Au cours de l’automne dernier, des chercheurs de l’UQTR ont parcouru le nord de l’Inde pendant quelques semaines, afin d’y récolter des données sur les plants de cannabis qui poussent librement sur ce territoire. Sous la direction du professeur Hugo Germain (Département de chimie, biochimie et physique) et du doctorant en biologie cellulaire et moléculaire Théo Devèze, deux équipes d’étudiants se sont déplacées le long des montagnes de l’Himalaya, pour y recueillir des renseignements qui permettront d’en apprendre davantage sur la biodiversité du cannabis indien.
« L’Inde présente une diversité importante de plants de cannabis, qui y croissent depuis des milliers d’années. Ce pays offre donc des possibilités de recherche très intéressantes en ce qui concerne les variations génétiques de cette plante. C’est pourquoi je souhaitais y organiser une expédition. J’avais déjà établi des collaborations scientifiques avec l’Institut indien de technologie (IIT), à Roorkee. Et lorsque Théo Devèze, un étudiant français, m’a manifesté son intérêt à réaliser un doctorat sur la diversité génétique du cannabis et à se rendre en Inde, le projet d’expédition a pris son envol », explique Hugo Germain, qui a notamment contribué au lancement d’un nouveau profil de formation en biochimie du cannabis à l’UQTR.
L’expédition avait pour but de repérer des plantes femelles de cannabis à divers endroits du nord de l’Inde, pour les photographier et en mesurer différentes caractéristiques (hauteur du plant, circonférence de la tige, surface des feuilles, taille des fleurs, etc.). Des échantillons de feuilles devaient aussi être amassés afin d’en extraire l’ADN dans les laboratoires de l’Institut indien de technologie. Les équipes prévoyaient également récolter des graines qui seraient ensuite rapportées à l’IIT.
Voyez ici une vidéo montrant des images de l’expédition :
Préparer l’expédition
Pour mener à bien leurs travaux sur le terrain, en compagnie d’étudiants de l’UQTR et de l’IIT, Hugo Germain et Théo Devèze ont décidé de créer deux équipes distinctes, avec des itinéraires différents. La première, sous la direction de Théo, regroupait Nikunj Sharma, Snehi Gazal et Claire Letanneur, tous doctorants en biologie cellulaire et moléculaire à l’UQTR. Accompagné du guide indien Rohit Chauhan, ce groupe a parcouru l’état de l’Himachal Pradesh.
La seconde équipe, dirigée par le professeur Germain, était formée des étudiantes indiennes Menakshee Rathore et Suchi Baliyan (de l’IIT Roorkee) et du guide Keshav Aggarwala. L’itinéraire de ce groupe se situait dans l’état d’Uttarakhand.
Les expéditions se sont déroulées de la mi-septembre au début octobre. Mais avant le départ, Théo a dû travailler pendant plusieurs mois à la préparation de l’opération. « J’avais fait des préitinéraires pour couvrir un maximum de terrain là où l’on suspectait la présence de cannabis. Notre guide Rohit, natif de l’Himachal Pradesh, y a apporté sa connaissance du territoire, en nous suggérant les meilleurs endroits où trouver des plants de cannabis », souligne le doctorant.
Pour faciliter la prise de mesures et la récolte d’échantillons pendant l’expédition, Théo a également confectionné à l’avance plusieurs outils. Il a notamment gradué des arceaux de tente – facilement pliables et dépliables – pour mesurer la hauteur des plants de cannabis qui peuvent atteindre plusieurs mètres. Il a aussi veillé à la préparation de centaines de sachets hermétiques contenant un produit déshydratant. Destinés à recevoir les feuilles de cannabis récoltées au fil de l’expédition, ces petits sacs devaient assurer la bonne conservation des échantillons.
Un site de recherche hors du commun
Les membres de l’expédition sont arrivés en Inde tout juste après la saison des pluies, au moment de la floraison du cannabis. Après de brefs préparatifs à l’IIT, les deux équipes se sont séparées pour leurs destinations respectives. Elles se déplaçaient dans des voitures, conduites par des chauffeurs indiens. Au fil de leur parcours, les chercheurs ont découvert des paysages à couper le souffle et une grande variété d’écosystèmes. La température ambiante changeait également beaucoup, passant de 45 °C au creux des vallées – avec 90 % d’humidité –, à quelques degrés lors des passages à 4 500 mètres d’altitude.
« La plupart du temps, nous faisions nos échantillonnages de plantes près des routes afin de sauver du temps et parcourir un maximum de distance, raconte Théo. Il nous est aussi arrivé de marcher pour nous rendre à des endroits vraiment difficiles d’accès. Nous avons trouvé de nombreux plants de cannabis aux odeurs et aspects variés, certains atteignant jusqu’à six mètres de haut. Et nous avons constaté que le cannabis pouvait pousser dans toutes sortes de sols et d’environnements. »
En raison de glissements de terrain et d’éboulis de rochers sur les routes, les chercheurs ont parfois été quelque peu retardés dans leur périple. Ils ont aussi dû subir quelques contrôles policiers, sans conséquences. Ils ont même reçu la visite d’un singe qui s’est intéressé de près au sac d’expédition d’une étudiante, qui l’avait abandonné en se sauvant du primate. Les équipes ont également perdu quelques échantillons de graines qui, trop humides lors de la récolte, ont pourri pendant leur transport.
« Mais dans l’ensemble, tout s’est très bien déroulé, constate le professeur Hugo Germain. Et tout le monde est resté en santé pendant la durée de l’expédition. »
Analyse génétique et cartographique
Tout au long de leur parcours, les deux équipes de scientifiques ont amassé plusieurs caisses d’échantillons. « Pour chaque plante de cannabis sélectionnée, nous devions remplir un petit sac avec des feuilles, un autre avec la fibre, et un dernier avec les graines. Au total, nous avons récolté des échantillons de près de 500 plants différents », rapporte Hugo Germain.
