En ce qui concerne la pourriture, il existe surtout des produits contre la variété sèche, mais pas vraiment contre la variété molle », rapporte Michelle Boivin.
Avec ses travaux, l’étudiante souhaitait s’attaquer à la fois à la pourriture et à la germination. « Sachant déjà que les résidus forestiers présentaient des propriétés antimicrobiennes, nous connaissions leur potentiel pour lutter contre une maladie comme la pourriture. Mais tester des résidus de la biomasse forestière québécoise pour contrer la germination, c’était entièrement nouveau », précise Michelle.
Explorer plusieurs possibilités
C’est un partenaire industriel qui a fourni à l’étudiante les résidus forestiers nécessaires à ses recherches : « Il s’agit d’une usine de cogénération de Saint-Félicien, au Saguenay – Lac-Saint-Jean. Elle brûle les résidus forestiers pour produire de l’énergie. Elle nous a approvisionnés en biomasse récoltée localement. Nous avons donc pu travailler sur les résidus de trois espèces d’arbres de cette région : le bouleau jaune, le sapin baumier et l’épinette noire. »
Les résidus forestiers acheminés en laboratoire ont d’abord été séchés, puis broyés. La chercheuse a ensuite utilisé des méthodes variées pour extraire différentes molécules des résidus. « Nous nous sommes basés sur des techniques développées antérieurement par d’autres étudiantes à la maîtrise, pour choisir les bons paramètres d’extraction qui permettent d’obtenir des molécules antimicrobiennes intéressantes, signale Michelle. Avec trois espèces d’arbres et plusieurs techniques d’extraction différentes, nous avions presque une cinquantaine d’échantillons différents à tester sur les pommes de terre. Ce travail s’est fait en collaboration avec des techniciens d’Innofibre, le centre d’innovation des produits cellulosiques du Cégep de Trois-Rivières. »
La plus performante : l’épinette noire
Afin d’évaluer l’efficacité de ses différents extraits de résidus forestiers, Michelle Boivin a divisé ses tests en deux parties : le volet antigerminatif et le volet antimicrobien (contre la pourriture).
« Pour les études sur la germination, nous avons utilisé une variété de pommes de terre qui germent tôt et de façon très évidente, indique-t-elle. Cela nous a permis de constater rapidement et facilement le résultat de nos tests. Nous avons vaporisé sur ces pommes de terre chacun de nos extraits de résidus forestiers. Nous recherchions une efficacité antigerminative de 100 %, pour répondre aux standards de l’industrie et obtenir un succès équivalent à celui du chlorprophame. Nous avons réussi à obtenir le résultat souhaité grâce à un extrait à base d’épinette noire. »
Les recherches contre la pourriture se sont déroulées, quant à elles, avec une méthode in vitro. « Faire nos tests à l’échelle cellulaire, plutôt que sur des pommes de terre, a facilité notre travail et a permis d’utiliser de moins grandes quantités d’extraits de résidus forestiers. Avec cette technique, nous avons trouvé des extraits efficaces contre la pourriture sèche et molle : deux dérivés de l’épinette noire et un dérivé du sapin baumier », relate la chercheuse.
Pour trouver le meilleur parmi ces trois extraits, l’étudiante a sélectionné celui qui était le plus efficace à faible concentration. Encore une fois, c’est un extrait d’épinette noire qui a remporté la palme.
Transférer l’expertise au milieu
L’extrait d’épinette noire antigerminatif et celui permettant d’enrayer la pourriture sont maintenant testés en entrepôt, sur des pommes de terre récoltées l’automne dernier. « Nous essayons également de combiner ces deux extraits différents pour obtenir un seul produit homogène et facilement applicable pour les producteurs, dit Michelle. Il faut trouver la bonne formulation, sans altérer les propriétés antigerminatives et antimicrobiennes. Ce travail viendra dans une deuxième phase du projet. Nous explorons aussi la possibilité d’utiliser ces deux extraits séparément, à des moments différents de l’entreposage. Bien que nos produits soient de source naturelle, nous devons également en vérifier l’innocuité et nous assurer qu’ils sont sûrs pour la santé et l’environnement. »
L’étudiante constate l’enthousiasme des producteurs de pommes de terre pour ces produits issus des résidus forestiers. « Ils attendent avec impatience que nous puissions commercialiser ces extraits, mais il faudra encore quelques années en recherche et développement », prévoit-elle.
En plus d’être réalisé dans un contexte de partenariat entre chercheurs et industriels, le projet de recherche de Michelle Boivin présente également un aspect intéressant du point de vue de l’économie circulaire. « Avec nos produits, nous allons chercher une valeur ajoutée aux résidus forestiers. Avant que ces derniers soient brûlés pour générer de l’énergie, nous en extrayons des molécules utiles pour les producteurs de pommes de terre. Ce qui reste après l’extraction est ensuite retourné à l’usine de cogénération, pour être finalement utilisé comme bioénergie », illustre-t-elle.
Tout au long de ses travaux, Michelle a pu bénéficier des encouragements de Marguerite Cinq-Mars, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement. « C’est mon amie et collègue de laboratoire. Je tiens à la remercier pour son incroyable soutien pendant mon parcours à la maîtrise », d’ajouter la chercheuse.
Notons que Michelle Boivin a obtenu, en octobre dernier, le 2e prix dans la catégorie « maîtrise » lors de la compétition Ma thèse en 180 secondes de l’UQTR, pour sa présentation intitulée La forêt sera-t-elle l’espoir des pommes de terre? Elle a également reçu le Prix de l’engagement étudiant de l’UQTR en 2019-2020, notamment pour ses efforts à promouvoir les sciences auprès de la relève.