Une fois l’expédition terminée, une grande partie de l’équipe est retournée en sol québécois, laissant Théo à l’Institut indien de technologie, afin qu’il y travaille sur l’extraction de l’ADN des feuilles de cannabis. « J’ai passé trois semaines en continu au laboratoire de l’IIT pour extraire l’ADN des feuilles récoltées. Pour cela, j’ai eu l’aide des étudiantes indiennes qui avaient participé à l’expédition et qui viendront bientôt en stage à l’UQTR. Sans elles, je n’aurais pas pu finir dans les temps », précise-t-il.
Théo Devèze est ensuite rentré au Québec, en y rapportant seulement les extraits d’ADN. Son projet de recherche se poursuit maintenant avec les analyses génomiques de tous ces échantillons. « À partir de ces travaux, nous pourrons établir les différentes variétés génétiques des plants de cannabis étudiés, explique le professeur Germain. Nous placerons ensuite ces renseignements sur une carte géographique de l’Inde, grâce aux coordonnées GPS que nous avons prélevées pour chaque échantillon. »
Partant du principe que des plantes éloignées géographiquement ne se reproduisent pas entre elles et ne partagent pas leurs gènes, la carte géographique pourrait démontrer que plus la distance augmente entre des plants de cannabis, moins ils se ressemblent génétiquement. « Mais il y a le facteur humain, signale Hugo Germain. Les plantes et les graines de cannabis ont été déplacées par les humains au fil du temps, ce qui a pu favoriser l’hybridation d’une plante avec celle d’une autre région. C’est l’une des choses que nous voulons vérifier avec nos recherches. »
« Lorsque nous allons traiter les données génétiques, ajoute Théo Devèze, nous allons donc prendre en compte la distance géographique entre les échantillons, pour expliquer par exemple certains liens de parenté entre les plants. C’est un peu comme si l’on faisait l’arbre généalogique des plantes de cannabis dans ces régions indiennes, pour voir les liens qu’elles ont entre elles. Certaines vont être plus proches, comme une petite famille, et d’autres seront plutôt des cousines éloignées. Il faut aussi préciser que la pollinisation du cannabis se fait par le vent et que le pollen peut être propagé très loin d’un plant, jusqu’à quatre à cinq kilomètres. »
Une expédition mémorable
L’expérience vécue par les participants à cette expédition scientifique en Inde semble avoir été marquante, comme en témoignent les citations suivantes :
« Quelle expédition scientifique hors du commun! Peu de biologistes moléculaires ont ce rare plaisir de troquer leur sarrau et leurs lunettes de laboratoire contre un sac à dos et des chaussures de marche, pour se rendre dans des lieux si reculés que seuls certains Indiens locaux les connaissent. Je me souviens d’un homme que nous avons rencontré au bord d’une route, par hasard. Dès que nous lui avons expliqué la raison de notre présence, il a sauté dans ses chaussures et nous a amenés dans des bords de chemin et de champs aux spécimens magnifiques! Ce mois au cœur des plaines et des montagnes du nord de l’Inde a profondément changé ma vision en tant que scientifique, mais aussi à titre de citoyenne du monde. »
Claire Letanneur, doctorante en biologie cellulaire et moléculaire, UQTR
« Il y a quelque chose d’intrigant à propos de l’Himalaya que je n’ai expérimenté dans aucune autre montagne à travers le monde. Les terrains himalayens susciteront toujours une part d’invisible et d’inconnu en vous. Ils vous amènent rapidement à l’essentiel qui n’est rien d’autre que la vie. Je souhaite des expéditions comme celle-ci à tous les doctorants. »
Nikunj Sharma, doctorant en biologie cellulaire et moléculaire, UQTR
« Cette expédition au centre de l’Himalaya a été mémorable, car vous y êtes complètement imprégné par la nature qui tire le meilleur de vous-même. Dans la vallée de Parvati, je me souviens que je regardais le paysage et cet environnement était tellement serein que je me sentais rajeunie et chanceuse de participer à cette expérience fascinante. »
Snehi Gazal, doctorante en biologie cellulaire et moléculaire, UQTR
Pour sa part, Théo Devèze garde de l’expédition un souvenir impérissable : « J’étais le seul membre de l’équipe à n’être jamais allé en Inde. J’ai découvert des paysages impressionnants. J’ai vécu des températures suffocantes, que je n’avais jamais ressenties avant. J’ai aussi savouré une nourriture tellement riche et goûteuse qu’elle me manque tous les jours! Et j’ai beaucoup apprécié toutes les personnes que j’ai eu la chance de côtoyer. En fait, j’ai adoré. »
Notons que le professeur Hugo Germain et l’étudiant Théo Devèze sont tous deux membres du Groupe de recherche en biologie végétale de l’UQTR. Les travaux doctoraux de Théo sont menés sous la direction du professeur Germain et la codirection du professeur Harsh Chauhan de l’Institut indien de technologie.
Voyez ici quelques images de l’expédition scientifique en Inde :
Pour en apprendre davantage à propos du cannabis et des recherches menées sur cette plante aux multiples usages (alimentation, soins, industrie textile, etc.), nous vous suggérons les articles suivants :
- Redécouvrir les effets thérapeutiques des racines du cannabis
- Transformer les microalgues en bio-usines de cannabinoïdes
- Colloque grand public sur les bienfaits du cannabis
- Recherche sur le cannabis : nouveau partenariat entre l’UQTR et La Feuille Verte de Drummondville